Le covoiturage courte-distance dopé par les subventions franciliennes

Le covoiturage courte-distance dopé par les subventions franciliennes Alors que le financement du covoiturage courte-distance en Ile-de-France vient d'être renouvelé pour six mois, les acteurs du secteur tirent le bilan de ces trois premiers mois de subventions.

Voilà des semaines qu'ils martelaient qu'ils ne survivraient pas sans des aides publiques pérennes. Ils ont été entendus, pour l'instant. Ile-de-France Mobilités (ex-Stif) a décidé le 13 décembre, à l'issue d'une réunion de son conseil d'administration, la prolongation pour six mois d'un mécanisme de subvention du covoiturage courte-distance. Une première période de trois mois, durant laquelle les covoiturages étaient financés à raison de deux euros par trajet, rendant certains voyages gratuits, s'achèvera le 31 décembre. Des enveloppes de 50 000 euros par entreprise avaient été accordées à 17 sociétés, soit un budget maximal de 850 000 euros pour l'autorité des transports franciliens.

"Aucune des entreprises n'a pour l'instant atteint le plafond", explique Laurent Probst, directeur général d'Ile-de-France mobilités. Selon lui, moins de 500 000 euros sur les 850 000 auront été dépensés d'ici le 31 décembre, date de fin des trois premiers mois de subvention. "Nous sommes dans l'optique de les laisser utiliser la totalité de leur enveloppe", poursuit-il. Aucun nouveau financement n'est donc prévu pour ces six prochains mois. Les modalités restent inchangées : un financement de deux euros par trajet, pour deux voyages quotidiens maximum, et avec une obligation pour les plateformes de faire baisser les prix (plutôt que d'augmenter leurs marges).

50% de croissance mensuelle

Selon l'autorité des transports, les 17 entreprises subventionnées ont en moyenne constaté une augmentation de 50% du nombre de trajets en octobre par rapport au mois de septembre (les données de novembre ne sont pas encore disponibles), avec des croissances allant de 10 à 100% selon les sociétés. Une accélération qui ne doit pas faire oublier que les volumes sont encore faibles : 50 000 trajets pour les 17 sociétés subventionnées entre début octobre et mi-décembre.

Les entreprises de covoiturage courte distance interrogées par le JDN évoquent elles-aussi un accroissement de leur nombre d'utilisateurs et de trajets depuis le mois d'octobre, à la fois en comparaison avec le mois de septembre et avec la même période (octobre-décembre) l'année dernière. "Subventionner les trajets en covoiturage est la solution pour les faire décoller. S'il fallait le prouver, c'est fait," triomphe Julien Honnart, PDG de WayzUp. Selon lui, sa société a doublé son volume de trajets en Ile-de-France tous les mois depuis octobre. Chez Karos, le nombre de trajets aussi a cru, mais au même rythme que depuis 16 mois, à savoir en moyenne 9% par semaine. A part un bond d'inscriptions la semaine de l'annonce, la start-up n'a pas constaté d'accélération. Toutefois, elle finançait déjà sur fonds propres les covoiturages depuis l'été 2016 en les rendant gratuits pour les détenteurs d'un abonnement aux transports en commun. "Mais cela soulage nos finances, puisque la collectivité a pris le relais de ce financement", explique le PDG de Karos Olivier Binet.

Afflux de passagers

Autre phénomène intéressant constaté par Karos et WayzUp : cette opération semble avoir attiré plus de passagers que de conducteurs, de sorte que la population s'est rééquilibrée, permettant aux conducteurs de trouver plus de covoiturés qu'avant. En revanche l'intégration des services de covoiturage courte distance à ViaNavigo, le calculateur d'itinéraires d'IDF Mobilités, alcnée en même temps que les subventions, semble avoir eu un impact plus limité. WayzUp et Karos parlent de 5% de leur acquisition de nouveaux utilisateurs provenant de l'application, ce qui se traduit par une part de trajets encore plus faible. IDVroom ne souhaite pas communiquer sur le chiffre, mais reconnaît qu'il est marginal.

