Parler d'offre de soins a-t-il encore un sens ?

Ce n'est plus la pathologie à traiter qui va déterminer le parcours de soins d'un patient mais la demande de soins et de services exprimés par le patient puis qualifiés par un professionnel de santé.

En matière de santé, la technologie permet des avancées incontestables qu'il s'agisse de suivi patient, de personnalisation des traitements, de recherche clinique ou encore de sécurité sanitaire. La stratégie Ma Santé 2022 constitue un jalon essentiel, elle qui vise à agir conjointement sur l'organisation du système de soins, sur les services aux patients et sur les activités des professionnels de santé. Derrière ces progrès s'opère une transformation majeure, un nouveau paradigme même : le passeport santé. 

Les innovations technologiques nous font entrer dans l’ère de la médecine de précision et intègrent progressivement les notions de soins préventifs et prédictifs en complément des soins curatifs. Au-delà de la nature des soins, c’est le rôle même du patient et de son parcours qui est redessiné. Nous assistons là à une véritable révolution copernicienne dans laquelle c’est la demande de soins et de services exprimés par le patient puis qualifiés par un professionnel de santé, et non plus la pathologie à traiter qui va déterminer son parcours de soins. Car celui-ci ne se vit plus uniquement dans les hôpitaux, il s’ouvre à la ville et à des acteurs nouveaux. La place et le rôle des professionnels de santé va ainsi évoluer pour satisfaire aux exigences des patients.

C’est donc la réorganisation complète de notre système de santé et de l’accès au soin qui est à l’œuvre. Et dans ce nouveau modèle, l’analyse des données du patient va désormais guider le parcours de soins. Le patient en devient pleinement acteur puisqu’il décide de l’utilisation de ses données de santé en engageant la création de son Espace Numérique de Santé et en permettant ou non le partage de ses données. La logique d’offre de soins disparaît ainsi au profit d’une demande en relation de soins augmentée, à savoir développée et améliorée (services et technologies), personnalisée et approfondie (expertise médicale et conseil).

Les données sont donc naturellement au cœur des débats sur l’évolution de notre système de soins. Un mythe reste néanmoins à briser pour tirer pleinement profit de la formidable puissance du numérique : l’usage restrictif que nous souhaitons en avoir. Parmi les principaux freins rencontrés, le manque de maturité supposé des patients pour ces nouveaux usages, l’appétit trop féroce des multinationales qui seraient les seules à pouvoir se partager ce (gros) gâteau ou bien encore le coût prohibitif du stockage. La puissance publique doit bien sûr être protectrice des citoyens, à même de mettre en œuvre une réglementation incitative et efficace, de s’appuyer sur les acteurs privés pour générer et analyser la donnée, et de donner à tous un accès aux soins et à un système de santé plus juste et équitable.

La puissance publique doit désormais s’atteler à définir un cadre pour accompagner le patient usager et citoyen vers l’exercice d’une liberté responsable, garde-fou essentiel à l’émergence généralisée d’un patient consommateur mû par ses seuls désirs de tout mesurer et comparer. L’ouverture et l’usage adapté des données de santé introduisent une nouvelle relation augmentée au bénéfice des patients, des professionnels de santé et des politiques publiques. Ce qui entérinera cette révolution, c’est bien la confiance numérique qui représente un équilibre subtil, à préserver toujours au bénéfice des libertés publiques, entre soutien à l’innovation et respect de la vie privée. Là réside l’urgence.

Tribune co-écrite par Ronan Guellec, directeur Santé chez CGI Business Consulting et Tristan Lefèvre, directeur Santé chez CGI.