Grèce : les fonds structurels à la rescousse ?
Près de 65% des électeurs grecs se sont exprimés contre le «mémorandum», le programme imposé par la Troïka. Les Grecs semblent, à raison, convaincus du risque de chaos qui résulterait d'une sortie de l'Euro. Peuvent-ils le conserver sans respecter le mémorandum ?
Après l’annonce de la tenue de nouvelles élections, la situation grecque prend une tournure de plus en plus complexe. Le paradoxe du pays est que près de 65% des électeurs se sont exprimés contre le «mémorandum» (le programme imposé par la Troïka) alors que, selon les sondages, près de 75% du pays est pour le maintien dans la zone euro. Les grecs semblent, à raison, convaincus du risque de chaos économique qui résulterait d’une sortie de l’Euro.Pour autant, si l’on en croit M. Schäuble, la Grèce ne peut rester dans la zone Euro que si elle respecte le mémorandum…
Les nouvelles élections ne
peuvent aboutir qu’à trois issues :
* Les
élections ne permettent pas de désigner un nouveau gouvernement,
* Un
gouvernement pro-mémorandum est formé,
* Les
partis anti-mémorandum emportent une majorité absolue au Parlement.
Examinons ces trois scénarii
La Constitution grecque ne semble
pas comporter de disposition similaire à l’article 16 de la Constitution
française, donnant des pouvoirs exceptionnels au Président en situation de
crise, de sorte que les grecs paraissent condamnés à devoir voter ad nauseam tant qu’un gouvernement n’est
pas formé. Dans la situation actuelle, marquée notamment par d’importantes
fuites de capitaux et des risques réels de coupures de courant faute de moyens
de financement disponibles pour PPC (opérateur d’électricité grec), nous
pensons que cette situation nuirait gravement à la crédibilité personnelle de
tous les hommes politiques grecs et qu’ils seront donc contraints, d’une
manière ou d’une autre, de former un gouvernement par la pression populaire –
ne serait-ce que pour épargner les 20 M€ de dépenses occasionnées par chaque
suffrage.
Même si les derniers sondages
montrent une poussée du parti d’extrême gauche anti-mémorandum SYRIZA, une
coalition pro-mémorandum pourrait remporter les élections en les transformant
en référendum pour ou contre l’Euro. L’attitude de l’Allemagne sera, à cet
égard, déterminante : il faudra convaincre le peuple grec que sa sortie de
l’Euro est inéluctable en cas de refus du mémorandum, sans pour autant briser
l’unité européenne. L’exercice est extrêmement délicat. Il nous paraît plus
probable que le PASOK comme ND décide d’adopter une attitude plus nuancée,
promettant une négociation à la marge du mémorandum, avec l’accord tacite des Allemands.
Enfin, si les partis
anti-mémorandum remportaient les élections, ce qui est probable, ils seraient
confrontés à une situation très complexe : maintenir la Grèce dans la zone Euro,
puisque c’est le souhait du peuple grec, sans respecter les engagements du
référendum, puisque c’est la position de SYRIZA. Du point de vue allemand,
cette position est naturellement inacceptable, ou tout du moins elle l’est en
apparence, pour l’instant. Un compromis sera plus difficile à trouver qu’avec
une coalition PASOK-ND, mais les enjeux, pour les deux partis, seront tellement
colossaux que le compromis reste la solution la plus probable.
En conclusion, il nous semble que
les trois scénarios conduisent au même résultat : le retour à la table des
négociations début juillet. Le rapport de force sera essentiellement dirigé par
les enjeux politiques et financiers de chacun.
Les enjeux
Pour la Grèce, les enjeux sont
connus : en l’absence d’accord avec la Troïka et l’Eurogroupe, les financements
additionnels seront stoppés, la Grèce sera en défaut, la BCE stoppera ses
financements aux banques grecques et la fuite des capitaux sera colossale, de
sorte que la Grèce sera obligée de réinstaurer un contrôle des capitaux et sans
doute même des frontières. La dernière fois que l’Europe a connu une situation
similaire, en 1918-1919, les pays de l’ex-empire austro-hongrois avaient dû
envoyer leurs soldats aux frontières pour empêcher les citoyens de sortir du
pays avec leur argent…
Il est également probable que la
BCE couperait l’accès de la Banque centrale grecque au système Target 2 de
sorte que le pays serait, de facto, sorti de la zone euro, tout en maintenant
une économie « euroisée ». Pour assurer le paiement des dépenses publiques, il
n’y aurait alors qu’une seule alternative: équilibrer immédiatement les
comptes publics, ce qui paraît un exploit, même si le déficit structurel grec
n’est pas très élevé, ou introduire une nouvelle monnaie et faire tourner la
planche à billets avec le risque hyper-inflationniste qui en découle.
Le choc
sur le PIB du pays serait colossal et les hypothétiques bénéfices sur la
croissance d’une dévaluation ne se feraient pas sentir rapidement, bénéfices
qui restent d’ailleurs à démontrer, tant il n’est pas évident d’identifier
quelles sont précisément les industries grecques (à part le shipping et le
tourisme) qui bénéficieraient rapidement de la dévaluation. On se demande en
revanche avec quel argent le pays pourrait continuer ses importations massives...
Le pays ne serait plus en mesure
de s’approvisionner en denrées aussi essentielles que l’électricité ou les
médicaments, faute de production locale suffisante. Il n’est guère besoin
d’épiloguer sur le sujet : une sortie de la zone euro serait une catastrophe
économique et sociale pour la Grèce, un échec politique majeur pour toute sa
classe politique et ferait monter les risques de voir un régime autoritaire
s’installer (la Grèce a un taux de soldats par habitant parmi les plus élevés au
monde).
