L'espace, le dernier eldorado "Le droit a pris du retard sur la réalité de l'activité spatiale"

Creuser le sol lunaire pour en extraire des astéroïdes, installer une station spatiale commerciale en orbite... Les entreprises privées rivalisent d'imagination pour faire de la conquête de l'espace un projet lucratif. Mais comme sur Terre, elles doivent suivre un ensemble de règles. L'espace n'est pas une zone de non droit, comme l'explique au JDN Laurence Ravillon, professeur de droit privé, doyen de la faculté de droit de Dijon et spécialiste de ce domaine juridique.

"Le traité de l'espace, signé en 1967, pose les bases de la juridiction spatiale : l'espace vide n'appartient à personne et les corps célestes sont à tout le monde"

JDN. Les entreprises privées peuvent-elles exploiter l'espace comme elles l'entendent ?

Laurence Ravillon. Pas du tout ! Comme pour les Etats, leurs activités sont encadrées par des traités internationaux, retranscrits et complétés dans le droit national. Le traité de l'espace, signé en 1967, pose les bases de la juridiction spatiale : l'espace vide n'appartient à personne et les corps célestes (Mars, les astéroïdes...) sont à tout le monde. Lorsque les Américains ont planté leur drapeau sur la Lune, c'était un geste symbolique, elle ne leur appartient pas bien entendu. Parallèlement, des règles de droit des contrats viennent encadrer les accords passés entre les entreprises du secteur. Les entreprises doivent suivre ces règles.

Si les corps célestes appartiennent à tous, ils ne peuvent pas faire l'objet d'une exploitation privée par une entreprise, si ?

Selon les traités actuels, si une société décide d'exploiter les ressources minières des astéroïdes (deux compagnies américaines prévoient de le faire prochainement, ndlr) le bénéfice de cette activité doit revenir à toute l'humanité. Ce serait très difficile à mettre en œuvre et rendrait le projet ruineux pour l'entreprise. Pour que ce type de business se développe, il faudrait adapter les règlementations. Le droit a pris du retard sur la réalité de l'activité spatiale.

"Les contentieux impliquant les consommateurs vont se multiplier"

Comment rattraper ce retard ?

Certains pays, en particulier les Etats-Unis, légifèrent de leur côté pour encadrer les activités émergeantes. En 2004, ils ont publié le Commercial Space Launch Amendments Act, un texte qui organise le tourisme spatial. Mais au niveau international, tout est bloqué. Aucun traité n'a été voté depuis les années 70, faute de consensus. Pourtant, il y a urgence : de plus en plus de vaisseaux vont emmener des particuliers dans l'espace. Les contentieux impliquant les consommateurs vont se multiplier. Sans règlement international, juger ces affaires sera un vrai casse-tête. Pour trancher, les juges ne sauront pas s'il faut appliquer la législation française, russe, marocaine...

Que risquent les sociétés qui ne respectent pas les règles existantes ?

Dans le droit spatial, les Etats sont responsables de leurs activités dans l'espace, mais aussi de celles de leurs nationaux, donc des entreprises privées du secteur établies sur leur sol. Avant d'exercer leur activité, ces compagnies reçoivent une autorisation publique. Si la fusée d'une société américaine se crashe contre un satellite chinois, les Etats-Unis seront sanctionnés : ils devront indemniser les victimes et pourront ensuite se retourner contre l'entreprise en question et lui demander un dédommagement. Théoriquement, ils peuvent être attaqués devant la cour internationale de justice. Dans les faits, cela ne s'est jamais produit : les affaires sont le plus souvent réglées à l'amiable. Lorsque deux entreprises privées entrent en conflit, elles font souvent appel à un tribunal arbitral privé. Les discutions ont alors lieu à l'abri des regards.