Les sociétés de covoiturage n'ont pas le droit d'utiliser les deux euros  de subvention pour améliorer leurs marges : elles doivent les redistribuer aux utilisateurs. La plupart ont décidé de se focaliser sur les passagers pour réduire drastiquement les prix. "Nous avions un vrai problème de pricing", reconnaît Julien Honnart. "10 centimes par kilomètre est un dédommagement qui convenait aux conducteurs. En revanche, si vous demandez à un autosoliste de payer ce montant à un autre conducteur, il n'a pas l'impression d'y gagner car il aurait payé moins cher en essence avec sa voiture, mais il ne prend pas en compte la dépréciation et l'entretien du véhicule. Il faut donc des incitations financières beaucoup plus nettes avec un trajet gratuit ou presque."

Service public ?

Mi-septembre, lors de l'annonce des premières subventions, le directeur général d'IDF Mobilités Laurent Probst assurait au JDN que ces aides n'étaient que temporaires. " Ce sont des acteurs privés, ils doivent devenir rentables seuls. Nous les aidons au démarrage, mais l'idée du soutien n'est pas forcément d'être pérenne," prévenait-il. Le succès de l'opération l'aurait-il fait changer d'avis ? Il maintient que ces sociétés se sont créées "sur un principe très libéral sans subventions publiques" et qu'elles doivent s'autofinancer. Mais il ne ferme pas tout à fait la porte à une subvention pérenne : "Si nous nous rendons compte à l'issue de ces six mois que l'activité ne fonctionne pas sans subventions publiques, il y aura des arbitrages à prendre." Une période sans subventions pourrait permettre de comparer avec les neufs mois subventionnés précédents, avant de décider si le soutien est nécessaire. "Mais si nous pérennisons les subventions, il faudra aussi que la puissance publique organise ce service : nous dirons où nous voulons privilégier les trajets, et nous devrons faire des choix entre les entreprises, donc passer par des appels d'offre," prévient-il.

Ce renouvellement de six mois pourrait aussi permettre au gouvernement d'accoucher d'ici là de sa loi sur les mobilités, dont l'examen doit commencer début 2018. La réforme pourrait clarifier le droit pour les collectivités d'accorder ce genre de subventions. Elles ne peuvent aujourd'hui dépasser le cadre de l'expérimentation sans atteindre au code des marchés publics, en l'absence d'appel d'offre. Une telle réforme pourrait faciliter les choses, mais Laurent Probst ne peut compter d'avance sur sa réalisation.

Toujours pas rentables

D'autant que croissance et subventions ne suffisent toujours pas à rendre le covoiturage courte-distance rentable. Une réalité assumée par Frédérique Ville, directrice générale d'IDVroom, estimant que si le covoiturage est déficitaire, il l'est bien moins que des transports en commun comme le bus. "Dans la mesure où le covoiturage courte-distance n'est pas rentable mais créé une mobilité avec un coût intéressant pour la société, il faut l'aligner sur les modèles de financement du transport en commun, sur la base de la distance parcourue ou le nombre d'utilisateurs transportés."

Pour Olivier Binet, une augmentation de la subvention à 2,50 euros par trajet permettrait d'atteindre l'équilibre. Julien Honnart, lui aussi en faveur d'une augmentation du montant de la subvention, précise qu'elle devrait s'accompagner d'une commission sur le montant des trajets financés et éventuellement d'une contribution du passager. Les entreprises aussi pourraient être mises à contribution de manière facultative, préconise-t-il, à condition qu'elles n'aient pas de charges à payer lorsqu'elles défraient leurs employés, comme c'est les cas pour les autosolistes. "Un covoiturage à 1,5 euro leur en coûte 3," résume-t-il. Des revendications qui ont été entendues par le gouvernement lors des assises des mobilités, et pourraient donner lieu à des réformes l'année prochaine. Les sociétés de covoiturage courte distance obtiendront peut-être ce qu'elles demandent, mais renforceront en échange leur dépendance aux aides publiques, qui peuvent sauter au premier changement de majorité ou à la prochaine coupe budgétaire.