Mobilités : l'Europe a un coup à jouer face aux GAFA

L’Europe a la taille, les villes, les capacités institutionnelles et financières pour mener le monde vers une mobilité plus durable.

J’étais récemment à Venise dans le cadre d’Homo Faber : la première grande exposition culturelle consacrée à l'artisanat européen. L'événement, conçu par le milliardaire sud-africain Johann Rupert, avait pour thème : l'idéal de la Renaissance de l'Homme comme Créateur. L’Intention de Rupert était de montrer "ce que les êtres humains peuvent faire de mieux que les machines" et de "rappeler au public la valeur de la main humaine", à grand renfort de montres, de voitures de luxes, et d’autres joyaux de l’artisanat européen. Hasard du calendrier, ce jour-là, Tim Cook dévoilait au monde l’iWatch 4, dernier bijou technologique d’Apple. 

La concomitance de ces deux événements m’a rappelé à quel point la supériorité technologique déséquilibrait en profondeur les marchés en anéantissant nos savoir-faire ancestraux et leurs traditionnels modèles de consommation. J’étudie depuis quatre ans le secteur des transports, pour créer à Paris le Sommet de la Mobilité Urbaine. Si je suis évidemment fasciné par toutes les évolutions qui le caractérise, je suis également profondément dérangé en tant que contribuable du Vieux Continent. En effet, les récentes mais néanmoins puissantes invasions technologiques américaine et chinoise ont aujourd’hui des conséquences lourdes sur la compétitivité de l’Europe en termes de mobilité, et ce principalement pour deux raisons.

La première est qu’elles ont profondément perturbé notre rapport aux services, comme notre façon de travailler, en imposant de nouvelles normes très éloignées de ce que nous connaissions… La seconde, en ce que les rentes vertigineuses des GAFA ont considérablement enrichi les Etats-Unis comme la Chine, laissant l’Europe incapable d’opposer une concurrence économique solide. Aussi, à l’heure où les investisseurs s’intéressent (enfin) aux start-up de la mobilité, nos pépites européennes n’ont que peu de chances d’émerger, soumises à des outils de concurrence faiblards, contraintes à la vente au détail, ou encore engluées dans des contrats publics complexes et exclusifs.

En parallèle, les jeunes pousses chinoises ou américaines augmentent, elles, leurs capitaux, et se déploient ainsi parfois à la vitesse d’une ville par semaine – souvent même sans autorisation tant la législation est encore lente à s’adapter. Par ailleurs, le sujet à notre époque n’est plus le véhicule, mais la plateforme. Dans le passé, les véhicules devaient en effet être sûrs, fiables et durables. Dès lors que nous envisageons la mobilité en tant que service (MaaS), le véhicule doit être avant tout peu coûteux et disponible : des conditions qui favorisent évidemment les pays qui fabriquent à bas coûts, notamment asiatiques.

Avant l'intelligence artificielle et les réseaux de neurones, seuls les fabricants possédant les meilleurs ingénieurs et artisans avaient un avantage concurrentiel. Mais en 2018, la compétition est désormais d’arriver à produire rapidement un véhicule bardé de capteurs qui envoient des données pour que l'IA en tire parti et l’améliore. Ainsi, Vespa, la marque de scooters la plus célèbre au monde, n’a pas encore lancé de scooter électrique connecté. En parallèle, en seulement quatre ans, la start-up chinoise Niu Scooters a collecté des fonds, construit une usine et vendu plus de 250 000 scooters équipés de plus d'une douzaine de capteurs. 

Si les Européens sont incontestablement les leaders mondiaux de l’exportation de leur style de vie, ils sont encore malheureusement très en retard sur les questions de mobilité. Ce continent en a pourtant les moyens… il doit simplement comprendre que là encore, comme il l’a fait pour sa gastronomie, ou sa mode, il doit user de plus d’audace ! 

L’Europe a la taille, les villes, la capacité institutionnelle et la capacité financière pour mener le monde vers une mobilité plus durable. Si l'occasion se présente, un avenir prometteur s'annonce. Dans le cas contraire, la nostalgie du passé ne sera pas une consolation compte tenu des enjeux économiques et environnementaux associés.

Ross Douglas est le fondateur d'Autonomy, le salon de la mobilité urbaine, dont le JDN est partenaire, et qui se tiendra à Paris du 18 au 20 octobre. Au programme : stands d'exposants, pitch de start-up, tables rondes et keynotes.

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