L'évolution des crédits d'impôts dans le cinéma

A l’heure où certains pros du cinéma jasent sur un système de financement français des films dont la multiplication et le renforcement des dispositifs d’aides conduirait à l’augmentation des rémunérations des stars et à l’inflation du nombre de films, le législateur a renforcé par la loi de finance pour 2013 les crédits d'impôts à la production.

La loi de finance pour 2013 du 29 décembre 2012 renforce effectivement le « crédit d'impôt cinéma et audiovisuel » (CICA) qui concerne les productions françaises, ainsi que du « crédit d’impôt international » (C2I), qui concerne les productions étrangères effectuant des dépenses en France, ce en augmentant leurs plafonds, et en élargissant leur assiette. 
Avec les subventions directes (chaînes publiques, aides régionales, etc.) et les aides indirectes (obligation d'investissement des chaînes privées), le système du « crédit d’impôt cinéma » crée en 2004 constitue un des soutiens à la filière du cinéma français. Il a été élargi à la fiction en 2005 et par la suite été complété par le « crédit d’impôt international » mis en œuvre en 2009, afin d’attirer en France les tournages réalisés par des productions étrangères. Ces mesures assez récentes se révèlent pourtant aujourd'hui insuffisamment concurrentielles faces à celles créés par nos voisins. En effet, ces dernières années, beaucoup de productions ont fait le choix de déplacer leurs tournages en Belgique, en Allemagne ou en Espagne, et ceci pour des raisons de coût. D’après la Ficam (Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia), au premier trimestre de 2012, 42 % des longs-métrages français se sont délocalisés chez nos voisins européens (contre 22 % au premier trimestre de 2011). Cela représente le taux le plus important enregistré ces cinq dernières années.
Cette délocalisation est d’autant plus gênante qu’une partie de ces films obtiennent des aides du Centre National de la Cinématographie (CNC).
La réforme a donc pour objectif d’endiguer cette tendance. Nous étudierons tour à tour le système des crédits d’impôts, les situations concrètes où ils s’applique, ses conditions d’attribution, ainsi que les modifications apportées par son récent renforcement, et le contexte dans lequel celui-ci se situe.

 I)  Le système du crédit d’impôt cinéma et audiovisuel (CICA)

a) A qui est accordé le CICA ?

Le crédit d'impôt CICA bénéficie aujourd'hui aux entreprises de production audiovisuelle qui sont soumises à l'impôt sur les sociétés et qui assument les fonctions d'entreprises de production déléguées.

L’objectif du crédit d’impôt est de permettre aux entreprises de production d'œuvres cinématographiques soumises à l'impôt sur les sociétés, de bénéficier, sur agrément, d'un crédit d'impôt pour certaines opérations.

Ces opérations en question sont les œuvres cinématographiques appartenant aux genres de la fiction, du documentaire et de l'animation, qui répondent aux conditions suivantes :
- elles doivent être réalisées intégralement ou principalement en langue française ou dans une langue régionale en usage en France;
- elles doivent être admises au bénéfice du soutien financier à la production cinématographique ;
- elles doivent être réalisées principalement sur le territoire français. Le décret du 20 mars 2006 détermine les modalités de cette condition ainsi que les conditions et limites dans lesquelles il peut y être dérogé pour des raisons artistiques justifiées ;
- elles doivent contribuer au développement de la création cinématographique française et européenne ainsi qu'à sa diversité.

Les « œuvres cinématographiques à caractère pornographique ou d'incitation à la violence » ainsi que les « œuvres cinématographiques utilisables à des fins de publicité » sont exclues du champ de ce crédit d’impôt.

b) Comment obtenir ce crédit d'impôt ?

Afin d’obtenir ce crédit d'impôt, les auteurs, les artistes-interprètes et le personnel de la réalisation et de la production doivent être de nationalité française ou alors ressortissant d'un État membre de la Communauté européenne, d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou d'un État partie à la convention européenne sur la coproduction cinématographique du Conseil de l'Europe.

La demande doit être effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au président du CNC avant le début du tournage. Cette lettre doit préciser notamment: le titre de l'œuvre, les noms des auteurs et du réalisateur et la date prévisionnelle du début de tournage.
Les dépenses éligibles au crédit d'impôt sont celles effectuées à compter de la date de réception par le CNC de la demande de bénéfice de crédit d'impôt. L’agrément provisoire ouvrant droit au crédit d’impôt doit être délivré dans les six mois qui suivent la réception de la demande de crédit d'impôt.

c) A quel moment le demander ?  

