Publicité : l'Autorité de la concurrence part à la chasse aux Gafa

Publicité : l'Autorité de la concurrence part à la chasse aux Gafa Vente liée, effets de leviers ou pratiques discriminatoires : l'enquête sectorielle de l'Autorité répertorie les pratiques néfastes pour le marché de la pub online en France.

L'enquête sectorielle initiée par l'Autorité de la concurrence promettait d'être explosive. Après plus d'un an de consultation des acteurs du marché de la publicité en ligne, elle vient de rendre ses conclusions dans un avis d'une centaine de pages où elle décrypte le fonctionnement d'un secteur à "l'équilibre concurrentiel fragile". Cet avis, qui pourrait donner lieu à l'ouverture d'enquêtes contentieuses, est l'occasion de faire le diagnostic des maux du marché français de la pub en ligne. Voici les points identifiés comme problématiques par l'Autorité :

Les stratégies de couplages et ventes liées

Certains acteurs ont dénoncé des pratiques qu'ils présentent comme des stratégies de couplages ou de ventes liées, de prix bas et d'exclusivités. Dans leur viseur : les acteurs qui conditionnent l'accès exclusif à un inventaire publicitaire ou à une donnée à l'utilisation de leur service d'intermédiation. Il n'est pas cité mais c'est par exemple le cas de Google qui fait de sa plateforme d'achat, DBM, un passage obligé pour profiter de la donnée qu'il récolte via son moteur de recherche ou ses comptes Gmail. Même logique pour accéder à l'inventaire de sa plateforme vidéo Youtube. Cette stratégie de cloisonnement de l'offre ou "walled garden" est également pratiquée par les deux autres géants de la publicité : Facebook et Amazon.

"Afin d'établir le caractère abusif d'une vente liée, il faut que le produit liant et le produit lié soient des produits distincts et que l'entreprise en cause soit en position dominante sur le marché du produit liant", prévient toutefois l'Autorité de la concurrence. Tout l'enjeu est donc de déterminer si Facebook ou Google, qui captent à eux seuls 78% du marché français de la pub en ligne, peuvent être considérés comme étant en position dominante.

Des effets de levier de positions prépondérantes 

Autre grief formulé : "l'utilisation par effet de levier de positions prépondérantes sur certains marchés de services pour développer des positions sur d'autres marchés, et, le cas échéant distordre la concurrence sur ces marchés". Autrement dit, que le volume de datas auxquels ont accès des géants comme Google ou Facebook leur permette de développer d'autres lignes de métiers. Sont principalement concernés, selon l'Autorité de la concurrence, les secteurs de "l'audit média et des agences média mais aussi la fourniture de services publicitaires et de services d'exploitation de données aux annonceurs".

L'exploitation de ces données est susceptible de produire des "effets restrictifs de concurrence", prévient l'Autorité de la concurrence. "Notamment dans l'hypothèse où les informations détenues par une entreprise dominante ne sont ni accessibles à ses concurrents, ni reproductibles par eux, constituant ainsi des informations privilégiées."

Des traitements discriminatoires

Certains éditeurs et intermédiaires estiment subir des différences de traitement de la part d'acteurs qu'ils considèrent dominants dans le secteur de l'intermédiation publicitaire. "Ces comportements concernent d'une part, la possibilité de monétiser certains types de vidéos sur une plateforme, et d'autre part les conditions d'accès des DSP aux places de marché et aux inventaires publicitaires de certains éditeurs de plateformes", précise l'Autorité de la concurrence. Il faut par exemple montrer patte blanche pour acheter de l'inventaire sur Facebook qui tient à jour une liste de ses "Facebook Preferred Partners".

Des freins à l'interopérabilité

Plusieurs acteurs ont relevé ce qu'ils considèrent être des freins à l'interopérabilité dans le secteur de l'intermédiation publicitaire. L'interopérabilité correspond à la faculté d'un outil à bien correspondre avec un autre. Si ces deux outils appartiennent à la même famille, cette interopérabilité sera naturellement optimale. C'est le cas du DSP de Google, DBM, avec son SSP, DFP. Tout autre DSP ne fonctionnera pas aussi bien avec DFP car il n'a pas été conçu spécifiquement pour cet outil (comme c'est le cas de DBM). C'est inévitable. Ce qui peut l'être, en revanche, c'est la mauvaise volonté que mettrait un SSP à intégrer un autre DSP (en lui refusant l'accès à certaines fonctionnalités ou avantages) parce que celui-ci serait un concurrent du DSP maison.

"Les questions d'interopérabilité peuvent également être appréhendées au regard de la discrimination, de la transparence, ou des pratiques de couplage", note l'Autorité de la Concurrence.

Des restrictions sur les possibilités de collecter et d'accéder à certaines données

Plusieurs acteurs ont enfin souligné l'existence de restrictions concernant les possibilités de collecter et d'accéder à certaines données. "Une grande agence média a indiqué que certains grands acteurs refusent l'intégration d'éléments de suivi ou tracking des campagnes pour certains formats publicitaires, la fourniture des données relatives à la qualification par impression des audiences, et la fourniture de statistiques de recherches des marques des annonceurs", illustre l'Autorité de la concurrence. Longtemps critiqué pour de nombreuses erreurs commises dans la mesure de ses audiences, Facebook est ici le principal concerné. La plateforme a joué l'apaisement en s'ouvrant à des partenaires comme Moat, IAS et Comscore il y a plus d'un an.

Mais ces mesureurs ne taguent pas ses pages comme ils le font chez les autres plateformes. Ils se contentent d'auditer des données remontées par Facebook. Ce dernier explique ne pas laisser de tiers taguer ses pages pour ne pas exposer les données de ses utilisateurs. Il n'empêche, il est problématique que le mesureur en soit réduit à un rôle de chargé de validation des données communiquées par l'éditeur.

"Il en résulte un manque de transparence et une opacité qui créent une asymétrie entre ces plateformes et ces acheteurs intermédiaires techniques", commente l'Autorité de la concurrence. Toutes les grandes plateformes ne jouent clairement pas le jeu sur ce sujet de la mesure.