Quels seraient les enjeux pour l’Allemagne ?
Nous avions, il y a plus d’un an,
souligné l’importance des enjeux budgétaires en cas de sortie de la zone euro
et montré à quel point ils excédaient les chiffres généralement cités. La
situation s’est évidemment aggravée au cours des douze derniers mois. Les
montants directement en risque pour l’Allemagne s’élèvent à plus de 90 Mds€, bien plus qu’il n’en faut
pour renflouer l’économie grecque : 30 Mds€ d’exposition sur la Banque centrale
via Target 2, 14 Mds€ via le programme SMP, 15 Mds€ via le prêt bilatéral, 32 Mds€
via les garanties données à l’EFSF. La France n’est guère mieux lotie avec un
risque direct de 66 Mds€. En cas de sortie de la Grèce de la zone euro, seule
une petite partie de ces sommes seraient récupérées.
Le risque indirect, via les
expositions bancaires, les effets de contagion et les effets macroéconomiques,
est évidemment nettement plus élevé mais beaucoup plus difficile à mesurer.
On a donc du mal à imaginer que
ces deux pays acceptent l’ardoise et ne cherchent pas à toute force un
compromis.
La solution miracle : les fonds structurels
Naturellement, l’enjeu primordial
sera, pour tous ces dirigeants, de sauver la face et préserver leur position
politique.
Les dirigeants grecs, surtout si
une coalition anti-mémorandum est élue, devront obtenir une renégociation des
termes de l’accord. L’Allemagne devra montrer qu’elle
ne rajoute pas un centime d’argent public et qu’elle maintient une position
ferme sur les réformes structurelles.
La France devra montrer que des
initiatives pour la croissance sont prises, puisque c’est le principal mot
d’ordre du nouveau Président. Or, presque par chance, il existe
une solution à cette équation quasi impossible : les fonds structurels.
Les fonds structurels européens
regroupent le FEDER (développement régional), le FSE (stratégie pour l’emploi),
le Fonds de cohésion (environnement et infrastructures), le FEOGA (politique
agricole) et l’IFOP (pêche). Ces fonds sont naturellement à destination des
régions les plus défavorisées, celles ayant un PIB inférieur à 75% de la
moyenne européenne étant les principales bénéficiaires. Selon le dernier
rapport d’Eurostat, toutes les régions grecques, à l’exception de l’Attique,
sont des bénéficiaires potentiels et six régions sont en deçà du seuil de
75%. Le budget 2007-2013 allouait 20 Mds€
à la Grèce.
L’utilisation des fonds
structurels en Grèce a été fortement critiquée en raison de la sur-utilisation
des fonds pour des projets d’infrastructures d’intérêt discutable, de la
bureaucratie inefficace, de soupçons de fraudes, etc.
Mais la situation
actuelle est source d’opportunités :
* Sur
les 20 Mds€ alloués pour la période 2007-2013, seuls 12 Mds€ ont été utilisés.
Une enveloppe disponible de 8 Mds€, soit 4% du PIB grec, peut être mobilisée
sans impact additionnel sur les budgets des pays de l’Union.
* Les
principales raisons de la non-utilisation de ces sommes sont (i) les
difficultés de gestion administrative, (ii) le manque de projets
d’infrastructures pertinents et (iii) les exigences de cofinancement avec le
pays concerné : la Grèce n’ayant plus d’argent, elle ne peut plus payer sa
quote-part de nouveaux projets et les sommes sont donc bloquées, une situation
ubuesque. Or, le nouveau Parquet législatif européen pour la période 2014-2020,
dévoilé en octobre dernier, propose précisément d’assouplir ces contraintes, en
mettant l’accent sur le développement des PME, en relâchant la contrainte de
cofinancement pour des pays en difficulté budgétaire et en proposant des
mécanismes de facilitation administrative. Une task force est d’ailleurs à Athènes depuis septembre dernier,
précisément sur ce point.
* Le
projet de budget 2014-2020 prévoit une enveloppe totale de 376 Mds ce qui, à
proportion inchangée, représenterait 21,5 Mds€ pour la Grèce. Cette enveloppe
pourrait probablement être revue à la hausse compte tenu de la situation du
pays et son déploiement pourrait être accéléré.
Tout cela mis bout à bout
permettrait aux gouvernements européens de présenter un « package » de
croissance d’au moins 30 Mds€ pour la Grèce, dont 8 Mds€ disponibles tout de
suite, soit près de 15% du PIB, sans doute de quoi apaiser un prochain
gouvernement grec. Des financements octroyés par la BEI pourraient également
augmenter les sommes affichées.
Ce plan ne constituerait pas un fardeau
additionnel sur les finances allemandes, s’afficherait dans la droite ligne de
la politique voulue par M. Hollande, confierait un rôle prépondérant aux
institutions européennes et donnerait une vraie bouffée d’oxygène à la Grèce :
on ne voit pas qui pourrait y être hostile. De nombreuses déclarations de la
Commission européenne et la première conférence de presse de M. Hollande et Mme
Merkel semblent toutes pointer dans cette direction.
Reste à le faire accepter
par un prochain gouvernement grec : la nature exacte des concessions aux règles
usuelles régissant les fonds structurels, les montants définitifs et les
éventuels ajustements au calendrier du mémorandum dépendront sans doute du
résultat des élections.