Calculé à la fin de chaque exercice fiscal, le CIA est soit déduit de l’IS à payer, soit versé à la société de production par l’Etat.
Les dépenses éligibles au crédit d'impôt sont celles effectuées à compter de la date de réception par le CNC de la demande de bénéfice de crédit d'impôt. L’agrément provisoire ouvrant droit au crédit d’impôt doit être délivré dans les six mois qui suivent la réception de la demande de crédit d'impôt. Elles ouvrent droit au crédit d'impôt à partir de la réception, d'une demande d'agrément à titre provisoire par le directeur général du Centre national de la cinématographie. Le directeur général du Centre national du cinéma et de l'image animée délivre alors l'agrément à titre provisoire à une sélection d’œuvres réalisée par un comité d'experts. Cet agrément atteste que les œuvres remplissent les conditions éligibles.

Le montant du crédit d'impôt accordé est égal à 20 % des dépenses éligibles, dans la limite de 1 000 000 € - ancienne limite, et 4 000 000 aujourd'hui. Le crédit d’impôt est calculé à la fin de chaque exercice fiscal. il  est soit déduit de l’IS à payer, soit versé à celle-ci par l’Etat. Il est imputable sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice au cours duquel les dépenses ouvrant droit au crédit d'impôt sont exposées.  

Le cas échéant, l'excédent de crédit d'impôt qui ne peut être imputé sera restitué à l'entreprise bénéficiaire.

Les crédits d'impôts obtenus pour la production d'une même œuvre cinématographique ne doivent pas pouvoir élever à plus de 50 % du budget de production, le montant total des aides publiques accordées. Ce seuil est cependant porté à 60 % pour les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles difficiles et à petit budget (définies par décret).

En cas de coproduction déléguée, le crédit d'impôt est accordé à chacune des sociétés de production proportionnellement à leur part dans les dépenses exposées.

L'assiette des dépenses éligibles pour calculer ce crédit d’impôts est plafonnée à 80 % du budget de production de l'œuvre. En cas de coproduction internationale, ce plafond est fixé à 80 % de la part gérée par le coproducteur français.

Il s’agit là des conditions techniques de fonctionnement du crédit d’impôt CICA. Ce mode de fonctionnement ainsi que ses conditions d’octroi n’ont pas été remises en question par la récente réforme, qui n’a fait que renforcer celui ci, en augmentant son plafond, et en étendant son champs d’application.

II) Le système du crédit d’impôt international (C2I)

a) A qui est accordé le C2I :

Le but du C2I est d’attirer les productions étrangères à tourner en France. Il ne concerne donc que les œuvres cinématographiques ou audiovisuelles de fiction ou d’animation dont la production est initiée par une société étrangère et dont tout ou partie de la fabrication a lieu en France. Les dossiers de demande d'agrément provisoires sont à déposer au CNC.

Le C2I est accordé au producteur exécutif chargé d’assurer la gestion du tournage ou de la fabrication de l’œuvre en France. Comme pour le CICA, son bénéfice est conditionné à l'agrément de l'œuvre concernée par le CNC.

Le crédit d’impôt s’élève à la hauteur de 20 % des :

- salaires et rémunérations des auteurs et artistes interprètes français et européens, et des charges sociales afférentes ;
- salaires et rémunérations des personnels français et européens et des charges sociales afférentes ;
- dépenses liées au recours aux industries techniques ;
- dépenses liées au transport et à la restauration ;
- dépenses d’amortissement.

b) Comment obtenir ce crédit d'impôt ?

Les œuvres agréées doivent comporter des éléments rattachés à la culture, au patrimoine ou au territoire français, selon un barème prédéfini de points spécifiques à chaque genre (fiction ou animation), par exemple, on assimile à des œuvres d’animation les œuvres en prises de vues réelles dans lesquelles au moins 25 % des plans font l’objet d’un traitement numérique conséquent. Les œuvres éligibles ne doivent pas bénéficier du compte de soutien géré par le CNC.

Les documentaires, et les films publicitaires ne sont pas concernés par ce crédit d’impôt crée pour les seules œuvres à caractère fictionnel (longs métrages, fictions unitaires et séries).

c) A quel moment le demander ?

Les dépenses sont éligibles à compter de la date de dépôt du dossier de demande d'agrément par le CNC.

L’agrément C2I donne droit au bénéfice du crédit d’impôt à la fin de chaque exercice fiscal. Si l’impôt sur les sociétés dû par la société de production exécutive est inférieur au montant du crédit d’impôt, l’administration fiscale versera alors la différence à la société de production exécutive.

Ici encore, ces conditions techniques de fonctionnement du crédit d’impôt C2I n’ont pas été remises en question par la récente réforme, qui a également renforcé ce crédit d'impôt en élargissant son assiette de calcul et son plafond.

