Laurent Morel (Klépierre) "Nous avons encore de grands centres commerciaux à fabriquer"

Cession de galeries commerciales à Carrefour, cap sur les métropoles en croissance et sur le commerce en gare et en aéroport... Le président du directoire de Klépierre détaille sa stratégie.

A la tête de Klépierre depuis 2009, Laurent Morel affiche clairement sa volonté d'adapter le groupe foncier aux évolutions auxquelles est en proie le secteur d'activités dans lequel il évolue. Les consommateurs comparent avant d'acheter ? Ils peuvent aussi bien le faire en ligne qu'en magasin ? Autant d'éléments qui amènent le dirigeant à recentrer son patrimoine sur les grands centres commerciaux, ceux-là même qui abritent de plus en plus de concept stores, et à penser que c'est désormais le commerce physique qui doit venir au client, et non plus l'inverse. Laurent Morel explique au JDN comment il compte y parvenir.

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Laurent Morel, président du directoire de Klépierre. © Michel Labelle

JDN. La fréquentation des centres commerciaux français est à la peine depuis 2008. Comment doivent-ils s'adapter ?

Laurent Morel. Les centres commerciaux doivent accompagner les grandes tendances de l'évolution du commerce et des enseignes. Aujourd'hui, par exemple, les enseignes comme Zara et H&M sont plus sélectives et se recentrent sur des magasins de plus grande taille, plutôt de l'ordre de 3 000 mètres carrés contre 1 000 autrefois. A l'avenir, elles mettront en scène leurs produits dans des concept stores, des magasins qui seront autant des showroom que des lieux de distribution, de manière à accélérer la transformation du visiteur en acheteur. Il y a une convergence de l'offre des enseignes et de la demande des consommateurs vers ce type de lieux. Internet permet en effet aux clients de se renseigner sur le produit en amont, avant de se trouver dans le magasin. Ce dernier doit donc devenir le lieu de l'expérience et de la prise de décision. Les évolutions de comportement par rapport aux modes de transports contribuent également à ce phénomène de convergence. Le nombre de consommateurs qui se déplacent en voiture diminue significativement, notamment chez les plus jeunes. D'où l'importance encore plus grande de la connexion des centres commerciaux aux infrastructures de transport. D'où l'importance aussi du commerce en gare ou dans les aéroports qui se développe de manière spectaculaire. Tout cela concoure à une polarisation de l'offre et de la demande vers des magasins plus grands, offrant l'expérience client la plus aboutie, au détriment de commerces plus dispersés qui ne se distinguent pas autant de l'achat sur Internet.

"Ce que le gouvernement devrait faire ? Son travail !"

C'est la raison pour laquelle Klépierre s'apprête à céder près de 130 galeries commerciales à Carrefour ?

Oui. Klépierre s'est positionné sur ces galeries à un moment où cela lui a permis de changer de taille et de s'implanter à l'étranger. Entre temps, nous avons continué à fabriquer des grands centres commerciaux. Sur les 70 grands centres commerciaux que possède Klépierre aujourd'hui, nous n'en avions que 25 à l'époque où nous avons acheté les galeries Carrefour. Depuis, la part de ces galeries dans notre patrimoine a considérablement diminué. Comme nous avons encore de grands centres commerciaux à fabriquer, nous avons fait le choix stratégique de recentrer notre patrimoine sur ce type d'actifs. En plus, cela nous permet de nous recentrer sur les zones géographiques clés que nous avons identifiées : des pôles métropolitains à pouvoir d'achat élevé, à forte croissance démographique, à forte densité d'établissements d'études supérieures et aux infrastructures de transport adaptées. Parmi eux, Paris bien sûr mais aussi Toulouse, Marseille, Montpellier, Lyon...

"Certains chantiers du Grand Paris doivent avancer plus vite"

Qu'est-ce que le gouvernement devrait faire et qu'il ne fait pas pour aider les promoteurs immobiliers ?

Son travail ! C'est-à-dire faire aboutir les sujets de gouvernance et d'infrastructures des grandes métropoles. Certains chantiers du Grand Paris doivent avancer plus vite. Les promoteurs, et les acteurs économiques au sens large, ne peuvent pas se positionner sur des projets d'envergure tant que les projets d'infrastructures ne sont pas établis, financés et actés. Le regroupement des communes qui doit aboutir à la création de grandes métropoles propriétaires de leur plan d'aménagement du territoire, c'est là un acte fondateur pour les acteurs économiques qui ont besoin de visibilité. Ce qui a été fait à Lyon est à cet égard exemplaire et devrait être reproduit dans d'autres grandes agglomérations. Une gouvernance claire, des projets affichés et financés, voilà ce qui permet à l'ensemble des acteurs de s'engager. Un euro d'argent public génère en moyenne cinq ou six euros d'investissement privé. Klépierre travaille dans des villes scandinaves qui ont une démarche de planification urbaine claire. En France, il faut que les politiques aillent au bout de leur logique : rassemblement des communes, diminution du nombre de régions, aboutissement du Grand Paris. Il faut que tout cela aille plus vite.

