Les textiles techniques tissent leur révolution industrielle Un secteur à l'immense potentiel

Il y a encore quelques années, on croyait l'indus­trie textile morte, sonnée, mise K.-O. par les industries asiatiques et leur production à bas coût. C'était un peu trop vite oublier le fort po­tentiel du secteur des textiles techniques.

D'ici à 2020, les textiles techniques représente­ront 80% des textiles produits en France

Avec une croissance annuelle de 3%, le domaine n'est plus une niche mais un immense marché. Lumineux, ré­chauffants, rafraîchissants, anti-UV, connectés... les textiles ne cessent de se découvrir des fonctionnalités, et les PME françaises de s'ouvrir à de nouveaux mar­chés. D'ici à 2020, les textiles techniques représente­ront 80% des textiles produits en France.

Des tissus remplis de capteurs

À la fois souple, léger, écologique et conducteur, le textile présente cet énorme avantage de pouvoir s'im­miscer partout. C'est ce que confirme Stéphane Vérin, de l'Institut français de la mode (IFM) : "Même sur des marchés hyper-concurrentiels comme les couches-culottes, où il y a déjà quinze brevets déposés, le textile technique a une carte à jouer. Avec les nouvelles fibres remplies de capteurs qui se développent actuellement, on peut imaginer dans quelques années une couche qui change de couleur pour alerter qu'il faut changer bébé par exemple."

les textiles techniques peuvent trouver des applications dans tous les secteurs.
Les textiles techniques peuvent trouver des applications dans tous les secteurs. Ici, un canapé qui s'illumine la nuit. © Maxime Dufour Futurotextiles3/ IFTH-DR

Car les recherches actuelles offrent d'infinies possibilités de décli­naisons aux textiles. Une vraie révo­lution. "Actuellement, il y a des innova­tions à tous les niveaux de la chaîne de valeur", selon Stéphane Vérin. Rien que sur la fibre elle-même : le lin est actuellement très valorisé du fait de sa qualité naturelle, biosourcée, aussi souple et malléable que des fibres de carbone. Plus original : certains cher­cheurs s'inspirent de la peau de requin pour créer des tissus anti-graisse ou anti-taches. Les nanoparticules d'ar­gent, elles, sont largement utilisées pour lutter contre les mauvaises odeurs et les bactéries. Sans oublier la fibre de verre, d'aramide, de métal, de céramique, de silice, de maïs, de betterave ou la fibre optique. Toutes apportent une fonctionnalité différente au textile.

"Paradoxalement, c'est dans l'habillement grand public que l'on trouve le moins d'innovations"

Une fonctionnalité qui dépend également de la manière dont les fibres sont assemblées. Là aussi, les innovations sont nombreuses. Fini le tricotage classique, les non-tissés, ces tissus désormais assemblés par plaques, révo­lutionnent la production. Actuellement, les recherches se concentrent sur l'impression en 3D : imprimer des couches successives de systèmes micro-électroméca­niques à base de silicium pour obtenir des textiles souples, modulables et conducteurs. C'est bien grâce au côté modulable et à son pouvoir actif que le textile inté­resse. "La majeure partie des recherches actuelles sur les textiles se concentre sur l'intégration de capteurs dans le textile, et même la création de capteurs en textile", explique Stéphane Vérin. Aujourd'hui, le textile est rafraîchis­sant, chauffant, luminescent et conducteur.

Tisser directement des schémas électroniques

"L'avenir proche, c'est une combinaison de pompier bardée de capteurs invisibles qui permettront directement depuis le PC de sécurité, grâce aux données de la combinaison du soldat du feu présent sur place, de détecter les fuites de gaz, les hausses de température, mais aussi de surveiller les bat­tements de coeur du pompier. L'armée concentre d'ailleurs ses recherches là-dessus", souligne Stéphane Vérin.

Le laboratoire de recherche Gemtex vient de mettre au point un système de fibres conductrices, directement tissées. Il a réalisé un schéma électronique en croisant les fils pour les connecter. Une innovation qui permet­tra de créer des vêtements hyper-connectés : avec un sonar intégré dans les fibres pour guider les malvoyants, un autre pour détecter les vibrations du coeur d'un pa­tient malade, un body qui change de couleur selon la température de bébé ou un soutien-gorge capable de détecter des tumeurs cancéreuses. Ou encore un tapis de sol rempli de fibres optiques capable de détecter et d'amortir la chute d'une personne âgée. Ce n'est plus du prototype, ces innovations sont sous nos pieds.

"Para­doxalement c'est encore dans l'habillement grand public que l'on trouve le moins d'innovations et le moins d'apports de textiles techniques, explique Évelyne Chaballier, auteur d'une étude sur l'avenir des textiles techniques pour le Centre européen des textiles innovants (Ceti ). L'inno­vation viendra quand le secteur de la mode aura compris qu'il peut apporter de nouvelles fonctionnalités. Les créa­teurs s'inspireront peut-être des textiles médicaux, actuel­lement en pleine expansion grâce au vieillissement de la population. Il faut encore prouver que les textiles techniques rendent la vie plus agréable."

"Tout est possible"

Les textiles techniques n'ont pas encore révélé tous leurs secrets. Mais les idées de marchés à conquérir se mul­tiplient. Avec son côté souple et conducteur, et surtout biosourcé, le textile peut intéresser le secteur pourtant hyper-concurrentiel des emballages. Il remplacerait le plastique tant décrié actuellement. On peut imaginer une fibre biosourcée qui réagit quand le produit devient périssable. Ou encore un textile qui contient dans ses fibres le code-barres de l'article. Ou même un textile qui maintient le produit frais grâce à des fibres rafraîchis­santes. "Tout est possible", explique Elizabeth Ducottet, P-DG de Thuasne, leader européen des textiles tech­niques médicaux, qui consacre 5 % de son chiffre d'af­faires à la R&D. Encore faut-il être ouvert aussi aux innovations d'autres filières et secteurs. Comme l'encre électroluminescente inventée par Siemens pour faire briller les textiles et changer les motifs selon la lumière. Le secteur en pleine révolution est en train de tricoter tous les marchés.

Article d'Amandine Dubiez paru dans (Re)conquêtes industrielles (Jan-Fév. 2013)