Ciblage publicitaire et RGPD : pris de court, les éditeurs ont gros à perdre

Ciblage publicitaire et RGPD : pris de court, les éditeurs ont gros à perdre Appnexus a annoncé qu'il rejetterait la data utilisateur sans consentement explicite à partir du 25 mai. Google pourrait en faire de même.

Le règlement européen sur la protection des données personnelles (RGPD) tourmente annonceurs et e-commerçants depuis des mois. Les éditeurs, eux, obnubilés qu'ils sont par le futur règlement eprivacy prévu pour 2019, n'ont pas forcément pris la mesure du tsunami qui va déferler sur eux le 25 mai, date d'entrée en vigueur du RGPD.

Selon plusieurs acteurs de l'adtech contactés par le JDN, DBM, le DSP de Google, projette de demander des garanties à tous les fournisseurs d'inventaire. Ces derniers devraient lui assurer que l'utilisateur dont la data est associée à une impression publicitaire (bid request) a bien communiqué son consentement. "Il faut s'attendre à ce que tout ID qui ne s'accompagne pas de l'opt-in utilisateur côté SSP ou éditeur soit rejetée par le DSP", résume Vincent Mady, CTO de la plateforme d'achat Tradelab. DBM suivrait ainsi l'orientation prise par un autre DSP, Appnexus. Celui-ci conditionnera à partir du 25 mai le partage des données de ses clients à l'adhésion au framework de recueil du consentement GDPR Transparency & Consent Framework.

"Aucun des éditeurs du réseau Teads ne remplit le champ dédié au consentement de l'utilisateur"

Ce standard imaginé par l'IAB Europe assure que chacun des intermédiaires de la chaîne de valeur publicitaire a obtenu le consentement de l'utilisateur pour utiliser sa data. L'IAB l'a rendu live le 25 avril dernier. A date, le JDN n'a pu identifier aucun éditeur français l'ayant mis en place. "L'éditeur qui envoie la bid request est censé remplir un champ dédié où il assure avoir bien recueilli le consentement de l'utilisateur. Je n'ai pour l'instant vu aucun de nos éditeurs le faire", illustre le chief data officer de Teads, Alain Sanjaume, qui compte dans son réseau des éditeurs français comme Les Echos, BFM TV ou TF1.

Il faut dire que pour être capable de communiquer le consentement de l'utilisateur au sein de ce framework, les éditeurs doivent d'abord le recueillir via une plateforme baptisée consent management platform (CMP). En France, les éditeurs les plus avancés sur le sujet comme Groupe Figaro en sont tout juste à intégrer cette dernière (Le propriétaire du JDN a déjà choisi son prestataire technique). "C'est cette étape qui est vraiment compliquée, plus que le transfert de l'information via le framework de l'IAB, explique une régie. C'est difficile de mettre en place un bandeau qui explique à tout nouvel arrivant pourquoi son consentement est demandé et quel partenaire est susceptible d'exploiter sa donnée. C'est d'autant plus complexe techniquement qu'il doit également pouvoir choisir auprès de quels partenaires il accepte de la partager." En Europe, Axel Springer montre la voie : le groupe a testé différentes formules pour recueillir ce consentement de l'utilisateur et vient de communiquer ses conclusions dans un article de Digiday.

"Les premières semaines, le marché continuera à fonctionner comme il le fait actuellement. Le temps que tout le monde soit conforme"

Alors que l'échéance RGPD se rapproche à grands pas, le peu d'avancée des éditeurs est problématique. Dans un univers qui carbure au bundle "data + media", la fin du ciblage d'audience par les DSP au sein de leur inventaire les couperait d'un grand nombre d'acheteurs. Ces derniers se satisferont difficilement d'impressions publicitaires sans aucune data associée, "ce serait revenir à ce qu'on faisait au début des années 2000", s'agace un patron d'adtech.

Heureusement pour les éditeurs, les DSP américains semblent disposés à leur accorder une période de transition. "A partir du 25 mai, on entrera dans une période grise de quelques semaines où le marché continuera à fonctionner comme il le fait actuellement, le temps que tout le monde se mette en conformité", estime notre patron. Un acheteur utilisateur de la plateforme confirme : "Appnexus nous a indiqué qu'il continuerait à fournir les informations relatives aux ID publicitaires, même si elles ne s'accompagnent pas du recueil du consentement. Ils vont en revanche limiter l'accès aux structures jugées les moins fiables pour éviter tout risque." Attention tout de même, cette position est de l'aveu même des équipes d'Appnexus "susceptible de changer jusqu'au dernier moment".

C'est tout aussi flou du côté de Google : "On ne sait toujours pas si DBM exclura ou non les ID non conformes. On navigue vraiment à vue", regrette notre acheteur. Difficile d'obtenir plus d'informations du côté du géant américain. "Nous discutons effectivement avec des partenaires dans le cadre de notre engagement à nous conformer au RGPD mais nous n'avons pas de changements spécifiques à partager pour le moment", se contente de répondre au JDN un porte-parole de Google. Et de rappeler l'annonce faite fin mars de la refonte de la politique de confidentialité de la plateforme en vue de l'arrivée du RGPD.

Google veut pousser l'achat contextualisé

Une source interne nous confirme toutefois que "lorsque le RGPD entrera en vigueur, les éditeurs devront prendre des mesures supplémentaires pour obtenir le consentement de leurs utilisateurs." Appnexus a ainsi envoyé un email à ses clients éditeurs, le 24 mai, pour les informer qu'ils devraient s'attendre à une baisse significative, entre 25 et 75%, des achats en provenance de DBM pour les éditeurs non équipés d'un CMP. La société est en train de négocier avec DBM la mise en place d'une white list et incite ses clients éditeurs à faire pression sur Google pour en faire partie. 

Mail envoyé par Appnexus à ses clients éditeurs (cliquer pour aggrandir). © Capture d'écran

Google proposera d'ici la fin du mois une solution pensée pour ceux qui ne voudraient (ou ne pourraient) pas diffuser de publicité personnalisée. A défaut de cibler l'utilisateur qui visite le site, les acheteurs pourraient se rabattre sur le type de site visité. "Google veut revenir aux bases de l'achat programmatique contextualisé qui reste très efficace pour un annonceur dans une démarche d'acquisition", explique notre acheteur.

La position de Google, si elle devait se vérifier, fait grincer des dents. Le géant de la publicité, plus que jamais dans le viseur de Bruxelles, soutient vouloir simplement se conformer au RGPD. Mais beaucoup le soupçonnent d'instrumentaliser le règlement pour arriver à ses fins. "Si DBM rejette toutes les impressions non conformes, ses utilisateurs se retrouveront à acheter essentiellement de l'inventaire Google", note notre patron d'adtech. Un faux-procès selon Vincent Mady, de Tradelab. "Je doute que ce soit dans l'intérêt de Google que l'on ne puisse plus acheter que de l'inventaire propriétaire de Google et de l'inventaire des quelques éditeurs qui utilisent son SSP, DFP. Les acheteur ne s'en contenteraient pas." Suffisant pour dissuader Google ?