La Chine, futur empire de l'innovation ? "L'innovation, ce n'est pas qu'une question de moyens"

Aussi étourdissants soient-ils, les chiffres du succès chinois doivent être analysés avec une certaine vigilance. "Quantité ne veut pas forcément dire qualité", fait observer Patrick Nedellec, qui observe toutefois une amélioration de la qualité des publications chinoises. "Il y a une volonté gouvernementale très forte qui pousse aux dépôts de brevets et aux publications", ajoute Bernard Kahane, professeur en management de l'innovation et stratégie.

patrick nédellec, directeur du bureau du cnrs à pékin.
Patrick Nédellec, directeur du bureau du CNRS à Pékin. © PN

Pour preuve, le gouvernement s'est fixé comme objectif d'atteindre 3,5 brevets par habitant d'ici 2020. "Dans les domaines prioritaires pour la Chine, comme par exemple en science des matériaux, on trouve de bonnes publications, mais dans d'autres secteurs, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous".

Si la Chine est en ordre de bataille pour innover, elle est néanmoins confrontée à un certain nombre de défis. Le premier tient au fait que, dans un souci de rattrapage, les efforts de recherche sont essentiellement tournés vers la recherche appliquée et non vers la recherche fondamentale. Aujourd'hui seuls 5% du budget public de la recherche est consacré à la recherche fondamentale.

"Les innovations de rupture ne peuvent arriver qu'avec de la recherche fondamentale", observe un diplomate à Pékin qui souhaite conserver l'anonymat. "La Chine est consciente de cette lacune et depuis deux ans, on assiste à une augmentation des fonds destinés à la recherche fondamentale", précise cependant Patrick Nedellec.

"Dans les domaines prioritaires, on trouve de bonnes publications, mais dans d'autres, la qualité n'est pas toujours au rendez-vous".

Certains s'interrogent aussi sur l'environnement chinois. Le climat en Chine est-il favorable à l'innovation ? Récemment, un économiste de l'université de Qinghua confiait au Wall Street Journal que le système éducatif ne produisait pas des jeunes capables d'innover. "Dans ces conditions, il va être difficile pour la Chine d'atteindre son objectif de devenir une économie de l'innovation", ajoutait-il.

Si la Chine devrait compter près de 200 millions de diplômés universitaires en 2030, soit presque autant que l'ensemble de la population active de l'Union européenne en 2009, la qualité de la formation tertiaire reste un enjeu de taille. De nombreuses entreprises sont confrontées à une pénurie de compétences.

source : china statistical yearbook on science and technology 2011 et cnrs.
Source : China Statistical Yearbook on Science and Technology 2011 et CNRS. © JDN

Selon une enquête réalisée par l'économiste auprès de diplômés de grandes universités chinoise, un tiers d'entre eux souhaite devenir fonctionnaires ou travailler pour des grandes entreprises d'Etat. A peine 4% souhaitent créer leur propre entreprise.

"La Chine investit des moyens colossaux dans la recherche et l'innovation, analyse Patrick Nédellec. Mais l'innovation ce n'est pas qu'une question de moyens. C'est un tout. C'est une chose d'avoir les moyens d'acheter du matériel très sophistiqué, c'en est une autre d'avoir du personnel qualifié pour l'utiliser. Aujourd'hui ils ont les outils mais pas le personnel pour les utiliser. Demain ils auront les deux".