L'IoT dynamite le secteur de la sécurité privée

L'IoT dynamite le secteur de la sécurité privée Start-up et géants de la banque-assurance se précipitent sur un marché florissant et en pleine uberisation.

"Alerte ! Activité inhabituelle devant votre domicile". En cas de problème, les interphones connectés de la start-up américaine Ring préviennent leurs utilisateurs en leur envoyant une notification sur leur smartphone. Ils peuvent alors directement se connecter au flux vidéo depuis leur appareil mobile, pour vérifier si Arsène Lupin essaye ou non de s'introduire en douce dans leur maison.

L'interphone connecté de Ring. © Ring

La jeune pousse, qui a vendu plusieurs centaines de milliers de ces appareils intelligents au grand public, a levé 61 millions de dollars mi-mars 2016 pour développer son activité. "Nous sommes passés de trois salariés en 2012 à 250 aujourd'hui et prévoyons d'embaucher encore 150 personnes pour booster notre R&D d'ici fin 2016", se félicite Jamie Siminoff, le patron. "La clef de notre succès : développer des solutions simples, inspirées des géants du net comme Apple. Ce sont eux nos vrais concurrents, car les clients comparent nos produits avec les leurs", analyse l'entrepreneur.

Cette réussite insolente inquiète une partie des entreprises traditionnelles du secteur de la sécurité privée (9 000 sociétés et 250 000 agents en France). Franck Bravo, gérant de la société Abscisse sécurité système, surveille de près les avancées rapides en cours sur le marché de l'électronique : "Nous avons peur qu'une jeune pousse crée un jour le produit à deux sous qui séduira les particuliers et même les professionnels", confie-t-il.

Les agents devenus (presque) inutiles

"Ces entreprises ont beau être des habituées des caméras de surveillance et autres appareils connectés dérivés du monde militaire, elles ne s'adressaient jusqu'à présent pas au mass market", souligne Vivien Malguy, spécialisé dans les formations aux patrons du monde de la sécurité chez JPM Conseil. Avant le boom des objets connectés et leur démocratisation, la télésurveillance coûtait cher. Le matériel n'était installé que dans des villas de millionnaires ou chez des professionnels. Des agents de surveillance regardaient 24 heures sur 24 les écrans auquel étaient reliés ces appareils, se déplaçant à la moindre alerte.

Depuis cinq ans, cet intermédiaire est devenu (presque) inutile : les objets connectés sont reliés directement à leurs utilisateurs via leur smartphone : ils peuvent faire de l'autosurveillance. Cette nouvelle catégorie d'offres est florissante et les clients en redemandent : "Les promoteurs immobiliers s'adressent à nous pour installer des solutions domotiques avec des alarmes intelligentes même dans des logements d'entrée de gamme", illustre Radoslava Gille, directrice commerciale chez Valentinea, jeune pousse française du bâtiment intelligent.

L'utilisateur consulte sa caméra de surveillance avec son smartphone. © Ring

Lié aux objets connectés, le marché de la sécurité électronique (alarmes, contrôle d'accès, vidéosurveillance) est dynamique. Selon l'Atlas de la sécurité 2015, un document annuel qui compile les témoignages de plus de 1 600 sociétés, il progresse de 5,5% en moyenne depuis dix ans, contre moins de 3% pour l'ensemble de la profession. En 2015, cette branche représente 52% du chiffre d'affaires total du secteur, contre 26% en 1995. Elle pourrait même atteindre les 62% en 2025. "Les sociétés de ce segment de marché dégagent en général une marge nette plus confortable (de 2 à 5%) que celles opérant dans la surveillance humaine ou l'intervention sur alarme (1% environ)", précise le rapport.

Un secteur rigide

Les entreprises traditionnelles qui travaillent dans la sécurité électronique voient donc l'activité de leur secteur croître grâce à la démocratisation de l'IoT. Pourtant, lorsqu'ils entendent les mots objet connecté, certains professionnels froncent du nez : il leur est difficile de proposer ce matériel à leurs clients, car il n'est en général pas certifié par le Conseil national des activités privées de sécurité, un organisme public qui contrôle les sociétés du secteur. Une partie de ces entreprises refusent de prendre le risque de perdre leur homologation.

Une question dont ne s'embarrassent pas une nouvelle catégorie d'acteurs qui s'intéressent aussi à ce secteur dynamique (en plus des start-up de hardware) : les géants de la banque, de l'assurance ou encore de la téléphonie. Ils veulent vendre massivement et à bas coût des solutions connectées de sécurité contre le vol, les inondations ou les incendies à leurs clients.  

L'application d'Axa permet d'obtenir en deux clics un service d'assistance

Axa teste actuellement dans une centaine d'agences en France un projet pilote appelé "La maison connectée" : les agents de l'assureur vendent à leurs clients un service payant qui relie, via des API, les caméras et détecteurs de fumée connectés situés dans leur habitation à leur smartphone. Avec son application, Axa permet à ses assurés d'obtenir en cas de besoin en deux clics un service d'assistance.

La donnée : une nouvelle mine d'or

"Nous ne concurrençons pas directement les entreprises de sécurité privées. Cette offre d'autosurveillance est complémentaire de leurs services de télésurveillance", assure Antoine Denoix, directeur digital multi-accès et CRM de l'assureur. Nos vrais concurrents sont les autres assureurs ou des acteurs d'autres secteurs (comme la téléphonie), intéressés par ce type d'offres de protection", complète-t-il.

Start-up et grands groupes réfléchissent aussi à des solutions pour valoriser les données captées par les objets connectés de télésurveillance, une manne dont les entreprises traditionnelles du secteur n'ont pu se saisir, limitées qu'elles sont par un stricte encadrement de leurs activités. "Dans le cadre du projet pilote La maison connecté, nous n'exploitons pas encore les données clients, qui sont stockées chez les fabricants de matériel. Mais nous réfléchissons à de nouveaux services que nous pourrions proposer à nos assurés avec leur accord, à partir de leurs data", explique Antoine Denoix, qui précise que le groupe respectera les règlementations de la Cnil.