Fintech : attention à la bulle

Certains établissements bancaires, comme les Français Arkéa, BNP Paribas ou encore BPCE, ont un goût prononcé pour ces nouvelles pépites. Mais attention à ne pas placer tous ses œufs dans le même panier…

Les start-up de la tech ont la cote : tant mieux. Healthtech, fintech, foodtech et autres frenchtech attirent de plus en plus d’investisseurs, qui voient dans le développement de ces jeunes pousses innovantes autant d’opportunités de retours financiers intéressants. Après deux milliards de dollars levés en 2016, la French Tech a ainsi réalisé des levées de fonds record en 2017, avec 3,185 milliards de dollars. 

Depuis 2013, les fonds investis au niveau mondial dans les pépites de la tech ont été multipliés par cinq. Le secteur de la fintech est particulièrement prisé : au cours des six premiers mois de l’année 2017, près de 500 opérations ont cumulé quelque 8 milliards de dollars en faveur des start-up de la finance. 26 "licornes" seraient ainsi valorisées à plus d’un milliard de dollars dans ce secteur. S’il faut se féliciter de ces succès, la surchauffe guette.

Vers une bulle financière ? 

C’est l’ex-président de la Banquecentrale européenne (BCE) qui le dit : "Le risque d’éclatement de bulle financière au niveau mondial est très sérieux", a récemment mis en garde Jean-Claude Trichet. "Le détonateur n’a pas explosé de lui-même, mais l’explosif est potentiellement là", insiste-t-il, considérant que " nous sommes aujourd’hui dans une situation plus vulnérable qu’elle ne l’était en 2007-2008." 

Selon de nombreux experts, le secteur de la fintech est le plus susceptible de connaître l’explosion d’une bulle, à l’image de celle qui a éclaté autour d’Internet à la fin des années 2000. Il y a, en effet, de quoi s’inquiéter. En seulement cinq ans, lesinvestissements des fonds et des industriels de la finance dans les fintech ont été multipliés par 10 à l’échelle mondiale, passant de 1,8 milliard de dollars en 2010 à 19 milliards en 2015. 

Pour Mark Tluszcz, PDG de Mangrove Capital, l’un des premiers investisseurs dans Skype, "les investisseurs ont misé aveuglément beaucoup d’argent sur ce secteur." Selon lui, la fintech est bien une bulle, et les investisseurs courent après des rendements "illusoires". "Toutes les mauvaises habitudes liées à l’argent seront exposées au cours des prochaines années ", prophétise celui qui ne voit "pas d’issue" au phénomène. La fintech irait-elle droit dans le mur ?

La boulimie d’Arkéa pour les fintech

La vigilance s’impose donc — au minimum. Pourtant, certains établissements financiers semblent placer une confiance sans bornes dans ce secteur, au risque de se retrouver exsangues. C’est le cas, par exemple du Crédit Mutuel Arkéa. La boulimie de la banque pour les fintech ne semble en effet pas connaître de limites. Après avoir racheté 86% du capital de la cagnotte en ligne Leetchi en 2015, pour plus de 50 millions d’euros, Arkéa a fait, en 2017, l’acquisition de 80% du capital de Pumkin, une fintech spécialisée dans le paiement par mobile, qui cible particulièrement les jeunes. 

En 2016, le groupe mutualiste avait également acquis une participation de 28% dans Vivienne investissement, une société de gestion quantitative qui a lancé des "robots-conseillers", des logiciels de gestion automatisés basés sur des algorithmes et le big data. Le "Lab" d’Arkéa s’enorgueillit aussi de compter en son sein les fintech Yomoni ou Linxo. 

Pour sa défense, Arkéa n’est pas la seule à foncer tête baissée sur la première fintech venue. BNP Paribas a mis la main, en 2017, sur Compte-Nickel, une start-up qui permet d’ouvrir un compte courant en quelques minutes dans un bureau de tabac. La transaction s’élèverait à 200 millions d’euros. Toujours en 2017, la banque française prenait également des parts dans la fintech belge Gambit Financial Solutions spécialisée dans la mise en œuvre de "robot-conseiller". De son côté, la BPCE n’est pas en reste : les fintech Le Pot Commun, Payplug et Dalenys sont toutes entrées dans l’escarcelle du deuxième groupe bancaire de France. 

De l’importance de diversifier ses placements

Si Arkéa n’est donc pas la seule banque à priser les fintech, aucun autre acteur ne semble investir aussi massivement dans le secteur. Diversifier ses placements et investissements apparaît pourtant comme l’une des règles essentielles quand on souhaite répartir et minimiser ses risques. "On ne met pas tous ses œufs dans le même panier", dit l’adage. Investir dans divers secteurs d’activité serait faire preuve d’élémentaire prudence et lisser les risques de son portefeuille. 

Une prudence dont la banque aurait bien besoin quand on sait que le contexte ne joue pas en sa faveur. Les dirigeants d’Arkéa ont en effet annoncé, en janvier, vouloir quitter le navire du Crédit Mutuel et voler de leurs propres ailes. Les caisses locales de labanque mutualiste doivent se prononcer avant la fin juin mais les incertitudes règnent sur l’issue de cette démarche. Une chose est sûre, cependant : si Arkéa quitte le Crédit Mutuel, sa notation baissera — Moody’s l’a d’ailleurs placée sous perspective négative — et la nouvelle entité sera moins solvable. 

Le risque existe bel et bien : de nombreuses "pépites" nous quittent chaque année. En 2017, TakeAway, la start-up lyonnaise qui avait sauvé près de 60 tonnes de nourriture grâce à l’utilisation de doggy bags, mettait ainsi – sans crier gare - la clé sous la porte. Tout comme Tripndrive, start-up spécialisée dans la location de voitures entre voyageurs ou encore Blitzr, la start-up qui voulait devenir le Google de la musique.

Aussi prometteuses soient-elles à leurs débuts, aucune start-up n’est à l’abri d’une mésaventure. Pour ce qui est de la fintech, le cas de Morning est criant : en raison d’un conflit avec son actionnaire principal, la Maif, la start-up qui voulait "réveiller la banque [...] en s'appuyant sur le digital et les nouveaux modes de consommation collaboratifs" est passée à deux doigts de la faillite. Pour de nombreux experts, cet épisode est révélateur "des relations pas toujours simples entre start-up, en l'occurrence fintech, et grands groupes". Sauvée par la banque Edel début 2017, l’entreprise toulousaine restera, malgré tout, le symbole de la fragilité à laquelle peuvent être en proie les fintech.