Peu risqués mais sans garantie de succès, les wallets se multiplient

Peu risqués mais sans garantie de succès, les wallets se multiplient Après les banques et les Gafa, retailers et industriels se lancent dans le paiement. Pour espérer s'imposer, une seule solution : adjoindre un bouquet de services à son appli.

En ce printemps 2018, les wallets fleurissent sur le marché français : Allianz a lancé son portefeuille mobile Allianz Prime, qui permet d'effectuer des achats en ligne, en magasin et de collecter des points de fidélité. Total a annoncé l'arrivée prochaine en France (déjà disponible en Allemagne et en Belgique) d'une solution qui sert à régler son essence directement depuis son téléphone. Carrefour a dévoilé Carrefour Pay, un moyen de paiement lié au programme de fidélité et couponing de l'enseigne.

"Il y en a quasiment un nouveau tous les jours dans le monde. C'est un peu la guerre. Il y aura donc des gagnants et des perdants", observe Christian Laroche, managing director cards & payments au sein du cabinet spécialisé dans les moyens de paiement Azzana consulting. "Nous sommes de plus en plus consultés par des marchands et industriels comme les constructeurs automobiles sur le sujet du wallet", confirme Julien Maldonato, associé conseil innovation chez Deloitte. Mais sortir un wallet est-il vraiment pertinent pour un acteur non bancaire ?

Pour les grands groupes, une solution de paiement mobile n'est pas synonyme de casse-tête. "C'est facilement intégrable dans le parcours client. Alors pourquoi s'en priver ? Il est plus logique de se lancer soi-même que de laisser un autre le faire à sa place", indique Julien Maldonato. Les barrières à l'entrée sur le marché du paiement ont baissé ces dernières années, en particulier depuis l'entrée en vigueur de la directive européenne sur les services de paiement le 13 janvier dernier qui oblige les banques à ouvrir leurs données de paiement aux acteurs tiers. "Chaque grand groupe peut aujourd'hui créer sa start-up de paiement. Elle ne prend aucun risque à en avoir une", insiste Julien Maldonato.

"Chaque grand groupe peut aujourd'hui créer sa start-up de paiement"

Les entreprises dans le BtoC ont une grosse carte à jouer puisqu'un wallet leur permet de fluidifier le parcours client. Total l'a bien compris. Avec sa solution, plus besoin d'aller faire la queue à la boutique d'une station essence, il suffit de sélectionner la pompe et payer en quelques clics directement dans l'application. "Nous constatons un gain de temps de 10 à 30%. Même s'il n'y a pas de queue à la boutique, le wallet fait quand même gagner du temps puisqu'il évite de faire un aller-retour", souligne Gilles Bourron, expert moyens de paiement chez Total. Même philosophie chez Starbucks. Son wallet permet à ses clients américains et hongkongais de commander et payer leur boisson sur leur mobile et de la récupérer directement en magasin, sans faire la queue. Aujourd'hui, 9% des transactions chez Starbucks sont réalisées via cette solution.

Autre élément intéressant pour une entreprise qui s'adresse au grand public : la donnée client. Avec un portefeuille mobile, les entreprises collectent plus de données, ce qui leur permet de mieux connaître leurs clients. Ce n'est donc pas négligeable pour certaines entreprises qui peinent encore à exploiter ces mines d'informations. "Avant, on identifiait le client via sa carte de fidélité mais on le contactait par mail plusieurs jours après son passage à la station. Avec le wallet, on peut lui proposer des offres personnalisées sur place", explique Antoine Tournand, directeur réseaux et cartes au sein de la branche marketing et services de Total.

Au-delà du moyen de paiement

Contrairement aux Apple Pay & co, qui proposent juste un moyen de paiement dématérialisé, les marchands et industriels peuvent se différencier en enrichissant leurs wallets de fonctionnalités. "Un retailer qui donne des points de fidélité lorsqu'un client utilise son wallet apporte une valeur ajoutée que ne proposent pas les Gafa", illustre Christian Laroche. C'est la stratégie de Lyf Pay, un wallet multi-enseignes lancé en mai 2017 qui regroupe trois banques (Crédit Mutuel, BNP Paribas et la banque d'Auchan, Oney), deux distributeurs (Carrefour et Auchan), Total et Mastercard. Cette solution, qui est compatible avec tout type de téléphone, combine le paiement mobile avec des services d'animation commerciale comme un programme fidélité, des coupons et d'autres offres. La solution est déployée chez Auchan et Casino et arrivera chez Carrefour en 2018.

Pour le patron de Lyf Pay Christophe Dolique, la wallet multi-usages est la clé de la réussite : "En Chine, les deux wallets Alipay et WeChat Pay représentent déjà plus de 80 % du marché des paiements mobiles avec chacun plus de 500 millions d'utilisateurs. En complément du paiement, ils proposent un bouquet de services optimisant le quotidien des consommateurs et apportant des solutions innovantes pour les commerçants." D'autres fonctionnalités seront prochainement ajoutées à Lyf Pay. "Nous allons intégrer la possibilité de régler son addition directement à table sans l'intervention du serveur ou la possibilité pour un consommateur de scanner et payer ses produits directement avec son smartphone sans passer par la caisse", révèle Christophe Dolique. Carrefour a aussi fait le choix d'intégrer les programmes de fidélité et le couponing à son wallet... alors qu'il sera possible de le faire aussi via Lyf Pay en 2018. Christophe Dolique assure que Lyf Pay sera complémentaire de Carrefour Pay puisque le wallet du géant de la distribution n'est disponible que sur Android.

"Un retailer qui donne des points de fidélité avec son wallet apporte une valeur ajoutée que ne proposent pas les Gafa"

Les entreprises qui veulent sortir leur wallet doivent aussi penser sur le long terme. Total s'imagine désormais en prestataire de paiement dans le secteur des mobilités. Le groupe français a déjà signé un partenariat avec la société d'autopartage allemande DriveNow, filiale de BMW depuis janvier dernier. Le paiement du carburant se fait directement dans la voiture via le wallet de Total. Le pétrolier est actuellement en discussion avec d'autres acteurs de l'automobile et de la mobilité, dont les noms ne sont pas encore communiqués.

Les efforts des marchands et industriels suffiront-ils à rendre le wallet pertinent aux yeux des utilisateurs ? Selon une étude de Cofidis Retail réalisée en partenariat avec l'institut GFK, seulement 28% des Français veulent utiliser leur téléphone mobile pour régler leurs achats, (43% des jeunes). Et 10% des Français ont payé avec leur mobile ces douze derniers mois (20% des jeunes). De son côté, Lyf Pay revendique 500 000 téléchargements mais ne communique pas sur le nombre d'utilisateurs de l'application. "Lyf Pay a autant de mal à faire adopter un nouvel usage qu'Apple avec Apple Pay. L'idée de se regrouper est intéressante mais cela reste tout de même difficile à faire adopter", estime Julien Maldonato. Un autre problème peut faire hésiter une entreprise à se lancer avec un wallet : la  multiplication des offres. "Les utilisateurs risquent de se retrouver avec de multiples identifiants : un compte Total, un compte Carrefour, un compte Decathlon…", fait remarquer Julien Maldonato. "A long terme, il y aura probablement une hégémonie dans ce secteur et ce sera vraisemblablement un duopole", ajoute-t-il. Un wallet ne fait pas forcément le printemps.