La ville du futur existe, on l'a visitée

La ville du futur existe, on l'a visitée Un éclairage qui s'adapte à la circulation, des bus qui évitent les accidents, des poubelles aspirées sous terre… Présentées à la Smart City Expo, ces innovations sont déjà expérimentées.

6 heures du matin. Avant de partir au travail, direction le local à poubelles pour y déposer les déchets de la veille. Les conteneurs sont forcément vides, puisque leur contenu est aspiré par le sol. Ce n'est qu'une fois dans la v oiture électrique, rechargée grâce à un lampadaire, que la rue s'éclaire. Une route sur laquelle les bus peuvent changer de voie sans s'inquiéter : un capteur connecté signale au conducteur les dangers dans les angles morts. En parlant de capteurs : chaque passage devant une boutique est enregistré et compilé dans un disque dur.

Cette borne de recharge électrique reliée à l'éclairage public est beaucoup moins chère à installer que des bornes dédiées. © Ebee

Le scénario vous paraît digne de la science-fiction ? Ces situations feront pourtant bientôt partie du quotidien, si l'on se fie aux innovations présentées à la Smart City Expo de Barcelone, qui se tenait du 17 au 19 novembre. Le JDN y était.

Et les meilleures innovations se cachaient parfois dans les objets les plus banals. A peine entré dans l'imposant parc des expositions Gran Via de Fira Barcelona, une start-up berlinoise, coincée au milieu de mastodontes Microsoft ou autre Siemens, attire l'œil. C'est que le lampadaire d'apparence classique qui occupe son petit stand a une étonnante particularité : il est équipé d'une large prise de courant. Ebee a eu l'idée, aussi simple qu'ingénieuse, d'intégrer une borne de recharge pour véhicules électriques directement dans l'éclairage public.

Ce dispositif, adaptable à n'importe quel autre mobilier urbain raccordé au réseau électrique, permet de créer facilement, rapidement et à moindre coût des bornes de recharge mises à disposition des conducteurs de voitures électriques. En puissance intermédiaire (22W), le dispositif est facturé 2 649 euros par l'entreprise allemande, contre entre 6 000 et 10 000 euros pour une borne classique de même puissance. Outre l'aspect économique, il permet un gain de place considérable et évite d'encombrer le paysage urbain.

Le Chargespot d'Ebee a déjà été adopté par Berlin, où la start-up espère installer 50 stations en 2016 en plus des deux déjà existantes, Leipzig (Allemagne), Biel (Suisse) et Vorarlberg (Autriche). L'entreprise allemande est aussi en négociation avec des villes italiennes, où entre 50 et 100 stations devraient être mises en service l'année prochaine, danoises, autrichiennes, américaines et chinoises.

Grâce au système Shield+, les conducteurs de bus n'ont plus d'angles morts. © Mobileye

A quelques pas de là, difficile cette fois de ne pas remarquer l'imposant stand de Cisco. Des voitures miniatures y sont mises à disposition du public. Une hôtesse m'invite à en faire rouler une jusqu'à sa place de parking attitrée. Une fois garé, la présence du véhicule enclenche le lampadaire qui lui fait face.

Car rendre l'éclairage public plus intelligent, c'est la marotte de l'entreprise américaine, qui expérimente dans plus de 90 villes du monde entier un panel de technologies connectées, dont notamment le Smart+Connected Lighting.

Ce dispositif, explique l'ingénieur présent sur place, intègre, en plus d'un l'éclairage LED moins gourmand en énergie et plus précis que les ampoules classiques, toute une panoplie de capteurs permettant d'adapter la luminosité à la circulation. Le système s'ajuste également selon les conditions météorologiques en mesurant les rayons UV, notamment. Il peut même alerter sur une éventuelle activité sismique anormale.

Les données récupérées par la panoplie de capteurs intégrés pourront aussi être utilisées pour connaître en temps réel le nombre de places de parking disponibles et leur emplacement exact. Une opportunité pour les villes de mieux gérer les flux de circulation dans leurs centres.

Les données récupérées par la panoplie de capteurs intégrés permettront de connaître en temps réel le nombre de places de parking disponibles et leur emplacement

Aux équipements terre à terre de Cisco, les israéliens de Mobileye, installés à quelques pas de là, ajoutent, eux, des caméras directement sur les bus. Un dispositif capable de détecter tous les dangers environnants, comme l'irruption d'un piéton ou d'un cycliste, et d'en alerter directement le conducteur.

Si aucun bus n'est présenté sur le salon, la vidéo de présentation de Shield+ marque les esprits : dans l'habitacle, le conducteur dispose de  trois boîtiers placés  à sa gauche, à sa droite et en face de lui. Dès qu'un danger est repéré, une alarme visuelle et sonore se déclenche du côté d'où vient le danger, suffisamment tôt pour laisser le temps au conducteur de réagir avant l'accident.

