Les TICS et la modernisation des administrations africaines

Les Technologies de l'Information et de la Communication sont des facteurs clés de modernisation des administrations des pays émergents. Le cas du Gabon, via les TAG, en est une bonne illustration.

L’ensemble des pays émergents s’est lancé dans des politiques d’investissements massifs, en particulier dans les équipements et la construction de réseaux à haut débit. En Afrique et au Moyen-Orient, les dépenses publiques dans ces technologies se sont accrues de 11% en 2011, pour atteindre près de 6 milliards $. Cette évolution concerne le secteur privé, mais aussi, bien que dans une moindre mesure, le secteur public, l’idée sous-jacente étant de construire des applications simples et adaptatives contribuant à l’amélioration de la qualité de service et à la performance des agents. Les TIC (technologies de l’information et de la communication) sont un levier de modernisation pour les États. Elles s’inscrivent dans la logique des infrastructures clés qui permettent de fluidifier les flux d’informations et d’accélérer certaines procédures en simplifiant la vie des usagers.
Pour les États émergents, la transformation est un défi de tous les instants, et les TIC constituent un efficace catalyseur du passage à l’émergence. Pour rendre irréversible ce passage, il est indispensable de créer des dispositifs de suivi et d’évaluation de la transformation pour mesurer les progrès accomplis. Il est également indispensable de récompenser le mérite des artisans de la transformation car les projets d’émergence s’incarnent dans des structures et des services qu’il est opportun de valoriser.
Ainsi, en juin 2012, le Gabon  a organisé les premiers Trophées de l’Administration Gabonaise (TAG). Les 22 projets présentés illustrent des tendances fortes de la modernisation d’un État émergent. Parmi celles-ci, le recours aux TIC, au service des agents et des usagers, s’est imposé comme un maillon essentiel puisque deux des neuf projets primés reposent sur ces technologies. Les activités qu’ils recouvrent reflètent les deux facettes de la « e-administration » et préludent à l’avènement d’un nouvel Etat, toujours plus centré sur les besoins des usagers et toujours plus performant.

La mobilisation des TIC pour améliorer le service aux usagers
Simplifier la vie des citoyens en promouvant une administration « sans couture » et transparente, via un accès facile aux informations administratives, est un des objectifs primordiaux poursuivis par les projets d’e-administration. La cible ultime consiste alors à créer un portail informatif et interactif, offrant aux usagers la possibilité de réaliser toutes leurs démarches en ligne.
Dépasser la complexité administrative grâce à la technologie suppose de développer des relations transverses et décloisonnés entre les services administratifs. Cela implique aussi de traiter plus rapidement les informations transmises par les usagers afin de les inciter à privilégier ce canal de communication avec l’administration.
En outre, les TIC ne peuvent prétendre à leurs lettres de noblesse d’outils privilégiés d’interaction entre l’administration et les usagers que si les dispositifs sont adaptés à la maturité technologique réelle des usagers, de manière à atteindre l’ensemble des populations, même les plus éloignées des TIC. De fait, dans la plupart des pays émergents, ce sont essentiellement les m-services (services mobiles) qui se diffusent dans la mesure où le taux d’équipement en mobile dépasse très largement celui d'accès à Internet.
Le projet Gabon On Line (GOL), primé dans le segment « gestion des services » des TAG, s’inscrit pleinement dans cette visée d’écoute usager. En effet, il vise à rapprocher l’entreprise et le citoyen de l’administration en harmonisant et promouvant la présence institutionnelle des ministères gabonais sur la toile.
Il prévoit d’ici fin 2013, que les sites Internet de tous les ministères, des mairies et des ambassades soient développés selon une architecture commune (i.e. standards d’ergonomie et plan des sites communs).
En pratique, si tous les ministères sont aujourd’hui dotés d’un site Internet, les mairies et les ambassades ciblées pour les premières mises en œuvre l’ont été en fonction des volumes de dossiers traités et des attentes des usagers. A plus longue échéance, le projet GOL prévoit de créer un portail des démarches administratives ; les démarches mises en ligne étant sélectionnées à partir de l’étude des besoins prioritaires des usagers.
De même, le projet d’assurance maladie obligatoire primé dans le segment « santé et protection sociale » s’est largement appuyé sur les TIC pour améliorer le service rendu aux usagers ; l’objectif initial étant de garantir un meilleur accès aux soins. Ainsi, la mise en œuvre du nouveau système d’information et le recensement biométrique des assurés (600 000 assurés sont aujourd’hui recensés) ont permis de fiabiliser les taux de prise en charge et de réduire le paiement direct qui pesait lourdement sur les budgets des familles. Le projet a également permis de mieux interagir avec les prestataires de santé via notamment la dématérialisation des feuilles de soins.  

