Relation client : quand l'intelligence artificielle se met à l'humour

Relation client : quand l'intelligence artificielle se met à l'humour Faire rire ses clients permet à des groupes comme Voyages-sncf.com de toucher une cible jeune et de casser le côté administratif de leurs assistants virtuels.

"Comment appelle-t-on un chien sans patte ? On ne l'appelle pas, on va le chercher." Voici l'une des nombreuses blagues que VBot, l'agent conversationnel de Voyagesncf.com lancé en avril 2016, a en magasin. "Sa fonction première est de permettre aux clients de poser des options sur leurs billets de train. Mais nous avons réalisé des tests en interne avant de mettre le chatbot en ligne : de nombreux utilisateurs du programme lui demandaient de faire de l'humour", se souvient Julien Nicolas, directeur France de Voyages-sncf.com.

Les blagues du chatbot de Voyagesncf.com ne sont pas générées par une IA en fonction du contexte, elles sont préenregistrées par les développeurs. © Voyagesncf.com

Depuis son lancement, 5 000 voyageurs ont utilisé ce chatbot programmé par la filiale e-commerce de la SNCF. Les histoires drôles ne sont pas générées directement par l'intelligence artificielle (IA) en fonction du contexte, mais enregistrées à l'avance par les développeurs. Ils ont intégré une vingtaine de blagues à VBot. "Ces plaisanteries permettent de casser le côté administratif de notre agent conversationnel, qui peut ainsi créer une proximité plus forte avec ses utilisateurs. Cela correspond à notre identité", souligne Julien Nicolas.

"Créer une IA humoristique peut être utile à certaines marques. Elle peut par exemple donner envie aux spectateurs d'aller voir une comédie au cinéma. Mais ce n'est pas un outil adapté à toutes les entreprises. Vous n'auriez pas envie que votre application bancaire ou votre voiture vous fasse des blagues. Les utilisateurs de ces programmes veulent avant tout se sentir en sécurité", souligne Cyrille Bataller, directeur de l'Intelligence artificielle chez Accenture, qui propose à ses clients les services de l'IA Amelia, développée avec l'éditeur américain IPsoft.

Thomas Sabatier, PDG de The Chatbot Factory, une agence parisienne créée en mai 2015 qui crée pour des entreprises des chatbots à forte personnalité, n'est pas du même avis. "Dans K 2000, une série populaire dans les années 80, l'intelligence artificielle de la voiture du héros, Kit, avait un sens de l'humour piquant. Les automobiles sont des lieux où les passagers s'ennuient souvent. Les entreprises du secteur ne devraient pas sous-estimer le pouvoir de l'humour pour tisser une relation de proximité avec leurs clients", affirme-t-il.

The Chatbot Factory a lancé le 20 décembre Volty, un agent conversationnel qui aide ses utilisateurs à trouver la borne de recharge la plus proche pour leur véhicule électrique. Cette thématique n'a à priori pas de lien étroit avec l'humour. Et pourtant, lorsque ses utilisateurs le lui demandent, le bot fait des blagues. Une cinquantaine d'histoires drôles ont été préenregistrées dans ce programme, qui a demandé deux mois de développement à quatre ingénieurs informaticiens. De nouveaux gags vont être intégrés à Volty dans les prochaines semaines. "Nous allons également tester d'autres types de contenus comme des gifs humoristiques", détaille le dirigeant.

Dans la nouvelle version de son agent conversationnel, qui sort courant janvier 2017, The Chatbot Factory prend en compte l'identité de ses utilisateurs pour adapter son discours

"Les marques de vêtements, de luxe ou d'agroalimentaire sont encore frileuses à l'idée d'intégrer un peu de dérision à leurs bots de relation client. Ce projet de R&D vise à leur montrer que cela peut fonctionner dans de nombreux secteurs. Réaliser un projet test avec une marque de contenu média destiné aux jeunes, comme Buzzfeed, aurait été trop facile. Nous avons donc opté pour la voiture électrique, un segment qui vise un public plutôt CSP+", explique le patron.

"Qui se débrouille le mieux en karaté ? Les électriciens parce qu'ils connaissent beaucoup de prises." Les blagues intégrées dans le bot sont liées au monde de l'électricité : "L'humour doit être contextuel. Il faut qu'il s'intègre dans l'univers de la marque mais aussi qu'il s'adapte autant que possible à son public", fait valoir Cyrille Bataller, d'Accenture. Pour répondre à cette problématique, The Chatbot Factory permet de converser avec Volty via l'application Messenger de Facebook. "Age, sexe, ville d'origine… Nous avons accès aux profils de nos utilisateurs. Les marques qui adopteront des outils de type Volty pourront croiser ces data avec les données clients dont elles disposent via leur CRM", souligne Thomas Sabatier.

© Volty

Dans la nouvelle version de son agent conversationnel, qui sort courant janvier 2017, The Chatbot Factory prend en compte l'identité de ses utilisateurs pour adapter son discours. "Volty osera des blagues plus audacieuses avec un public jeune, il utilisera des gifs… Le bot humoristique est un outil intéressant pour les marques qui veulent toucher les millennials, c'est l'une des raisons qui nous a poussé à investir dans ce programme de R&D. Pour les trentenaires, nous allons ajouter des références au film Retour vers le Futur et à la voiture utilisée par Marty Mcfly et Doc Brown pour voyager dans le temps, la DeLorean", s'amuse le PDG.

Reste que pour intégrer la vie quotidienne de leurs utilisateurs, les agents conversationnels devront sortir de la blague Carambar pataude qui ne fait rire l'internaute qu'une seule fois. Afin de donner une certaine truculence à son intelligence artificielle Google Assistant, le géant du net Google a fait appel à la verve caustique des rédacteurs du site The Onion, l'équivalent américain du média satirique Le Gorafi. Le groupe a également intégré à son équipe plusieurs scénaristes du studio Pixar (spécialisé des dessins animés humoristiques grand public). Grâce à leurs pitreries, Google espère collecter un maximum de données sur ses clients qui utiliseront son IA plusieurs fois par jour, notamment à travers son haut-parleur intelligent Google Home.

Les facéties intégrées à l'intelligence artificielle de Google sont comme celles de Voyages-sncf.com et de The Chatbot Factory enregistrées à l'avance. Les géants du net ne sont pas encore parvenus à développer un logiciel capable d'inventer lui-même ses propres blagues, même s'ils y travaillent. Microsoft a par exemple lancé un projet de R&D pour apprendre les ficelles de l'humour à un logiciel d'IA.

Porté par la chercheuse Dafna Shahaf, ce programme de recherche est né d'une discussion avec l'un des salariés du mensuel américain The New Yorker. Dans chacune de ses éditions, le magazine publie un dessin sans légende et demande à ses lecteurs de donner leurs idées les plus drôles. Résultat, plus de 3 000 messages arrivent chaque mois et doivent être triés par les salariés de l'entreprise. Microsoft a entraîné son programme pour qu'il sache détecter si une phrase est drôle ou non.

Résultat : le logiciel est loin d'être toujours d'accord avec les journalistes du New Yorker. Mais il est capable d'éliminer avec certitude près de 45% des mauvais jeux de mots envoyés par les lecteurs, comme l'explique Microsoft dans un document publié sur ce programme de recherche. Une façon de faire gagner du temps aux salariés du média.