E-santé : des progrès mais attention aux dérives

Le développement des technologies dans le domaine de la santé annonce de formidables progrès mais fait aussi peser le risque d'un certain nombre de problématiques. Le législateur doit impérativement s'emparer de ces sujets.

On regroupe sous le terme d’e-santé les domaines et usages médicaux auxquels sont appliquées des technologies numériques, technologies qui pourraient permettre de révolutionner la détection et le traitement des maladies, ainsi que de repenser la relation médecin-patient.


A l’arrivée se profile un système de santé plus personnalisé, plus fluide et plus performant. Cette révolution apparaît particulièrement prometteuse dans trois domaines : la médecine à distance, le croisement des données médicales et la prévention.


On le sait, la France est durement frappée par la désertification médicale. Plutôt que de passer par des mesures d’obligation d’installation coercitives, difficiles à justifier et à mettre en place, la réponse est peut-être à trouver, au moins pour les consultations les plus bénignes, dans la télémédecine. Certaines solutions sont déjà disponibles. Créée par la société H4D, la Consult Station est une cabine de visite médicale virtuelle qui permet, par exemple, d’accueillir le patient pour une consultation en visioconférence avec un professionnel, et dispose même d’équipements pour effectuer des tests médicaux de routine. Ces nouvelles pratiques intéressent non seulement les personnes éloignées des bassins de population, mais aussi les personnes à mobilité réduite ou même les prisonniers. En effet, ces derniers en bénéficient depuis 2013, dans la maison d’arrêt d’Evreux. Elles pourraient être amenées à se généraliser puisque, depuis le début de l’année, certains actes de télémédecine sont désormais pris en charge par l’Assurance maladie.


Autre avancée qui pourrait considérablement faciliter le travail des professionnels de santé : le partage des données des patients. Le dossier médical partagé (DMP), créé il y a déjà plus d’une décennie, mais jamais vraiment mis en application, devrait être généralisé courant 2018. Le DMP est en quelque sorte un carnet de santé numérique qui permet de recueillir et de stocker toutes les informations importantes relatives au patient : antécédents, allergies, résultats d’examens, traitement médicamenteux... Avec ces éléments, les médecins pourront établir avec plus de certitude leurs diagnostics et leurs prescriptions. Bien évidemment, ce dossier est strictement personnel et réservé aux professionnels autorisés.


Enfin, et peut-être dans un horizon plus lointain, le numérique porte aussi la promesse d’une médecine plus préventive, où les risques sont identifiés et contrôlés en amont plutôt que traités une fois réalisés. L’idée est que toutes les données produites par notre corps puissent être récoltées et analysées, notamment par des applications et des objets connectés, qui veilleraient quotidiennement à notre état de santé. Le "Project Baseline", porté par Google, prévoit, par exemple, une collecte massive de données sur plusieurs années pour parvenir à repérer les signes avant-coureurs de maladie cardiovasculaire ou de cancer. Plus profondément, l’analyse des gènes pourrait permettre de prédire chez certains sujets la probabilité du déclenchement de certaines maladies. Cela est évidemment source d’espoir pour chacun de nous, mais aussi un formidable atout pour les systèmes de santé, qui pourraient diriger leurs ressources et leur personnel sur les individus les plus à risques et ainsi gagner en efficacité.


Dans cette nouvelle médecine qui se profile, les défis technologiques et éthiques sont évidemment immenses. Les données médicales, qui touchent au cœur de la vie des individus et de leur identité, sont particulièrement sensibles et méritent d’être traitées avec le plus grand soin, tant elles peuvent se révéler potentiellement discriminantes. A ce titre, l’Union européenne vient de se doter d’un nouveau règlement sur la protection des données personnelles, qui propose enfin une définition des données de santé à caractère personnel au niveau du continent, et instaure un cadre particulièrement protecteur en leur faveur. Mais la protection de ces données est aussi une question de sécurité informatique : en 2015, la deuxième compagnie d’assurance santé aux Etats-Unis, Anthem, annonçait le piratage de sa base de données et le vol des informations personnelles de 78 millions d’assurés.


Aucun domaine ne résiste à la lame de fond que représente l’essor des nouvelles technologies, et la santé ne fait pas exception. Mais les questions techniques, économiques et éthiques sont ici au moins aussi importantes que les promesses.