Comment le secteur européen de la construction s’est fait devancer par les capital-risqueurs américains

Le top 20 des levées de fonds réalisées depuis 2012 par les entreprises technologiques spécialisées dans la construction s’élève à près d’1 milliard de dollars. Mais le plus surprenant réside dans le fait que ces 20 investissements ont eu lieu exclusivement aux Etats-Unis. Pourquoi l'Europe est-elle si loin des Etats-Unis ? Comment rattraper ce retard ?

L’industrie mondiale de la construction vaut aujourd’hui 10 milliards de dollars ou plus précisément, 6% du PIB mondial. En 2017, les entrepreneurs tech en ont bien pris note.

Si l’on jette un œil aux statistiques industrielles actuelles, on constate que le potentiel de disruption est atteint depuis longtemps : les projets de construction sont en moyenne 80 % plus chers et 20% plus longs qu’initialement prévu. Le secteur souffre en effet d’une faible productivité, due à la lente adoption des solutions numériques. Les professionnels de la construction sont encore coincés à l’âge du papier : ils envoient leurs documents par courrier recommandé. Ce système n’est tout simplement pas durable.

Dans la construction, même les plus petites innovations peuvent avoir l’effet d’une bombe. Selon le Forum économique mondial, une hausse de la productivité de 1% pourrait ainsi faire économiser 100 milliards de dollars par an au secteur. Et d’après McKinsey, si le secteur de la construction adoptait de nouvelles technologies et intégrait le numérique dans ses méthodes de travail, l’industrie dans son ensemble pèserait 1,6 milliard de dollars de plus.

Aujourd’hui, le secteur des nouvelles technologies pointe son viseur sur l’industrie de la construction. Le top 20 des levées de fonds réalisées depuis 2012 par les entreprises technologiques spécialisées dans la construction s’élève à près d’un milliard de dollars.

Le plus surprenant, à vrai dire, est que ces grosses transactions ont exclusivement eu lieu aux Etats-Unis, et pas en Europe. Mais plus pour longtemps. Avec un PIB de plus du double de celui des Etats-Unis, l’industrie de la construction européenne est prête à devenir le porte-drapeau.

Dans de nombreux Etats membres de l’Union Européenne, ce qui comprend notamment le Royaume-Uni, la Finlande, le Danemark, l’Allemagne et les Pays-Bas, des technologies d’avenir, comme la modélisation des données du bâtiment (BIM pour Building Information Modeling) sont ou seront bientôt imposées par la loi pour tous les marchés de travaux publics. Cette technologie intègre une modélisation 3, 4 et 5D permettant aux professionnels de la construction de créer des bâtiments plus complexes et plus recherchés.

Parallèlement, aux Etats-Unis, seul l’Etat du Wisconsin a eu le courage de prendre une mesure similaire imposant l’application de la BIM pour les projets publics (à vrai dire, l’économie du Wisconsin est similaire à celle de la Finlande).

Pour ces raisons, on aurait pu naturellement penser que les capital-risqueurs européens se bousculeraient au portillon pour investir dans des sociétés ayant l’ambition de révolutionner le secteur si frileux de la construction.

Et pourtant, les investissements dans les technologies de la construction en Europe semblent avoir chuté en 2017 : seuls 36 financements ont été accordés par rapport aux 47 de 2016. Et encore, ces investissements n’arrivent pas à la cheville de la gigantesque levée de fonds de 130 millions de dollars de Katerra en avril 2017 et de 865 millions de dollars en janvier 2018.

C’est l’industrie de la construction américaine qui semble bel et bien prendre l’innovation technologique en main. Selon les estimations, plus de 70 % des entrepreneurs forment leurs équipes à la BIM. Il s’agit d’un taux plus élevé que la moyenne européenne qui est d’environ 60%, bien qu’il existe des différences considérables d’un pays à l’autre. L’Amérique semble ainsi adopter la même approche vis-à-vis des technologies de la construction que pour de nombreux autres secteurs avant cela : foncer, investir en priorité dans la technologie et peaufiner après.

Cette histoire des capital-risqueurs européens à la traîne derrière leurs comparses américains est bien connue. Aussi, les deux locomotives mondiales perçoivent les fonds de deux manières très différentes : là où les Etats-Unis prennent des risques et entament des processus de croissance de grande ampleur à bras ouverts, l’Europe, dans son ensemble, est plus prudente et ses start-up doivent d’abord générer un certain revenu pour prouver leurs valeurs et leur solidité.

Ces approches opposées entre capital-risqueurs ont creusé un fossé entre les Etats-Unis et l’Europe. L’hésitation et la discrétion qui définissent les investissements européens ne feront que causer un déséquilibre encore plus grand.

Entre les entreprises de construction innovantes et les start-up bien financées, les tenants et les aboutissants de ce devancement américain ne sont pas clairs. Une chose est toutefois sûre : un important capital-risque peut générer un marché de start-up florissantes et d’entreprises motivées. Si vous vous lancez (et engagez une équipe de vente pour alimenter votre projet), les capital-risqueurs viendront.

Il est temps que les entreprises européennes se secouent si elles entendent susciter un intérêt concret pour la numérisation et dégager des sommes comparables aux fonds levés par leurs homologues américains. Si le secteur européen de la construction veut jouer dans la même cour que les Etats-Unis, il est crucial d’attirer plus de capital-risque. Les grands entrepreneurs et les start-up spécialisées dans les technologies de la construction vont devoir s’inspirer de l’exemple américain et montrer aux capital-risqueurs ce que leur marché a dans le ventre.