Transposition de la directive "monnaie électronique": le texte arrive au Sénat

Le 1er août 2012, Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, a présenté en conseil des ministres le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Le projet de loi déposé le 1er août 2012 doit transposer trois directives européennes : la directive 2009/ 110/CE du 19 septembre 2009 sur la monnaie électronique (dite « DME2 »), la directive 2010/78/CE du 24 novembre 2010, dite « Omnibus I », sur les compétences des autorités européennes de supervision des banques, des assurances et des marchés financiers, et la directive 2011/7/UE du 16 février 2011 sur la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales.

        I. Historique d’une transposition qui se fait attendre

 La directive devait être transposée avant le 1er mai 2011 dans les États membres.

  • Le gouvernement a tenté à trois reprises de transposer la DME2 en droit français par voie d’habilitation législative.

En vertu de l'article 38 de la Constitution, le gouvernement peut demander au parlement l'autorisation -dite habilitation législative-  de transposer par ordonnance (pendant un délai limité fixé par l’autorisation), des mesures qui relèveraient normalement de la loi, cette procédure est généralement utilisée pour accélérer l’entrée en vigueur de nouvelles dispositions. Précisons, que c’est d’ailleurs par voie d’ordonnance que la directive sur les services de paiement avait été transposée en France.
Conformément à cette procédure, le gouvernement avait donc été habilité, par la loi de régulation bancaire et financière du 22 octobre 2010, à transposer la directive DME2 par ordonnance dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi (loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, article 23). Malheureusement, l’habilitation a expiré avant que le processus permettant l’adoption de l’ordonnance ne soit achevé.
Une deuxième tentative de transposition par habilitation du gouvernement à transposer par ordonnance a eu lieu dans le cadre du projet de loi renforçant les droits, la protection et l’information des consommateurs, enregistré à la présidence du Sénat le 7 décembre 2011. Cependant, cette habilitation a été supprimée au cours du débat. Une troisième tentative a été introduite dans le projet de loi
de simplification des formalités administratives, mais le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition car les ajouts en cours de processus législatif doivent « être en relation directe avec une disposition restant en discussion », ce qui n’était pas le cas en l’espèce. La loi a donc été amputée de l’habilitation tant attendue dans sa version définitive du 22 mars 2012.

  • Le délai de transposition étant très largement dépassé, la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre la France, la Belgique, l'Espagne, Chypre, la Pologne et le Portugal.

Le 25 avril 2012, la Commission européenne a « invité » ces Etats à l’informer, dans un délai de deux mois, des mesures prises pour mettre leur législation nationale en conformité avec la DME2). Les élections présidentielles et législatives de 2012 ont inévitablement repoussé la transposition.

  • Cette fois-ci c’est donc par la voie du projet de loi à examiner au Parlement (Sénat et Assemblée Nationale), que la France tente de transposer la DME2.

Le projet de loi qui comprend 44 articles dont plus d’une trentaine relatifs à la monnaie électronique (Titre I du projet de loi) devrait être envoyé à la commission des finances, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale. Aucun calendrier n’est prévu à ce jour et il convient de ne pas négliger la durée des débats parlementaires en vue de l’adoption de la loi.

     II.            Apports attendus de la transposition de la DME2

  • De la DME1 à la DME2

La DME2 est une nouvelle étape dans la refonte du secteur européen des paiements, portée par la Commission européenne et l’industrie des paiements pour créer un véritable marché intérieur des paiements électroniques, notamment dans le cadre du projet d’espace unique européen de paiements en euros ou « SEPA » (Single European Payment Area), à l’image de ce qui avait été fait pour créer le marché unique de l’euro fiduciaire (appelé aussi SECA, Single European Cash Area).

La réforme modifie le statut des établissements de monnaie électronique tel qu’issu de la directive 2000/46/CE du 18 septembre 2000 (dite « DME1 », qui a été publiée au JOCE L. 275/39 du 27 octobre 2000), qui avait été critiqué pour sa lourdeur et le peu de vocations qu’il a suscitées en pratique dans de nombreux Etats membres et précise les règles applicables à l’émission de monnaie électronique. La lecture du rapport d’évaluation du 17 février 2006 et de l’analyse de la Commission (Commission staff working document) est édifiante à cet égard.
Les établissements de monnaie électronique, dont le régime prudentiel se rapprochera désormais de celui des établissements de paiement, pourront fournir des services de paiement en plus de leur activité de monnaie électronique. A l’inverse, les établissements de paiement ne seront pas autorisé à émettre de la monnaie électronique.

  •  Vers un nouvel élan pour le développement de l’e-monnaie en France ?

En France, le statut actuel d’établissement de monnaie électronique demeure encore régi par le Règlement 2002-13 du 21 novembre 2002 du comité de la réglementation bancaire et financière (CRBF) relatif à la monnaie électronique et aux établissements de monnaie électronique, qui est lourd de contraintes pour les établissements de monnaie électroniques : exigence de capital d’un million d’euros, interdiction d’activités autres que celles liées à la monnaie électronique, limitation de chargement et d’utilisation des instruments anonymes, etc. outre les contraintes inhérentes à la monnaie électronique notamment en matière de remboursabilité et d’exigences prudentielles. Or, depuis janvier 2009 ce Règlement est devenu contradictoire sur certains points avec le code monétaire et financier (CMF). En effet, le CMF a notamment été complété par une disposition relative aux limitations applicables aux instruments de monnaie électronique anonymes, qui contredit les limitations prévues au Règlement 2002-13 : (i) le code n’impose pas de limite d’utilisation alors que le Règlement prévoit un plafond de 30 euros par transaction ; et (ii) aux termes du CMF la limite de chargement est de 2.500 ou 250 euros selon que l’instrument est rechargeable ou non, alors qu’elle est de 150 euros en vertu du Règlement.
L’insécurité juridique ainsi créée et le retard pris dans la transposition de la DME2 (qui plus est, sans visibilité sur l’agenda prévisible de la transposition), ont mis à mal l’attractivité que la monnaie électronique pouvait avoir en France et ont bénéficié à nos voisins européens.

  • Le projet de loi constitue donc une réelle opportunité pour les projets français de connaître enfin l’essor attendu.

La DME2 étant d’harmonisation maximale, la réglementation française va donc s’aligner sur les dispositions instaurées au niveau européen en transposant les nouvelles règles prévues pour l’émission de monnaie électronique.

Précisons, cependant, que les Etats membres ont le choix quant à la mise en œuvre de certaines dispositions générales prévues par la directive, et qu’un certain nombre d’options restent à la discrétion des Etats membres.
Citons par exemple quelques dispositions du projet de loi relatives :

  •  À la désignation d’un représentant permanent résidant en France pour les Etablissements de monnaie électronique et les Etablissements de paiement agréés dans un autre état européen et distribuant leur services en France (via agents, distributeurs… ) et ce afin notamment de renforcer le contrôle anti-blanchiment,
  • À la mise en place de règles spécifiques pour les transferts de fonds effectués en monnaie électronique, 
  • Aux titres spéciaux de paiement dématérialisés
  • Au statut d’établissement de monnaie électronique exempté pour les établissements dont les activités commerciales dans leur ensemble génèrent une moyenne de la monnaie électronique en circulation inférieure à 5 millions d’euros (statut purement national qui ne bénéficie pas du passeport européen)
  • etc.

Il conviendra donc de suivre avec attention les débats, qui devraient débuter au Sénat à la rentrée.

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Chronique rédigée avec Me Breteau - Cabinet ULYS.