La crise risque de freiner le déploiement de la fibre optique

La crise et l'assèchement du crédit font peser un risque sur les investissements des opérateurs télécoms dans les nouveaux réseaux de fibre optique, selon l'Idate. En France, des inquiétudes se font déjà sentir.

La crise financière et économique actuelle va-t-elle avoir un impact négatif sur les acteurs des télécommunications et, à plus long terme, sur l'innovation au bénéfice du consommateur ? Oui, affirment les responsables de l'Institut de l'audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate), qui a organisé sa conférence annuelle de débats durant deux jours à Montpellier les 19 et 20 novembre, le DigiWorld 2008.

"Les analystes considèrent le secteur des services de télécommunication comme résilient. Il génère des cash-flows importants et ses revenus sont largement récurrents. (...) On a vu ainsi, ces dernières semaines, la plupart des opérateurs surperformer au regard des indices de référence. Les risques de credit crunch vont toutefois avoir un effet sur les fusions ou sur les investissements", analyse Yves Gassot, directeur général de l'Idate, lors d'une conférence de presse au DigiWorld.

D'autant que le potentiel de croissance du marché à court terme est de plus en plus réduit : aux Etats-Unis comme en Europe, les marchés de l'accès Internet et du mobile sont déjà fortement matures ; on assiste donc à un ralentissement de la croissance des lignes haut débit et mobiles.

Et pourtant c'est précisément aujourd'hui, à l'heure où le trafic Internet explose en raison des applications de peer-to-peer, des jeux massivement multijoueurs et de la forte croissance de la consommation des vidéos en ligne, où de nouveaux services comme la TV haute définition arrivent sur le marché, que les opérateurs doivent construire les réseaux du futur, investir dans une architecture de desserte en fibre optique pour apporter des centaines de mégabytes aux foyers. En Europe, les investissements dans la fibre optique sont estimés à 300 milliards d'euros.

"Des investissements considérables doivent être mis en œuvre pour construire ce fameux Internet du futur", indique Yves Gassot. En Europe, les investissements pour remplacer le cuivre par de la fibre optique sont estimés à 300 milliards d'euros. Or, poursuit le directeur général de l'Idate, "c'est au moment où les opérateurs devraient investir pour préparer un nouveau cycle de croissance que les investissements risquent d'être ralentis."

 

En France, les FAI réduisent la voilure de leurs investissements fibre

En France, pays avancé précurseur en Europe en matière de déploiement d'un réseau de desserte en fibre optique jusqu'à l'abonné, des inquiétudes se font d'ores et déjà sentir. Fin septembre, Orange n'avait que 17 000 abonnés à la fibre optique, contre un objectif initial de 150 à 200 000 abonnés fin 2008 (lire l'interview de Louis-Pierre Wenes, directeur exécutif d'Orange pour la France, du 15/02/2007). Début novembre, le PDG du premier opérateur de télécommunications en France, Didier Lombard, reconnaissait que son groupe ne tiendrait pas ses objectifs de raccorder un million de foyers en fibre optique à la fin 2008. Lors du DigiWorld 2008, Yves Parfait, le responsable du programme très haut débit pour Orange, a avoué aux "Echos" que l'opérateur a "reculé sa décision de passer de la phase d'expérimentation à celle des investissements".

A la même occasion, Maxime Lombardini, le directeur général d'Iliad, la maison-mère de Free, a déclaré que "le décollage du très haut débit aura lieu à la fin 2010-début 2011". Sur le premier semestre, le groupe n'a d'ailleurs investi que 32 millions d'euros dans le déploiement de son réseau de desserte en fibre optique pour raccorder les immeubles, et prévoit d'investir à peu près le même montant sur le deuxième semestre de cette année. Le groupe, qui a confirmé lors de sa conférence de presse de rentrée son objectif d'investir un milliard d'euros dans ce nouveau réseau d'accès à l'Internet très haut débit d'ici 2012 (lire l'article Zoom sur les fronts de bataille de rentrée de Free du 29/08/2008), avait pourtant présenté en début d'année un objectif d'investissement de l'ordre de 300 à 400 millions sur la période 2008-2009.

Aujourd'hui, à peine 150 000 Français surfent en très haut débit via la fibre optique, dont plus de 100 000 sur le réseau câblé de Numericable (lire l'article Numericable s'affirme comme le premier FAI fibre optique en France du 12/09/2008). Le câblo-opérateur, qui a investi 250 millions d'euros en 2008 dans la fibre optique, a d'ailleurs annoncé récemment qu'il allait faire une pause dans le déploiement de son réseau jusqu'à l'été 2009.

La crise rendant frileux les opérateurs dans leurs investissements, la France atteindra-t-elle l'objectif de 4 millions d'abonnés très haut débit en 2012, comme le souhaite le gouvernement ? Car pour parvenir à cet objectif, dix milliards d'euros d'investissements sur les dix prochaines années sont nécessaires.