L'énergie verte allemande va-t-elle faire sauter les plombs européens ?

L'énergie verte allemande va-t-elle faire sauter les plombs européens ? La priorité donnée au renouvelable outre-Rhin déstabilise le réseau électrique et tire les prix de gros vers le bas.

Il faisait beau ce dimanche 16 juin 2013. Trop beau. Tellement beau que la consommation d'électricité en Europe a chuté, alors que la production d'énergie solaire et éolienne atteignait un pic. Ce jour-là, le kilowattheure s'est échangé à prix négatif en France, à -20,29 euros. Il est même tombé à -200 euros pendant quelques heures.

Une aberration économique, qui s'était déjà produite durant 70 heures de cotation en 2012 en Europe. L'explication ? Arrêter une centrale électrique, qu'elle soit thermique, nucléaire ou hydraulique, coûte de l'argent. Les producteurs sont donc prêts à payer pour continuer à écouler leur électricité superflue, même lorsque la demande n'est pas là.

graf
Le prix auquel l'électricité est échangée sur les marchés allemands a chuté de 65,8 euros par MW en 2008 à 37,9 euros par MW en 2013. Dans le même temps, le consommateur allemand paye lui son électricité de plus en plus chère. © JDN

Les producteurs seraient donc incapables de réguler le marché ? En fait, ce dernier est déstabilisé depuis quelques années par la montée en charge de la production d'électricité d'origine renouvelable en Allemagne. Sa part dans le mix électrique allemand est passée de 6,6% en 2000 à  23,5% en 2012, selon l'office fédéral des statistiques allemand. Hors, les producteurs d'énergie solaire et éolienne sont "hors marché" : ils bénéficient par contrat de tarifs de rachat fixe, quelle que soit la demande, et surtout ils sont prioritaires sur les autres fournisseurs. Ils n'ont donc aucune raison de mettre en veilleuse leur production, puisque celle-ci est sûre d'être vendue, au meilleur prix qui plus est. Or, "des énergies intermittentes prioritaires sur le réseau, il n'y a rien de tel pour mettre le bazar", assure Etienne Beeker, expert au Commissariat général à la stratégie et à la prospective. Les énergies intermittentes sont notamment l'éolien et le solaire, puisque la production, dépendant du climat, ne peut être constante.

Si les exploitants de centrales peuvent supporter quelques heures de prix négatifs, la chute des prix sur le long terme pourrait, elle, avoir des conséquences beaucoup plus graves, car elle met en péril les investissements et l'existence même de certaines centrales. "Les énergéticiens allemands, E.ON, RWE, EnBW et Vattenfall, jusqu'ici considérés comme des entreprises florissantes, voient leurs résultats se dégrader", avertit Etienne Beeker. E.ON, le premier électricien allemand, a enregistré en 2011 la première perte nette de son histoire : 2,2 milliards d'euros. En Allemagne, le taux d'utilisation des centrales à gaz est tombé à moins de 21% alors qu'il faudrait un taux de 57% pour atteindre la rentabilité, estime l'Agence internationale de l'énergie. Selon l'institut IHS, environ 130 000 mégawatts de centrales au gaz en Europe, soit 60% de la capacité installée, ne couvrent pas leurs coûts fixes et risquaient d'être fermées d'ici 2016.

Car l'Allemagne contamine tout le reste de l'Europe. Avec ses prix tirés vers le bas, il devient plus intéressant pour ses voisins d'importer l'électricité que de la produire eux-mêmes. En 2012, la France a importé 13 936 gigawattheures d'électricité en provenance de l'Allemagne, contre 8 445 gigawattheures en 2011. Une augmentation notamment motivée par les prix bas.

En Allemagne, le taux d'utilisation des centrales à gaz est tombé à moins de 21%

Outre le problème économique, les énergies intermittentes menacent directement la stabilité du réseau européen. "Lorsqu'un afflux massif d'électricité sature le réseau, comme c'est le cas souvent avec l'énergie solaire, cela perturbe la fréquence du courant", explique Etienne Beeker. Le 4 novembre 2006, un simple incident sur une ligne du Nord de l'Allemagne, alors que les éoliennes fonctionnaient à plein régime, a entraîné un black-out général sur l'Europe. EDF a dû opérer en urgence des "délestages" (en clair, couper le courant à certains foyers) pour éviter la catastrophe. La Pologne et la République tchèque, elles aussi, voient d'un très mauvais œil l'afflux d'électricité verte sur leurs réseaux. Le CEPS, qui opère le réseau tchèque, a décidé en 2012 de la construction d'un transformateur géant près de la frontière pour bloquer le courant au-delà d'un certain seuil.

Consciente du problème, la Commission européenne prône la construction d'interconnexions entre les pays de l'UE pour faciliter les échanges d'électricité verte. Le projet, baptisé mécanisme d'interconnexion en Europe (MIE), devrait voir le jour à partir de 2014 et sera doté de 50 milliards d'euros. Mais les montants en jeu sont bien plus importants : 250 milliards d'euros d'investissements seraient nécessaires d'ici 2030 pour finaliser les liaisons manquantes et éliminer les goulets d'étranglement, estime elle-même la Commission.

En attendant, les ménages allemands voient eux leur facture d'électricité augmenter à vue d'œil, en raison des taxes supportant les énergies renouvelables. Entre 2000 et 2013, elle est passée de 488 à 1006 euros.