III)  Le crédit d’impôt réformé dans un contexte économique mouvementé

a) Le contexte économique mouvementé :    

Sans rentrer dans la controverse déjà été largement commenté dans la presse sur le salaire des acteurs français, ces phrases assassines sont néanmoins le signe d’un véritable malaise. Olivier Bomsel, chercheur économiste, avait déjà produit en 2008 une étude sur la rentabilité des 162 films français produits en 2005. Le résultat de l’époque avait alors montré que seuls 12% de ces films étaient rentable… Ces 162 films avait alors coûté 872 millions d'euros, mais n'avait rapporté que 563 millions d'euros. Ainsi, pour 100 euros investis, il n‘y avait que 64 euros de recettes. L'étude relève également que, "si les pertes sont mutualisées, les bénéfices, eux, sont privés, ce qui pose un problème de répartition des aides".

Plus récemment, la Cour des comptes soulignait en 2011 que la part de marché du cinéma français est essentiellement due à quelques films à succès. Ce rapport indique qu’en 2010 « dix films français concentrent 41% des entrées en salles concernant des films français ». La même année, 60% des films produits ont été vus par moins de 50 000 spectateurs, taux en forte hausse car il était de 51% en 2001. Ainsi, pour la Cour, "soutenir la production cinématographique sur des fonds publics n’a de sens que si le film produit a des chances d’être convenablement exposé".

Le rapport s’interroge ainsi « sur la pertinence du soutien à des films qui ne pourront rencontrer, pour des raisons tenant aux limites matérielles du réseau de salles, qu’un public restreint, voire marginal ». Voilà qui a le mérite d’être clair.

En 2011 également, le rapport du CNC nous apprend que « globalement, les dépenses réalisées en France par les films bénéficiaires du crédit d’impôt représentent 76,9 % de l’ensemble des dépenses effectuées en France par les films d'initiative française en 2011 (79,4 % en 2010). »

Le rôle du crédit d’impôt et les raisons de son augmentation sont expliqués par le rapport du Sénat sur le Projet de loi de finances rectificative pour 2012.

Ce rapport relève deux analyses : celle du comité d'évaluation des dépenses fiscales dit « comité Guillaume », et celle de la Cour des comptes.

Le comité Guillaume malgré une bonne notation du processus (2/3), dénote lui même la difficulté à établir un lien direct entre les résultats obtenus par les secteurs audiovisuel et cinématographique et ledit crédit d'impôt :

« le mécanisme du crédit d'impôt permet de favoriser le développement des industries techniques du cinéma » et « le développement des industries de l'audiovisuel ». « L'objectif qui vise à inciter les entreprises de production à localiser en France le tournage et les travaux de post-production des œuvres audiovisuelles semble être partiellement atteint, même s'il est difficile d'établir un lien direct entre le dispositif et les résultats [obtenus] ».

Ce comité d’expert s’interroge également sur l’articulation de ce crédit d’impôt avec le soutient du CNC.:

« le dispositif répond à l'objectif qui lui a été assigné. Toutefois on peut s'interroger sur la nécessité de ce dispositif au vu du soutien budgétaire massif octroyé par le CNC au secteur cinématographique. Une aide budgétaire pourrait également y concourir."

Le rapport du Sénat relève un bilan plus mitigé que la cour des comptes. Celui-ci dispose en effet :

« Au terme d'une décennie qui n'a cessé de voir augmenter le nombre de films français produits chaque année, il est permis de s'interroger sur la pertinence d'un dispositif de soutien orientant une part significative de ses ressources vers des films qui ne pourront rencontrer, pour des raisons tenant aux limites matérielles du réseau d'exploitation, qu'un public restreint, voire marginal. En tout état de cause, il apparaît raisonnable d'admettre que soutenir la production cinématographique sur des fonds publics n'a de sens que si le film produit a des chances d'être convenablement exposé » .

En ne ciblant pas que le crédit d’impôt CICA mais l’ensemble du dispositif d’aides octroyées au cinéma français, la cour des comptes conclut : « En 2011, la France entretien un dispositif de soutien à l'audiovisuel unique en Europe dans son principe et dans son volume, tout en demeurant l'un des pays où les productions nationales font les plus mauvais résultats d'audience, notamment s'agissant des fictions françaises »

Nous voyons ici le contexte tendu dans lequel l’élargissement des crédits d’impôt CICA et C2I ont été votés. C’est pourtant bien focalisés sur le renforcement de la compétitivité français en matière de production cinématographique et audiovisuel, que ces réformes ont été faites, laissant pour l'heure les questions plus globales sur une nécessité de modification du système de soutien entières, et pour lesquelles un débat de fond semble encore nécessaire.

 b) Les récentes modifications du crédit CICA :

L’amendement des trois députés prévoit de « renforcer la compétitivité du crédit d’impôt cinéma et audiovisuel au regard des avantages fiscaux existant dans les autres pays européens et de favoriser le maintien en France de productions d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles. » Ce crédit d’impôt doit ainsi inciter les producteurs français à tourner leurs œuvres en France en échange de réductions fiscales.

