Nouveau gouvernement : quel changement ?

Les gouvernements se succèdent. Rien ne change. Leurs réformes nous plombent un peu mieux à chaque coup. Aujourd’hui, nous sommes en bout de course. Et si, pour une fois, avant de nous réformer, nos gouvernants pensaient à se changer ?

Changement de gouvernement. Et si rien ne changeait ?

L’halali de la France républicaine

Depuis plus de dix ans, mes livres et mes cours parlent de changement. Pour les illustrer j’utilise des exemples pratiques. Mais je me suis vite rendu compte que le Français n’aime pas qu’on lui parle d’entreprise. Alors j’ai cherché mes exemples parmi les changements de l’Etat. J’ai découvert une réalité inattendue. La droite faisant des réformes de gauche et inversement, nous en sommes arrivés à une transformation de notre constitution. Le principe de notre nation n’est plus le modèle républicain, mais celui du marché. Un principe qui veut, comme l’a dit Mme Thatcher, que la société n’existe pas. C'est-à-dire que nous soyons tous des électrons libres en concurrence parfaite. Une utopie.

Le mécanisme de ce changement est fascinant. On le voit à l’œuvre dans La France en mutation, 1980 – 2005 (Presses de la fondation nationale des Sciences politiques, 2006), une collaboration entre Harvard et Sciences Po. Des « noyaux durs » de M.Balladur aux 35h de Mme Aubry, chaque réforme rate et plombe un peu plus le modèle républicain. Arrive alors Nicolas Sarkozy. A-t-il pensé que nous voulions construire notre nation sur le principe du marché ? Ne nous dirigions-nous pas vers lui depuis 40 ans ? En tout cas, il veut donner l'estocade finale. Comme l’explique Patrick Le Gallès, il importe les méthodologies anglaises de réforme. On les appliquait partout en Europe, d’ailleurs. Elles visent à diviser, les collectivités locales, les universités..., pour régner. Et ce de façon à liquider la résistance au changement. Tout en construisant la dite société d'électrons libres. Peut-être aussi « starve the beast », selon l'expression des Américains ? L'Etat a été chargé de dettes de façon à ce qu'il ne nous reste plus que l'option de l'achever ?

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Alors que même les Anglo-saxons pensent qu’il est temps d’inventer autre chose, nous continuons sur la même voie. Le gouvernement sait que les techniques qu’il emploie ne fonctionnent pas. Mais il n’a rien de mieux en magasin. Alors, quand on n’a pas ce que l’on aime…

Que pourrait-il faire d’autre ?

La RATP change

En 1988, Christian Kozar est nommé directeur du département environnement et sécurité à la RATP. Il raconte l’histoire suivante.

La RATP fait face à une crise. L’insécurité. Cercle vicieux. Agression, grève générale, négociation. Les clients et usagers commencent à se plaindre. Le sentiment d’insécurité paralyse petit à petit l’entreprise, qui vit au rythme des agressions. Que fait l’équipe dirigeante, qui vient d’arriver ? 

Première action : la propreté. Elle fait effacer systématiquement les graffitis. Elle s’en prend aussi aux vendeurs à la sauvette qui pullulent et aux vendeurs de drogue qui se sont installés dans les stations de métro. Et surtout, elle fait émerger les talents, « car, comme le disent les Japonais, ils sont souvent en bas, alors qu’on les cherche en haut ». Toute une réorganisation, légère, s’ensuit. Elle réduit les niveaux hiérarchiques. Elle donne le pouvoir aux chefs des lignes du métro et des centres de bus. 

Et si la source du malaise avait été là ? Et si les employés souffraient du manque de sens de leur travail ? Et si la crise de l’insécurité n’avait été qu’un symptôme de ce mal ? Et si sa véritable solution avait été de rendre les employés responsables de leur sort ?

La RATP était le fruit de la France technocratique et taylorienne d’après guerre, et de la « lutte des classes » qui allait avec. Or, ses employés avaient changé. Ils étaient maintenant diplômés et bien formés. Ils avaient l’ambition, justifiée, de responsabilités à la hauteur de leurs compétences. Il fallait en tirer partie.

Tournons la page de l’ancien régime

Je crois qu’il y a, dans cette histoire, la métaphore du changement que connaît notre société.

J'ai longtemps pensé que nos hommes politiques sont des lâches. Ils ne peuvent pas résister aux demandes du peuple, à nos demandes. J’ai changé d'opinion. Qu'il s'agisse des réformes qui ont amené 68 (fusion primaire / secondaire) ou du projet du Grand Paris, je les vois de plus en plus comme des pyromanes. Ils nous proposent des projets que nous ne leur demandions pas. Projets séduisants. Mais nous n’en voyons pas les conséquences. On nous les masque parce qu’elles demanderaient un travail d’anticipation que le politique ne veut pas faire. Si bien qu’elles produisent des crises effroyables (l’euro), suscitent un tsunami d'espoirs déçus (68), ruinent notre pays ou détruisent notre modèle de société.

Il y a quelque-chose de Goldman Sachs là-dedans. Pour faire fortune, Goldman Sachs a exploité la confiance que l'on fait à une banque et la complexité des produits qu'il avait inventés. Nos politiques, de même, jouent sur notre confiance et sur la complexité de leurs projets, qui nous les rend incompréhensibles.

Ils font même pire. M. Hollande, comme ses prédécesseurs, divise pour régner. Si bien que la France donne au monde le spectacle ridicule de luttes intestines. Nous y avons gagné la réputation d’un pays de paresseux. Des gens incapables de produire quoi que ce soit de bon (en dehors du vin et du fromage). Ce qui fait le jeu des concurrents de nos entreprises. Ce qui leur coûte cher. Ce qui crée du chômage. Et les impôts de l’Etat ne rentrent pas. Impossible de se désendetter.  

Pourquoi nous faire cela ? Parce que ceux qui nous représentent, qu’ils soient gouvernants, syndicalistes, journalistes ou autres, nous voient comme Louis XIV son peuple. Or ce que dit l’exemple de la RATP est que ce peuple a maintenant les outils intellectuels de ses dirigeants. Il veut qu’on lui dise la vérité, et que l’on mobilise ses forces, son talent. Le clientélisme, c’est fini. La lutte des classes, aussi.

Nous avons changé. Gouvernants, à votre tour.