Legrand veut devenir le Goliath de la domotique

Legrand veut devenir le Goliath de la domotique L'industriel compte connecter 40 de ses 81 familles de produits d'ici 2020, en travaillant main dans la main avec des spécialistes du secteur comme Netatmo.

Legrand a faim. Le géant français de l'infrastructure électrique a acheté pas moins de huit entreprises en 2016. Ce féroce appétit lui permet de se renforcer sur un terrain devenu capital dans le monde du bâtiment : l'IoT. Quatre de ces acquisitions ont un lien direct avec les objets connectés.

Le groupe s'est emparé de deux entreprises britanniques : CP Electronics, spécialiste des systèmes de contrôle de l'éclairage et de la détection de mouvements, et Jontek, qui conçoit des équipements de télésurveillance et de télésanté destinés, entre autres, aux seniors. Legrand a également mis la main sur l'américain Luxul Wireless, qui fabrique des produits d'infrastructure audio et vidéo pour les bâtiments (un secteur dont la demande est fortement tirée par le boom de l'IoT). Il a aussi ajouté à son portefeuille d'acquisition la société Pinnacle Architectural Lighting, qui développe des solutions d'éclairage pour les buildings non résidentiels. Basée aux USA, elle collabore depuis plusieurs années avec des entreprises de l'univers des objets connectés, comme Enlighted, qui a développé une plateforme de gestion des données IoT dédiée aux édifices commerciaux.

"300 millions d'euros de notre chiffre d'affaires 2015 sont liés à notre activité objets connectés"

Pour devenir un acteur central du bâtiment intelligent, Legrand a lancé en juillet 2015 Eliot, un programme visant à booster le déploiement de son offre Internet des objets. Sur 81 familles de produits, 23 sont aujourd'hui connectées. "Elles seront 40 en 2020", affirme Jérôme Boissou, responsable marketing de la division Eliot, dont le nom de baptême est une contraction entre électricité et IoT. Plus de 200 personnes appartenant à l'ensemble des branches métiers du groupe travaillent sur ces appareils communicants. "Sur un chiffre d'affaires total de 4,8 milliards d'euros en 2015, 300 millions étaient liés à notre activité IoT", souligne-t-il. Une part encore faible - à peine plus de 6% - mais Legrand mise sur une croissance annuelle à deux chiffres de ces résultats jusqu'en 2020.

Pour construire son offre, l'industriel collabore avec des spécialistes de l'Internet des objets comme le français Netatmo, dans lequel il a investi un montant gardé secret en novembre 2015, à l'occasion d'une levée de fonds de 30 millions d'euros. En janvier 2017, les deux partenaires ont présenté au CES de Las Vegas une nouvelle gamme d'interrupteurs connectés baptisée Céliane with Netatmo. Une vingtaine de collaborateurs, venus à part égale de chez Legrand et Netatmo, ont travaillé main dans la main sur cette offre pendant un an. L'industriel vise là aussi une croissance annuelle à deux chiffres de ses ventes sur cette catégorie de produits jusqu'en 2020. Pour respecter ses objectifs, il a créé huit centres de formation en région afin d'apprendre aux électriciens partenaires comment poser ce nouveau type d'équipements.

La gamme d'interrupteurs Céliane de Legrand a été développée par Netatmo. © Legrand

Mais si Legrand a basculé si vite dans l'IoT, c'est surtout grâce à une forte mobilisation en interne. La direction suit le projet Eliot de près. Le directeur du programme effectue un reporting mensuel au directeur général et rencontre le PDG tous les trimestres. L'ensemble des collaborateurs du groupe sont également impliqués dans la démarche.

"Nous avons lancé un vaste brainstorming en interne avant la création d'Eliot. Les salariés du groupe nous ont donné leurs meilleures idées d'usages IoT. Ils ont par exemple proposé que la sonnette placée devant leur porte prenne une photo et l'envoie sur leur smartphone à chaque fois que quelqu'un presse le bouton. Cette ébauche de concept est devenu un produit, le Carillon connecté, que nous avons lancé en décembre 2016", illustre Jérôme Boissou.

Pour éviter de construire une offre gadget, Legrand s'est penché sur les besoins de ses clients en réalisant avec Capgemini une vaste étude de marché. "Il en est ressorti que les consommateurs ne raisonnent pas de manière compartimentée. Le bâtiment connecté ne doit pas fonctionner en silo mais être relié aux autres sphères de la vie de ses habitants, comme leur voiture ou leurs wearables", explique le directeur marketing.

Legrand vise une croissance annuelle à deux chiffres des ventes de sa nouvelle gamme d'interrupteurs connectés Céliane

Le groupe mise donc sur les partenariats. Il a par exemple signé un accord avec Amazon, dont le haut-parleur intelligent Echo permet de piloter par la voix les interrupteurs intelligents LC6001 commercialisés par le Français. L'industriel a également relié ses appareils avec les plateformes de collecte, de stockage et de pilotage des données IoT de La Poste et de Samsung (Artik Cloud). "Nous pourront ainsi créer de nouveaux services pour nos clients avec d'autres entreprises participantes en mélangeant nos données", souligne Jérôme Boissou.

Pour pouvoir relier ses produits avec ceux d'un maximum de fabricants, Legrand milite pour l'interopérabilité des objets connectés. Sa direction ne croit en revanche pas dans l'émergence d'un Espéranto, car les appareils intelligents ont des fonctions trop diverses, qui ne peuvent pas toutes être remplies à 100% avec un système de communication unique. La société travaille donc exclusivement sur des systèmes de communication ouverts. Elle est membre des alliances Zigbee et AllSeen, deux consortiums qui promeuvent la mise en place de standards de communication pour l'IoT.

Cette stratégie est le fruit d'une série d'essais-erreurs conduits par Legrand dans le secteur depuis une quinzaine d'années. En 2000, la société avait par exemple lancé une box domotique baptisée Omizzy, un projet rapidement enterré. Contrairement à de nombreuses entreprises qui tentent de mettre le pied dans la maison connectée avec des box de ce type, le groupe pense aujourd'hui que la connectivité sera directement intégrée aux objets connectés, et qu'ils n'auront pas besoin de relai de communication autre que le smartphone de leurs utilisateurs dans la maison.