Cet amendement met en place trois mesures, dont une qui a été supprimée lors du vote à l’assemblée:
- La première mesure est la décision de l’augmentation du plafond des dépenses de production déléguée d’œuvres cinématographiques. Ce plafond passe en effet de 1 million à 4 millions d’euros par œuvre, ce qui rend le dispositif français identique au plafond de la plupart des dispositifs étrangers. Le but est ici assez clair : s’aligner sur les pays voisins, plus attractifs pour les sociétés productrices.
- La deuxième mesure consiste en l’élargissement des dépenses prises en compte par le crédit d’impôt. En effet, les rémunérations versées aux artistes de complément, les dépenses de transport, et même les frais d’hôtellerie et de restauration occasionnées par la production de l’œuvre sur le territoire français, sont maintenant pris en compte dans la base de calcul du crédit d’impôt. Les dépenses relatives à l’acquisition d’images d’archives sont également intégrées à cet élargissement. Concernant l’hôtellerie, à la demande de la commission des finances de l’Assemblée, un plafond de 5 fois le plafond de la sécurité sociale a été instauré. Cela équivaut à un plafond de 200€ par nuitée en moyenne et 270€ à Paris et dans certains départements d'Ile-de-France.
- La troisième mesure correspondait à l’élargissement du champ du crédit d’impôt audiovisuel. En effet, seules les œuvres de fiction et les documentaires peuvent bénéficier de ce dispositif. L’amendement prévoyait d’y inclure la captation ou la recréation de spectacle vivant. Cette disposition a été retirée du texte.
En ce qui concerne le volet audiovisuel, le plafond du crédit d’impôt a été porté de 1130 € par minute à 1250€ pour la fiction, afin de prendre en compte l’inflation depuis la création du dispositif en 2005. Pour le documentaire, les plafonds ont été relevés à 1150€ la minute et pour l’animation à 1300€.

c) Les récentes modifications du crédit C2I :

L’amendement déposé a pour objectif « de renforcer la compétitivité du crédit d’impôt pour dépenses de production exécutive, dit « crédit d’impôt international ». Ce crédit d’impôt ne s’applique certes pas aux productions françaises, mais il a tout de même un impact non négligeable sur le secteur du cinéma français, car il s’adresse aux productions internationales, afin de les inciter à venir tourner en France. Afin de rendre donc notre pays plus attractif, le texte initial prévoyait trois mesures, dont une a également été supprimé lors du vote :

- La première mesure consiste en l’abaissement du seuil minimal de dépenses à réaliser en France pour être éligible au crédit d’impôt. C’est cette mesure qui a été supprimée.  Le seuil minimal de dépense devait passer de 1 000 000 d’euros à 500 000 euros. Cette mesure aurait ainsi permis aux petites entreprises de bénéficier de ce crédit d’impôt. Cette disposition été supprimée, le plafond à 1 000 000 d’euros maintenu.
- La deuxième mesure correspond à l’élargissement de l’assiette de calcul : les dépenses d’hébergement pourront être prises en compte dans la base de calcul, de la même manière que les frais de transport ou de restauration. Les députés ont toutefois adopté un sous amendement pour également fixer par décret un plafond aux dépenses d’hébergement.
- La troisième mesure consistait au déplafonnement du crédit d’impôt : le plafond actuel de 4 million d’euros aurait été supprimé, afin de s’aligner sur les dispositifs étrangers où ce plafond n’existe pas. Sa suppression aurait donc pour but de rendre le territoire aussi attractif que nos voisins en matière de production et d’éviter la délocalisation de celle-ci. Ce plafond n’a finalement pas été supprimé mais simplement rehaussé. Le gouvernement a d’abord proposé de passer le plafond de 4 à 20 millions d’euros, qui a finalement été ramené après l’intervention de la Commission des finances à 10 millions, un niveau qui permet de largement restaurer l'efficacité du dispositif par rapport à ses concurrents des pays européens notamment.

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Chronique rédigée par Sébastien Lachaussée, Avocat et François Kraft, stagiaire