Toutes les données récoltées dans chacun des bus permettent a posteriori aux autorités d'identifier les zones les plus dangereuses, comme des carrefours à visibilité réduite, par exemple, et d'adapter la voirie ou la signalisation en conséquence.

Le dispositif est actuellement testé par la mairie de Londres. Sur les trois premiers jours de test, Shield+ y a obtenu un taux de réussite de 98,5% dans l'identification des risques d'accident. Des villes américaines, allemandes, chinoises, japonaises et australiennes se sont renseignées pour l'essayer à leur tour.

Les possibilités autour du Big data semblent infinies. Ce que vient présenter un jeune entrepreneur français au détour d'une allée le confirme : avec sa start-up Placemeter, Florent Peyre offre la possibilité de mesurer de manière précise la fréquentation et l'occupation d'un ou plusieurs lieux en temps réel. Son secret ? Un boitier équipé d'une caméra Wi-Fi relié à un programme capable d'analyser les images et de les convertir en graphiques et tableaux. Et cela fonctionne même avec des caméras déjà existantes.

Le boîtier sans fil de Placemeter est capable de déterminer précisément la fréquentation et l'occupation d'un ou plusieurs lieux en temps réel

Le but pour les collectivités : par exemple, attirer les enseignes dans les locaux commerciaux vacants grâce à un ensemble de données sur la fréquentation des alentours et, notamment, le nombre de personnes qui passent chaque jour à proximité.

Selon le co-fondateur et directeur de l'exploitation de l'entreprise basée à New-York, le dispositif défierait toute concurrence : "Nous estimons que le coût de 3 ou 4 jours de comptage manuel, c'est-à-dire réalisé par des employés sur seulement quelques heures dans la journée, est équivalant à un mois de données récoltées 24h/24 avec notre système."

A 90 euros le boîtier, accompagné d'un abonnement mensuel de 100 euros (75 euros si le client s'engage pour plus d'un an) par appareil, de grandes villes américaines comme New York et Boston ont déjà franchi le pas.

Si le dispositif n'est pour l'instant disponible qu'en pré-commande, Paris a aussi pris les devants : Placemeter révèle au JDN avoir conclu un partenariat avec la mairie pour une expérimentation concernant la mesure de fréquentation des piscines municipales. Un enjeu majeur pour la Ville Lumière et toute sa région : selon une étude de l'Institut régional du développement du sport de juillet 2014, la région Île-de-France ne possède que 0,5 bassin pour 10 000 habitants, soit deux fois moins que la moyenne nationale.

Placemeter a conclu un partenariat avec la mairie de Paris pour mesurer l'affluence dans les piscines municipales

Et Florent Peyre ne compte pas s'arrêter aux grandes agglomérations. Selon lui, toutes les villes peuvent y trouver leur compte : "Même des communes moyennes comme Boulogne-sur-Mer ou Dunkerque se sont montrées très intéressées par notre système".

Mais alors, l'avenir de la ville passera-t-il uniquement par le Big Data ? Un dernier projet intrigue et cette fois, l'informatique n'y peut (presque) rien. Au beau milieu des tablettes et ordinateurs se dresse un stand où ne sont présentés que quelques gros conteneurs. Il s'agit en réalité de poubelles, explique un représentant de la marque, Ros Roca. L'entreprise espagnole a créé un dispositif astucieux de ramassage des déchets, grâce à un système d'aspiration souterrain.

Concrètement, depuis chez lui ou directement dans la rue, l'usager n'a qu'à ouvrir le conteneur correspondant aux déchets qu'il veut jeter : d'un côté les déchets recyclables, de l'autre les ordures ménagères.

Jusque-là, rien d'exceptionnel. Mais dès que les bornes sont pleines, tout une mécanique s'enclenche. Par un mécanisme pneumatique, le système en aspire le contenu. Il est ensuite centralisé dans la centrale d'aspiration puis évacué vers les filières de valorisation. Finies les poubelles dégoutantes entreposées dans des locaux malodorants. Finies aussi les poubelles qui jonchent les trottoirs et les camions bruyants qui passent les ramasser tôt le matin.

Un système de collecte des déchets par tuyaux pneumatiques souterrains est en cours d'installation dans deux villes françaises

En France, deux villes de la région parisienne ont déjà été séduites par ces arguments : Vitry-sur-Seine et Saint-Ouen. Ros Roca y installe ses systèmes depuis 2012, en partenariat avec l'entreprise française Suez.

Vitry a investi 26 millions d'euros dans le projet. 800 logements sont équipés depuis juin dernier. Les 10 kilomètres de réseaux souterrains et ses quelques 390 bornes avaleront, quand le projet arrivera à terme en 2020, 24 000 tonnes de déchets par an, soit la production de détritus d'environ 23 000 habitants.

Du côté de Saint-Ouen, l'éco-quartier des Docks a vu ses premières bornes de collecte sortir de terre en août dernier. D'une longueur totale de 6 kilomètres, le dispositif comportera 143 points de collecte d'ici neuf ans. Loin d'être de la science-fiction donc.