Réduire l’interchange nuira très probablement aux consommateurs

La Commission européenne examine actuellement une proposition de règlement, qui, si elle était adoptée, produirait des changements majeurs sur le marché des cartes bancaires en Europe.

Une de ses propositions les plus controversées est de fixer dans tous les pays membres un même taux d’interchange, à 0,2 % de la transaction pour les paiements par carte de débit, et à 0,3 % pour ceux par carte de crédit. Ce projet fait suite à une série de décisions dans le même sens prises aux échelons nationaux par des autorités de régulation ; ainsi, en France, en 2011, l’autorité de la Concurrence s’est mis d’accord avec l’opérateur national CB pour une réduction de l’interchange de 40 %.
A l’heure actuelle, l’interchange est fixé par les opérateurs de paiements par cartes (comme MasterCard et Visa), et est en moyenne plus élevé que ceux que souhaiterait imposer la Commission. Bien qu’ils en fixent le niveau, il faut souligner que l’interchange ne génère pas de revenus pour les opérateurs de paiements. Il n’est qu’un transfert de la banque du commerçant vers celle du porteur de carte, lors de chaque paiement. Il bénéficie à la fois au consommateur et au commerçant : en réduisant les coûts des banques émettrices de cartes, il rend les cartes de paiement abordables pour les consommateurs et permet aux commerçants de profiter des avantages des paiements électroniques (ils leur évitent ainsi, à titre d’exemple, les surcoûts induits par la manipulation des espèces).
Baisser l’interchange augmente les coûts supportés par les porteurs de cartes tout en réduisant celui des commerçants. Toutefois, de façon contre-intuitive, les partisans de cette réforme soutiennent qu’un interchange plus élevé nuit aux consommateurs. Leur argument est faible : rien ne prouve qu’un interchange plus faible bénéficiera aux consommateurs ; à vrai dire, tous les éléments disponibles démontrent que c’est l’effet inverse qu’il faut attendre.
Dans un projet de recherche financé par MasterCard, corédigé avec des collègues du Brattle Group, nous avons analysé l’impact des réductions d’interchange déjà intervenues en France.
Notre conclusion : les consommateurs en ont été les perdants, alors que les grands commerçants ont augmenté leurs profits [1], comme cela s’est produit dans d’autres pays où une intervention réglementaire a également fait baisser l’interchange (Etats-Unis et Australie, à titre d’exemples).
Pour dire les choses simplement, nous pensons que les consommateurs vont perdre de l’argent (lorsque la diminution de l’interchange n’engendre qu’une faible variation du volume des transactions par carte) pour une raison très simple : une baisse de l’interchange augmente les coûts pour les consommateurs tout en baissant les coûts pour les commerçants, mais, compte tenu de leur place sur le marché, les enseignes ne transforment pas intégralement ces profits en baisse des prix de leurs produits !
Notre analyse, basée sur des données françaises et des études universitaires sur la transmission des coûts des détaillants aux consommateurs, montre que les consommateurs pourraient perdre jusqu’à 3,9 milliards d’euros entre 2012 et 2021. Soit une augmentation de 20 euros par titulaire de carte par an, qui sera à peine compensée par la baisse du coût des produits, bien plus faible. Nous estimons que les commerçants engrangeront parallèlement 3,5 milliards d’euro sur la même période. De plus, il faut souligner que ce sont les plus grandes enseignes, en position de force sur leurs marchés, qui en bénéficieront le plus.
Cette analyse suppose que les effets de la baisse d’interchange sur le niveau d’utilisation de carte est négligeable. Toutefois, une baisse de l’interchange, en transférant les coûts de paiement des marchands vers les consommateurs, réduira également le nombre de titulaires de cartes tout en augmentant celui des commerçants. Ceci peut avoir un effet sur le niveau d’utilisation des cartes.
Dans notre travail, nous montrons que la baisse de l’interchange a certainement diminué la délivrance de cartes, tout en ayant un effet intangible sur le nombre de commerçants qui les acceptent.
La réduction des frais d’interchange a donc pu ralentir la diffusion des cartes de paiement en France, poussant les consommateurs à retourner vers les espèces ou vers d’autres moyens de paiements coûteux. Si l’estimation de l’ensemble des conséquences sociales d’un tel changement est complexe et au-delà de notre champ d’étude, nous pouvons avancer que favoriser les espèces serait au détriment des contribuables, car elles sont un des principaux moteurs de l’économie souterraine (en favorisant la non-déclaration de revenus, par exemple).
Ceci établi, et en l’absence de preuves du contraire, il est très étonnant que la proposition de la Commission européenne ne soit pas rejetée, étant susceptible d’ajouter une contrainte réglementaire aux entreprises et, surtout, d’augmenter les coûts pour les consommateurs.

[1] Voir D. Condorelli, M. Fantini, F. Lo Passo, R. Pizzolla, "Analysis of the effects of interchange decrease in France”, Août 2014.