Faut-il avoir peur du grand méchant Libra ?

La future crypto-monnaie de Facebook, qui devrait être lancée en 2020, divise. D’un côté, ceux qui n'ont plus confiance dans le réseau social, de l'autre ceux qui y voient un projet hors norme.

Depuis l’annonce du lancement en 2020 de Libra, la crypto-monnaie façonnée par Facebook, les lignes de front sont restées sur leurs positions. D’un côté, les détracteurs qui considèrent soit qu’il ne peut y avoir d’alternative à bitcoin (monnaie digitale et libre par excellence) ou qu’il n’est juste pas possible de faire confiance à Facebook. De l’autre, ceux qui veulent donner sa chance à un projet hors norme.

Pourquoi finir par payer vos achats en Libra?

Pour bien comprendre les arguments de chaque parti, il est nécessaire de revenir aux bases de la notion de monnaie. Prenons, par exemple, celle d’Aristote qui pose la monnaie comme unité de compte, réserve de valeur et intermédiaire des échanges. Force est alors de constater que les crypto-monnaies ne sont pas véritablement des monnaies tant qu’elles ne permettent pas le paiement.

Et c’était l’argument principal des détracteurs des crypto-monnaies : à leurs yeux, mis-à-part pour spéculer ou réaliser des opérations douteuses, une monnaie très volatile ne permet pas vraiment le paiement et n’est donc qu’un gadget.

Or l’approche était triplement fausse : d’abord parce que les mécanismes d’échanges permettent désormais de payer en crypto-monnaies volatiles comme bitcoin sans risque ni pour le vendeur ni pour l’acheteur (par un mécanisme d’échange et de compensation). Ensuite parce que l’arrivée des crypto-monnaies stables (les stablecoins) comme Libra change la donne : un stablecoin n’est rien d’autre qu’une e-monnaie et constitue un moyen de paiement simple d’utilisation. Enfin parce que la force des crypto-monnaies est de pouvoir être des traceurs de data. Elles ouvrent les portes à un paradigme où la valeur n’est pas seulement monétaire mais également CRM (la monnaie intégrant des data relatives aux profils des personnes les échangeants).

Conclusion : si les marques y trouvent un intérêt et les clients une facilité d’usage, alors les crypto-monnaies et en particulier celles stables comme Libra ont vocation à se développer. Donc oui, vous payerez bientôt vos courses en Libra !

Libra : ce que vous avez raté

Pour vous dissuader, tout serait sans doute plus facile aux opposants de Libra si la monnaie agrégeait les data de tous les partenaires de l’association éponyme. Ils pourraient ainsi jouer sur le manque de confiance grandissant des utilisateurs vis-à-vis de Facebook tout particulièrement depuis le scandale Cambridge Analytica.

Mais pour comprendre Libra, il faut admettre que son consortium repose sur une blockchain véritablement décentralisée (Move). C’est d’ailleurs ce qui explique que plusieurs concurrents puissent avoir accepté d’intégrer son cercle : il n’est pas question d’un échange automatique des data entre tous les membres de l’association. Des échanges bilatéraux (transparents) seront possibles, des échanges ponctuels impliquant l’ensemble du groupe sur des sujets de gouvernances existeront nécessairement. Libra ne se veut pas un consortium où les data seraient partagées, mais bien comme un bitcoin stable dont l’adoption globale aura été mieux réfléchie par chacun des membres de l’association. La promesse ? Une adoption facilité par les portes d’entrées multipliées, puisque chaque acteurs du consortium créera la sienne sous forme de porte-monnaies (pour pouvoir recevoir et envoyer des data).

Ainsi, adopter Libra n’implique pas de faire confiance aveuglement à Facebook ! La clef de Libra, pour Facebook sera par contre Calibra (son porte-monnaie) dont l’utilisation impliquera nécessairement une confiance dans l’entreprise de Mark Zuckerberg. Mais comme les porte-monnaies qui permettront d’accepter Libra (voire que Libra !) ont vocation à se multiplier, il faut bien convenir que pour continuer d’accéder à certains services, les consommateurs ne se poseront même pas la question. Et ils adopteront vraisemblablement la Libra de manière indolore.

Ainsi, n’ayez pas peur du "grand méchant" Libra : si jamais il y a un vrai "loup", c’est sans doute Calibra ! Mais c'est une chance pour les États puisque les porte-monnaies numériques tombent, eux, sous le coup de leurs régulations traditionnelles...