Taxe Tobin : c’est l’histoire d’une taxe qui coûtera plus à la France qu’elle ne va lui rapporter

Alors que les 11 pays européens favorables à l’instauration d’une taxe sur les transactions financières peinent à trouver un accord pour la mettre sur pied, il semblerait que les recettes anticipées de cette taxe Tobin revisitée fassent également l’objet de nombreuses interrogations.

Certains experts prévoient même que cet impôt destiné à taxer certains mouvements financiers sera des plus catastrophiques pour l’économie nationale.
Discours alarmiste ? Pas sûr à y regarder de plus près l’histoire et les modalités qui confèrent déjà à cette taxe un caractère légendaire… Alors cette TTF,  délire démago ou réelle nécessité économique ?

Un consensus difficile

La taxe sur les transactions financières divise depuis que l’idée a commencé à germer dans le cerveau de son inventeur James Tobin, c’était en 1972. S’en suivirent quelques décennies à errer de tables des négociations en tables des négociations, la communauté internationale trouvant dans cet impôt un aspect un poil fantaisiste et au final peu réaliste. Un purgatoire auquel mettra fin la crise financière de 2008. Il fallait alors punir cette finance dont tout le monde parlait, cette finance responsable de tous les maux de la Terre et de ses habitants. 
Le moment était tout trouvé pour ressortir des tiroirs poussiéreux la TTF. L’histoire nous a démontré que cette taxe est polymorphe et a une fâcheuse tendance à changer de peau au fil des années et au gré des nations qui veulent la mettre en place.
Car il est bien là le problème, au-delà du principe très discutable sur lequel se base cette taxe (taxer à 0,1 % les actions et les obligations, et à 0,01 % les produits dérivés), un des freins qui a privé jusqu’à présent cet impôt de semer la pagaille sur les marchés financiers est le manque de consensus qu’il génère. Ils sont 11 pays aujourd’hui à être favorables à cette dîme d’un nouveau genre.
Un accord de principe puisque lorsqu’on décide de rentrer dans le vif du sujet et de passer à une phase plus constructive, les nations pro TTF tombent vite dans des travers individualistes peu productifs.

La France ne souhaite pas la même taxe que ses voisins et ainsi de suite. Or, l’entente est nécessaire si l’on désire que cette taxe ait l’envergure souhaitée. Déjà désavantagée par les pays réfractaires à la TTF, ces derniers vont en effet attirer les mouvements de capitaux désireux de se soustraire à la ponction Tobin, la taxe ne peut s’envisager au cas par cas au risque d’être à terme tout bonnement inutile.

Bagarre au moment de faire les comptes

Ce projet de taxe ne souffre pas seulement d’une armature fragile et mal dessinée, il déclenche également le débat quand vient le moment de passer à la caisse et d’appréhender ses bénéfices économiques. Il sera également compliqué ici de parvenir à trouver une harmonie tant les chiffres diffèrent d’un expert à l’autre.
Selon une étude élaborée par le cabinet Sia Partners, la TTF pourrait engendrer entre 9,6 milliards et 24,4 milliards d’euros. Une amplitude conséquente qui répond aux différents scénarios envisagés par la société de conseil. La tranche maximale (24,4 milliards d’euros) se base sur la thèse des volumes inchangés quand la plus basse (9,6 milliards d’euros) tient compte des théories de la Commission européenne qui prévoient notamment une baisse de « 15 % sur les marchés au comptant et de 75 % sur le marché des dérivés ».
À lire ces chiffres, on serait alors tenté de penser que cette taxe vaut le coup de se démener pour la faire exister. Pourtant, il suffit d’une analyse un peu plus approfondie pour constater que les montants annoncés sont calculés en considérant « toutes les classes d’actifs » alors que le modèle actuel de TTF n’envisage que les actions et produits dérivés.
« La taxe sur les dérivés ne rapportera quasiment rien, dans la mesure où toutes les opérations seront tuées ou délocalisées. Les dérivés sont des contrats commerciaux : il n’y a pas de base juridique pour les taxer s’ils sont conclus hors de la zone de la TTF. Il n’y en a pas non plus pour taxer les opérations intraday dans la mesure où il n’y pas de transfert de propriété  » assure Pierre de Lauzun, Directeur général de l’Amafi, l’Association Française des marchés Financiers.
Pour lui, cette taxe n’aurait aucune plus-value par rapport à celle déjà en vigueur en France depuis 2012 et qui porte sur les actions. D’après la Fédération européenne des banques, « la taxe entraînerait l’arrêt ou la délocalisation de certaines activités de marché pourtant indispensables aux entreprises, laissant le champ libre à leurs concurrentes » soustraites à la taxe. De quoi plomber l’économie d’un pays en moins de temps qu’il faut pour dire « crise ».
Devant ces discours contestataires qui pointent du doigt une taxe à minima aux répercussions économiques fantasmées par un gouvernement qui ne sait plus comment boucler ses budgets, le ministre des Finances français monte au créneau. Michel Sapin persiste et signe puisqu’il défend le dossier en assurant que cette taxe n’a pas pour vocation première de rapporter de l’argent mais de « dissuader » et « lutter contre la mauvaise finance ».
Soit. Si cette posture a tout d’une pirouette maladroite pour garder la face, accordons-lui le bénéfice du doute. « Lutter contre la mauvaise finance », du moins celle responsable de la crise de 2008 est une démarche honorable, certes. Mais le concept de dissuasion est peut-être mal venu. En effet, la seule chose que la TTF risque de dissuader ce sont les investissements sur le territoire français et sur l’ensemble des territoires où elle sera promulguée au profit de pays ayant refusé la taxe Tobin.
Une évidence qui peine pourtant, encore une fois, à mettre tout le monde d’accord.