Diplomatie économique : la cohérence retrouvée

Finies les années noires synonymes d’échecs, faute de coordination entre les décideurs économiques et les autorités politiques chargées de diplomatie économique. La France désormais vend bien, et particulièrement dans un domaine : l’armement. Tour d’horizon des ressorts de cette réussite et des perspectives restantes pour 2015.

« Pour la première fois les exportations pourraient dépasser le montant des commandes pour notre armée », se réjouit-on au Ministère de la Défense (1). En effet l’année 2015 pourrait se clore sur un bilan compris entre 12 et 15 milliards d’euros de vente d’armes, des montants jamais atteints qui pourraient permettre à la France de devenir la 2ème puissance exportatrice du secteur, derrière les indétrônables Etats-Unis, mais devant la Russie.

Les VRP du gouvernement

On serait en droit de penser que le Ministère de la Défense fait peu de cas des questions de ventes d’armes, plus préoccupé par ses possibilités d’acheteur et par l’état de ses casernes. Ce serait pourtant bien mal le connaitre : le Ministère de la Défense, et à sa tête, Jean-Yves le Drian, sont à la pointe des négociations en matière d’armements, aux côtés des industriels. Et si le MINDEF s’intéresse autant aux ventes c’est parce qu’elles ont un impact sur les achats militaires français : le budget de défense sous pression s’accommode bien de prix en baisse, ou d’achats qui peuvent être retardés, sachant que les lignes de production fonctionnent pour d’autres.

Si 2014 constituait déjà une année exceptionnelle avec 8,06 milliards d’euros de vente (+17.3% par rapport à 2013), 2015 s’annonce comme record. Pologne, Egypte, Qatar, Liban, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis, Brésil, Inde… la France industrielle est sur tous les fronts, et derrière elle, une bonne partie du gouvernement, jusqu’au sommet de l’Etat. « Le duo Hollande-Le Drian est le meilleur qu’ait connu la France pour les ventes d’armes depuis des lustres », témoignait fin 2014 un dirigeant du secteur, interviewé par Challenges (2).

La gauche, championne des exportations d’armements

Si d’un point de vue politique, la gauche de la gauche a le hoquet devant la satisfaction des industriels de l’armement, c’est sans doute parce que les choses se passent bien mieux que sous les précédents quinquennats de droite : absence fatale de coordination en 2007 au Maroc, optimisme prématuré au Brésil, en Suisse, ou en Arabie Saoudite… (3) Le dossier Rafale est à lui seul emblématique des ratés de la France à l’export, sur fond de mésentente entre des dirigeants économiques soucieux de ménager leur prospects, et des autorités politiques désireuses d’annoncer des contrats de plusieurs milliards.

Point d’effet d’annonces aujourd’hui. L’humilité et la discrétion sont redevenues de mise, et les pays clients semblent apprécier. Si la realpolitik s’impose donc en commerce international, il reste frappant de constater le décalage entre les succès diplomatico-militaires du mandat Hollande et son bilan provisoire sur la scène intérieure. Mais même si cela ne parait pas de manière évidente, les deux sont pourtant liés : les ventes d’armes comptent pour 8 % de nos exportations et contribuent partiellement à rééquilibrer une balance commerciale très déficitaire. Entre les recettes de TVA, le soutien à l’emploi national et la compétitivité générale des entreprises françaises, la France a tout à gagner, sur le plan intérieur, à exporter des armes. Et c’est la raison pour laquelle, les efforts vont se poursuivre, mais vers certaines cibles bien identifiées.

Les opportunités qataries

Prochaine destination sur les agendas politiques et industriels : le Qatar. Une destination qui prend des airs de second bureau pour un nombre croissant d’industriels et d’hommes politiques. L’étroitesse des relations franco-qataries n’est plus un secret depuis longtemps, et bien que le Qatar ait déjà signé un contrat pour 24 Rafale (avec une option pour 12 supplémentaires), il n’est pas dit que l’émirat s’arrête en si bon chemin : systèmes de missiles, bâtiments de combats, hélicoptères de transports… MBDA, DCNS et Airbus Helicopters sont sur les rangs, avec du Meteor, de l’Aster, des Scorpènes, des Gowinds, des FREMM, des Tigre ou des NH-90.

Mais c’est peut-être dans l’armement terrestre que les attentes sont les plus fortes, avec Nexter Systems qui espère bien décrocher le premier succès export pour son VBCI. Jean-Yves le Drian s’est en effet rendu à plusieurs reprises au Qatar pour promouvoir le VBCI lors d’exercices conjoints, dont Gulf Falcon en février 2013 (4). Depuis, le soutien politique à ce contrat de plusieurs milliards d’euros s’est un peu distendu, probablement dans l’euphorie des contrats Rafale. Mais l’enjeu reste de taille pour Nexter Systems qui entend continuer de faire valoir les arguments d’un véhicule combat-proven au Liban, en Afghanistan, au Mali et en Centrafrique. Nexter Systems a même profité du Bourget pour faire la démonstration des capacités d’aérotransport du VBCI en A400M, devant le Ministre (5). Une manière de rappeler qu’il n’y a pas que des avions et des satellites à proposer à l’export. Pour autant Nexter Systems, à l’instar des autres industriels de défense, sait pouvoir compter sur un acteur majeur, mais discret pour le succès de ces exportations.

La DGA, bras armé de la diplomatie économique des armements

Pour le grand public, la Direction générale de l’armement reste une obscure entité bureaucratique, peuplé d’ingénieurs de l’armement. Mais derrière les acronymes se cachent un investisseur de premier plan : en 2014, la DGA a investi pas moins de 782 millions d’euros en R&D au profit du secteur de la défense, tout au consacrant 4 millions d’euros au soutien de PME travaillant sur des technologies duales. La DGA ne ménage pas ses efforts en termes de soutien aux exportations des entreprises françaises : de Rennes (6) à Latresnes (7) en passant par les délégations suisses au Bourget (8), Stéphane Reb, directeur du développement international de la DGA, est lui aussi sur tous les fronts. Dans tous les cas, la DGA est un intermédiaire clé, en mesure de transformer le besoin d’un pays en offre industrielle concrète. Nul doute que la DGA a énormément œuvré en coulisse ces derniers mois. Pour autant, du Qatar à l’Inde, il reste encore du travail possible et des perspectives de contrats.

1.       (1) http://www.usinenouvelle.com/editorial/les-consequences-du-contrat-rafale-emplois-exportations-d-equipements-loi-de-programmation-militaire.N327779

2.       (2) http://www.challenges.fr/entreprise/20150209.CHA2919/l-insolente-sante-de-l-armement-made-in-france-a-l-exportation.html

3.       (3)http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/rafale-et-dassault-tomba-pour-la-huitieme-fois-20-12-2013-1773035_53.php

4.       (4) http://www.opex360.com/2013/02/16/debut-de-lexercice-gulf-falcon-au-qatar/

5.       (5) http://forcesoperations.com/2015/06/17/le-vbci-profite-du-bourget-pour-prouver-son-aerotransportabilite/

6.       (6) http://www.rennes-atalante.fr/fileadmin/contributions/Actualites/Evenements/JourneePMEdefense_2013.pdf

7.       (7) http://www.sudouest.fr/2015/03/31/pme-de-defense-rencontrez-la-direction-de-l-armement-1877396-6098.php

8.       (8) http://www.vtg.admin.ch/internet/vtg/fr/home/dokumentation/news/newsdetail.57699.nsb.html