Vous êtes donc favorable à une réduction du nombre de régions ?

En ce qui nous concerne chez Klépierre, nous nous intéressons plus aux villes qu'aux régions. Mais cela me semble aller dans le même sens que la constitution de grandes métropoles. Si les idées qui président à ce mouvement de diminution du nombre de régions sont appliquées aux villes, nous devrions normalement voir un plus grand nombre de métropoles se constituer et plus rapidement. Cela générera plus de visibilité et donc plus d'investissements.

"Le rapport qualité-prix est souvent le premier critère de choix"

Dans vos centres commerciaux, quels sont les secteurs gagnants et les perdants ?

Nous nous intéressons plutôt aux tendances à l'intérieur des secteurs, pour jouer la carte des enseignes qui se renouvellent et progressent, plutôt qu'aux évolutions d'un secteur par rapport à l'autre. Ceci étant dit, le secteur de l'équipement de la personne est plutôt stable, celui de l'équipement de la maison – meuble et électronique – est plutôt en régression. Ceux de la beauté, de la santé et de la restauration enregistrent quant à eux une croissance assez forte.

Alors quelles sont les enseignes qui cartonnent dans vos centres commerciaux ?

Les réussites de Zara, H&M et plus récemment Primark sont exemplaires. Mais il y a aussi des acteurs français qui tirent très bien leur épingle du jeu. Tati et Kiabi ont récemment renouvelé leur concept et connaissent depuis un franc succès. Le groupe Beaumanoir a lui aussi repositionné ses marques, comme Cache-Cache. Ces acteurs ont compris que le consommateur est, plus encore qu'avant, à la recherche d'un bon rapport qualité-prix et que c'est souvent le premier critère de choix.

Les nouveaux entrants ont-ils encore leur place face à ces géants ?

Oui, puisque le monde de l'habillement suit la mode et que celle-ci est extrêmement mobile !

"Le commerce physique est grandement favorisé si le magasin se trouve sur le parcours du client"

Dans tous les secteurs, les géants regardent ce que font leurs concurrents. De quel promoteur immobilier pourriez-vous aujourd'hui saluer la réussite/l'ingéniosité ?

Nous jaugeons plus la réussite des centres commerciaux que celle de leur promoteur. Vous me permettrez de penser que les derniers développements de Klépierre sont parmi les plus extraordinaires. Saint-Lazare est une réussite exceptionnelle, saluée par tout le monde. Mais, je peux aussi parler par exemple de Beaugrenelle qui est une très belle réalisation.

Dans quels pays puisez-vous des idées ?

Aux Etats-Unis. D'une part parce que le consommateur américain est le plus sophistiqué. C'est le monde de l'hyperconsommation par excellence. Le commerce américain a toujours été en avance sur le commerce mondial. D'autre part parce que notre actionnaire principal, le groupe Simon Property, est leader de la gestion des centres commerciaux aux Etats-Unis. Nous bénéficions donc d'un accès privilégié aux savoir-faire américains. C'est une source d'inspiration inépuisable.

Est-ce que vous commencez à regarder ce qui se fait en Asie ?

Non, nous n'avons pas d'ambition en Asie aujourd'hui.

"Le regroupement des communes est un acte fondateur pour les acteurs économiques qui ont besoin de visibilité"

A votre avis, à quoi ressembleront les centres commerciaux de demain ?

On se dirige vers un modèle dynamique. La révolution Internet a fait que le produit est à tout moment disponible dans la tête des gens. L'acte d'achat se compose aujourd'hui de plusieurs phases : une phase de consultation, une phase de réflexion, une phase de choix et une phase d'après-vente, chacune pouvant se passer dans un commerce physique ou virtuellement. L'acte volontaire d'aller vers le commerce physique est donc grandement favorisé si le magasin est facilement accessible, voire se trouve sur le parcours du client. D'où l'explosion des modalités de commerce en aéroport ou en gare, mais ce ne sont que des éléments de ce phénomène. Il y a un nomadisme plus important. C'est donc, avec bien sûr la qualité de l'accueil, l'ambiance des lieux, les services, la valeur de la rencontre du client avec les marques et les enseignes, ce qui va déterminer ce que seront les centres commerciaux demain. Le dernier centre commercial que nous avons créé à Malmö est installé à proximité immédiate d'une gare qui dessert tout le Sud de la Scandinavie avec 260 trains par jour. Et la moitié de la fréquentation journalière de ce centre commercial vient de la gare.

 

Le JDN a rencontré Laurent Morel à l'occasion de la conférence annuelle de l'association Urban Land Institute (ULI) France, qui regroupe près de 200 professionnels de l'immobilier (promoteurs, investisseurs, organismes publics, avocats, architectes...).