Une optimisation des contrôles et des transactions entre collaborateurs
La progression de la dématérialisation permet également de décloisonner les services et de mieux coordonner l’action au sein des structures de l’Etat. En ce sens, même en l’absence de télé-procédure, la fiabilité et la mise à jour des informations traitées par les entités administratives sont en elles-mêmes des facteurs d’amélioration du service.
Plus largement, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication permet d’améliorer la productivité des administrations en recentrant le travail des agents sur des activités à forte valeur ajoutée. Elle accélère le processus de décision et facilite les processus de contrôle en ouvrant la voie à des restitutions et croisements de données pertinents, via le déploiement d’applications métiers adaptées. Le but recherché est que l’administration dispose d’un appui performant via les SI et que les agents puissent se focaliser sur les missions opérationnelles.
Le projet Gabon Online, au-delà de sa dimension relation usager, s’inscrit également dans une recherche d’interactions facilitées et efficientes entre services, permises par les SI. En effet, il prévoit la mise en place d’intranets pour chaque ministère, offrant tous les outils nécessaires à la communication interne (compte de messagerie professionnelle, accès sécurisé aux applications métier…).
Il convient tout autant de mentionner le projet de modernisation du système d’information de contrôle des ressources et des charges publiques, qui a été primé dans le cadre du segment « Infrastructures et développement » des TAG. Ce projet vise à introduire un suivi fin des demandes de mandatement et de paiement de l’ensemble de l’Administration gabonaise. La structure d’audit et de contrôle ainsi conçue intervient ex ante. Le dynamisme de cette structure repose notamment sur la réactivité du SI, la dématérialisation des procédures et la mise en réseau des agents. Des applications dédiées sont en cours de développement, pour permettre aux agents habilités, et en particulier les contrôleurs budgétaires en poste dans chaque ministère, d’échanger des données à distance via une messagerie sécurisée. Ils alimenteront ainsi une base de données partagée qui ouvrira la voie à un travail collaboratif efficace. Les notifications seront faites en temps réel sans échange de document papier.

Si le recours aux nouvelles technologies est plébiscité comme étant un puissant levier de réforme et de modernisation, ce dont témoigne la place des TIC dans le palmarès des TAG, il ne saurait constituer une fin en soi. Ainsi, il doit être tourné vers l’intérêt général fédérateur, dans la durée, et répondre à une vision stratégique partagée. Les promesses des TIC envers les usagers ou les agents, ne doivent pas être trop hautes pour ne pas décevoir à terme : il s’agit donc d’être centré sur les besoins et d’être pragmatique dans la mise en œuvre, tout en pilotant finement les projets pour en garantir les résultats. Par ailleurs, les TIC ne sont susceptibles d’enclencher une dynamique vertueuse que si un travail de standardisation des processus métiers a été entrepris en amont afin d’éviter que l’outil informatique, structurant par conception, ne s’impose au métier. En parallèle, il s’agit d’identifier et de mobiliser  les ressources clés susceptibles de s’approprier de nouvelles habitudes de travail, en lien avec les TIC. C’est ainsi que le recours aux TIC, pour se faire sésame vers l’émergence, doit être combiné à l’ensemble des clés de l’émergence dont les projets primés par les TAG – qu’ils soient, ou non, associés aux TIC – font l’apologie. Les TIC ne peuvent en effet déployer toutes leurs potentialités que dans la mesure où elles s’intègrent dans des dispositifs de gouvernance, de formation et de communication appropriés et finalisés, c’est-à-dire tournés vers la modernisation.

Jean-Michel Huet, Directeur Associé BearingPoint, Julien Batt, manager BearingPoint et Diane de Pompignan, manager BearingPoint