La démocratisation du header bidding menace-t-elle les SSP ?

La démocratisation du header bidding menace-t-elle les SSP ? Comme ils l'ont fait avec les ad-networks il y a quelques années, les éditeurs pourraient être tentés de s'émanciper des SSP. Et décider de se connecter directement à la demande.

"Rubicon, Smart, Pubmatic… La plupart des SSP s'apparentent aujourd'hui à des ad-networks dont la seule préoccupation est de consolider leur part de marché auprès des éditeurs." Pour ce connaisseur du marché adtech, le temps où les SSP faisaient office de tour de contrôle permettant à un éditeur de gérer l'ensemble de sa stratégie programmatique est déjà loin. La raison de changement de cap ? Le header bidding qui, en simplifiant l'intégration de nouveaux partenaires (et leur exclusion si la collaboration est décevante) via un wrapper, a permis d'ouvrir un marché jusque-là verrouillé par les accords d'exclusivité noués entre les éditeurs français et les quatre SSP dominants : DFP de Google, Appnexus, Rubicon Project et Smart. De sorte que l'inventaire de médias comme Auféminin ou 20 Minutes, qui se sont mis au header bidding, est aujourd'hui accessible via la dizaine de SSP qui se sont connectés à leur wrapper, contre un seul il y a quelques années.

"Le header bidding oblige les SSP à être plus agressifs commercialement"

Si la démocratisation du header bidding a donc été pour des SSP comme Pubmatic, Improve Digital ou Index Exchange, une véritable planche de salut, elle pose aujourd'hui la question de leur valeur ajoutée. Car désormais, l'inventaire qu'ils proposent aux DSP est accessible chez la plupart de leurs concurrents. "Dans ce nouvel écosystème où tout le monde bosse avec tout le monde, les SSP n'ont pas beaucoup d'autres options que d'être plus agressifs commercialement", estime le dirigeant français de l'un d'entre eux. La marge d'un acteur comme Rubicon serait ainsi passée de 28 à 12% en l'espace de quelques années. Celle d'Appnexus est tombée à 8,5% alors qu'elle avoisine les 10% chez Smart. Une érosion d'autant plus compliquée à gérer que tous musclent dans le même temps leur force de vente, à grand renfort d'account managers et de business managers. Ici encore pour continuer à être dans les petits papiers des éditeurs… Jusqu'au point de non-retour ?

Notre connaisseur du marché adtech en est persuadé. "Les régies médias vont finir par se débarrasser des SSP, car leur valeur ajoutée décline, comme elles l'ont fait il y a 10 ans avec les ad-networks de type Hi-Media, Horyzon Media et autres", prophétise-t-il. Il imagine ces éditeurs décider de se connecter directement aux acteurs de la demande, les DSP, via leur wrapper. Comme ils le font déjà avec deux gros acheteurs programmatiques : Criteo et Amazon. L'occasion aussi pour eux de récupérer une partie de la commission des SSP désintermédiés. A l'instar de ce qu'on fait Le Figaro et Le Monde en lançant leur place de marché commerciale Skyline afin de récupérer celle des régies tierces comme Teads ou Sublime Skinz.

Un enjeu de compétitivité pour certains DSP

Ce scénario est d'autant plus plausible que côté achat, certaines plateformes généralistes sont aussi favorables à ce rapprochement. Ici encore, ce serait d'abord un enjeu de marge. "Les grands DSP indépendants comme The Trade Desk, Mediamath et Adform pourraient en profiter pour gagner en compétitivité par rapport à des concurrents présents des deux côtés de la chaîne", avoue notre patron de SSP. Deux des DSP du top 4 mondial, DBM (propriété de Google) et Appnexus, sont aussi présents côté supply, avec chacun un SSP. A la clé, une double commission lorsque la transaction s'opère depuis leur SSP vers leur DSP. "

Autre membre du top 4 des DSP, The Trade Desk, cherchait lui il y a quelques mois son responsable des partenariats éditeurs pour "faire grandir et entretenir les relations avec les médias clés du secteur". Car contrôler directement la relation avec l'éditeur, c'est s'assurer un avantage concurrentiel indéniable pour un DSP qui s'assure de ne pas être lésé par un intermédiaire. Amazon l'a bien compris, en témoigne le lancement de son propre wrapper de header bidding. Le géant de l'e-commerce est devenu en l'espace de quelques mois la 3e force publicitaire online aux Etats-Unis.

