"Chez Uber, vous pouvez perdre votre job d'une minute à l'autre" Le système de notation, un pousse-au-crime ?

Seulement, le poids de la notation a d'autres conséquences. "Certains clients ont déjà tendance à nous prendre pour des domestiques et à nous traiter avec mépris, constate Louis. Et quand ils savent que nous sommes dépendants de la notation, ils en profitent pour nous demander de prendre les couloirs de bus ou rouler très vite." Or les chauffeurs sont tous confrontés à ce pousse-au-crime. "On m'a demandé de prendre une voie de bus, se souvient Aline. Je n'ai pas osé dire non pour ne pas être mal notée. Car quand on obtient plus de 4,9 sur une semaine, Uber nous verse 200 euros."

Assad (un pseudo), qui travaille pour Uber depuis plusieurs semaines, trouve difficile de rester dans les règles. "Une fois j'ai eu 1 sur 5 parce que je n'ai pas pris le couloir bus. Une autre fois j'ai eu 1 sur 5 parce que je n'ai pas voulu prendre 5 passagers, mais j'aurais risqué de perdre mon permis de conduire !" La note n'est certes pas communiquée au chauffeur dès la course achevée, mais retrouver les circonstances n'est souvent pas sorcier. "Chaque semaine, Uber nous envoie les notes que les clients nous donnent, rappelle Assad. Quand je vois une note de 1 sur 5, je me souviens que c'est à cause du couloir de bus. Et Uber ne demande pas pourquoi on nous a noté 1. Ils partent du principe que c'est une roulette, chaque chauffeur peut tomber mal."

Le client qui attribue une mauvaise note est obligé d'expliquer pourquoi

Ceci n'est pas tout à fait exact. Lorsque l'utilisateur attribue une note comprise entre 1 et 3, il est obligé d'expliquer pourquoi, en choisissant parmi six cas ou en remplissant un champ texte. S'il met 4, il peut aussi expliquer mais cela reste optionnel. "Nous regardons cela en permanence, indique Thibaud Simphal. Si l'insatisfaction expliquée ne concerne pas le chauffeur, notre système ne la prend pas en compte. Idem si la note de 1 à 3 n'est pas expliquée. Nous analysons toutes les statistiques par chauffeur, par catégorie de voiture, par quartier, etc. Nous sommes obsédés par ces statistiques, pour être justes."

Contre ces effets pervers, rien n'est fait

Quant aux effets pervers de la notation, Uber s'en lave un peu les mains, se bornant à affirmer qu'il rappelle sans cesse à ses chauffeurs qu'il est primordial de respecter le code de la route. La start-up est plus ambivalente concernant les couloirs de bus. "Ce n'est qu'une circulaire qui les réserve aux bus et aux taxis, souligne Thibaud Simphal. Son interprétation juridique est discutable et nous verrons plus tard si nous la remettons en question devant la Justice, comme dans d'autres pays. Pour le reste, c'est anecdotique. Aux chauffeurs, d'ailleurs, d'expliquer aux utilisateurs que leur demande est illégale, ou non conforme à la charte de qualité d'Uber. C'est à eux de défendre la marque Uber, comme dans n'importe quelle activité de service."

Ajoutons d'ailleurs que les chauffeurs peuvent eux aussi noter les clients après chaque course. "En notant mal un utilisateur qui abuse, qui nous demande de brûler les feux ou qui se comporte mal, cela sert aux chauffeurs suivants, qui peut-être le refuseront" espère Assad.