Mais si tout semble pousser éditeurs et DSP dans les bras l'un de l'autre, le mariage est encore loin d'être acté. Pour le patron France du SSP vidéo, Spot X, Sébastien Robin, ce serait un peu vite oublier le rôle d'entremetteur joué par les SSP. "Qui gèrerait alors toutes ces tâches qui nous reviennent aujourd'hui, du mapping de l'inventaire à la gestion des prix planchers, en passant par les règles de qualité des pubs ? Les DSP ? Ils ne sont suffisamment pas staffés pour le faire." C'est l'un des principaux arguments brandis par les SSP que le JDN a interrogés : l'importance du travail d'account management qu'ils opèrent aujourd'hui pour prémunir l'éditeur contre tout problème, technologique ou humain. Un travail de l'ombre sans lequel ce dernier aurait bien du mal à préserver la valeur de son inventaire, estiment-ils.

"Je doute que les DSP ont les ressources pour créer des connexions avec les trente principaux éditeurs de chaque pays"

"Le SSP est un garde-fou qui surveille les CPM obtenus, les taux de remplissage, les prix planchers et de nombreux autres paramètres", pointe le patron France d'Improve Digital, Philippe Guillemot. L'objectif du DSP est différent : obtenir la meilleure enchère possible pour son client acheteur, alors que celui de l'éditeur est d'obtenir des CPM les plus élevés possible. En d'autres termes, l'éditeur qui se priverait des SSP pour travailler en direct avec les DSP perdrait le principal garant de ses intérêts.

L'autre écueil à la désintermédiation des SSP est technologique. "Je doute que les DSP ont les ressources pour créer des connexions avec les trente principaux éditeurs de chaque pays", pointe Philipe Guillemot. Confirmation chez l'un des plus gros DSP du marché français. "On ne se connecte qu'avec les sources d'inventaires capables de nous garantir un volume d'investissements mensuel d'au moins 100 000 euros. De quoi rentabiliser les investissements humains et financiers nécessaires au branchement avec cette nouvelle source." Autant dire que peu d'éditeurs sont français sont potentiellement concernés pour ce DSP connecté à seulement 300 partenaires dans le monde…

S'il est compliqué pour un éditeur de se connecter avec les plus gros DSP, ce le sera encore davantage avec les plus petits. Car la plupart des acteurs de la demande n'ont pas de data centers répartis aux quatre coins du monde. "C'est très problématique pour un éditeur de se connecter avec un DSP qui n'a pas de data center proche. Cela génère des gros problèmes de latence dans les transactions et cela porte préjudice à la synchronisation des cookies entre l'éditeur et ce DSP", estime Sébastien Robin.

Difficile donc pour les éditeurs de se passer d'un tiers de confiance pour réussir à entrer dans les plans médias des DSP. "Mais ce rôle les SSP l'ont clairement perdu de vue avec l'arrivée du header bidding qui les a transformés en réseaux pubs, plus préoccupés par le volume d'inventaire qu'ils peuvent traiter que par les intérêts des éditeurs qui leur apportent cet inventaire", estime notre expert anonyme. Si la casquette de tiers de confiance ne peut pas échoir au DSP, qui donc pourra la porter ? "Les éditeurs vont avoir besoin d'une solution intégrée directement dans leur wrapper, en client-side, pour effectuer ces connexions en toute transparence. Ils ont besoin d'un acteur qui leur garantirait un contrôle total mais se chargerait, en leur nom, de la relation contractuelle avec les DSP", conclut notre anonyme.  Un SSP d'un nouveau genre en somme...