Pour garder les clients de la SNCF, les start-up travaillent déjà à l'après-grève

Pour garder les clients de la SNCF, les start-up travaillent déjà à l'après-grève Les usagers du train se sont massivement reportés sur des services comme le covoiturage, l'autopartage ou le VTC. Face à cet afflux, BlablaCar et consorts adoptent différentes stratégies.

Les grèves SNCF, un calvaire pour les usagers, une aubaine pour les start-up. Alors que le projet de loi de réforme de la SNCF a été adopté par l'Assemblée Nationale le 18 avril, les syndicats n'ont pas l'intention d'arrêter leur grève perlée deux jours sur cinq, reconductible jusqu'au 28 juin. De quoi doper l'activité des services de mobilités qui se posent en alternatives aux grandes lignes et aux trains de banlieue. Interrogés par le JDN, neuf de ces services dans le covoiturage longue distance (BlaBlaCar) et courte distance (Karos, Klaxit, IDVroom, BlablaLines), l'autopartage entre particuliers (OuiCar, Drivy) et le VTC (Uber, Le Cab), ont enregistré une augmentation du nombre de trajets et réservations comprise entre 20% (Ouicar) et 1 900% (IDVroom).

Des croissances tout aussi impressionnantes que temporaires. Pour la plupart des services de mobilités, le véritable enjeu n'est pas de renflouer leurs caisses grâce à ce surcroît d'activité, mais d'attirer de nouveaux utilisateurs. Puis de les fidéliser afin qu'ils ne voient pas ces services seulement comme des palliatifs aux grèves.

Déficit de notoriété

Chacun sa stratégie et ses problématiques. Pour les acteurs du covoiturage courte distance, un marché déficitaire dont les volumes de trajets sont encore faibles (50 000 en Ile-de-France entre octobre et mi-décembre 2017), il faut d'abord faire connaître l'existence-même de ce type de services. "C'est une période d'acquisition", confirme le PDG de Karos Olivier Binet. "Soit les conducteurs comprennent ce qu'ils y gagnent financièrement, soit les passagers des transports en commun situés sur des trajets mal desservis se rendent compte qu'ils peuvent gagner du temps."

"Notre plan initial était d'ouvrir BlablaLines à toute la France en septembre. La grève nous a fait avancer notre calendrier"

Les start-up du secteur peuvent compter sur l'aide de la Région Ile-de-France, où se situe le gros du marché : elle finance les covoiturages à hauteur de 4 euros maximum par trajet pendant toute la période de grèves, ce qui permet de voyager gratuitement pour un trajet ne dépassant pas les 40 kilomètres. Orléans Métropole a lancé une opération similaire. Karos, tout comme Klaxit et IDVroom, ont étendu cette opération de gratuité au reste de la France pendant les jours de grève, avec leurs propres fonds. Pour BlaBlaLines, l'application de covoiturage courte distance lancée par BlaBlaCar l'année dernière en Ile-de-France ainsi que dans les agglomérations de Reims et Toulouse, le changement fut d'une toute autre échelle. "Notre plan initial était d'ouvrir BlablaLines à toute la France en septembre 2018", explique Nicolas Brusson, PDG et cofondateur de BlaBlaCar. "Dans le contexte des grèves, nous nous sommes dit qu'il fallait être présents partout en France pour faire connaître notre produit. Nous avons donc avancé notre calendrier et rendu nos trajets gratuits dans tout le pays."

Promouvoir de nouvelles offres

Pour d'autres sociétés, l'objectif est de mettre en avant des facettes moins connues de leur business. Ainsi, les VTC comme Le Cab et Uber veulent montrer qu'ils possèdent aussi des offres proches du transport collectif en termes de prix et de nombre de personnes transportées. Leur arme : des courses partagées, pour lesquelles un algorithme met dans la même voiture plusieurs personnes faisant le même chemin. Ainsi, Le Cab Plus est 30% moins cher dans toute la France les jours de grève, et Uber Pool subit un rabais de 20% sur les trajets franciliens débutant ou terminant en banlieue (ces réductions ont pu être moins élevées, à cause des prix dynamiques des VTC, indexés sur la demande). Pour Drivy, qui constate une augmentation des locations de voitures de 50%, la grève est aussi une opportunité de montrer ses atouts aux utilisateurs. "Nous voulons leur faire comprendre que nous ne sommes plus seulement une plateforme de location entre particuliers", détaille Quentin Lestavel, directeur France et Belgique de Drivy. "Nous avons ouvert notre plateforme aux entrepreneurs de la location, qui proposent des flottes de véhicules plus récents et mieux entretenus."

Dans le covoiturage courte distance B2B, la grève amène de nouveaux clients pérennes. 

Chez les start-up de covoiturage courte distance avec une offre B2B, comme Karos et Klaxit (ex Wayz-Up), la grève amène aussi de nouveaux clients pérennes, qui continueront à utiliser le service après la la fin du conflit social, dans le cadre de leurs plans de mobilité. "Nous avons signé une vingtaine de clients, dont BNP et Valéo," affirme Julien Honnart, PDG de Klaxit. "La moitié de ces contrats étaient en discussions et la signature a été accélérée par l'approche de la grève. L'autre moitié nous a rejoints depuis le début de la grève."

Déséquilibre offre-demande

Mais tout le monde n'a pas la chance d'avoir des clients B2B fidélisés par l'abonnement. Pour conserver leurs nouveaux utilisateurs B2C, les start-up des mobilités devront effectuer un travail complexe de rééquilibrage de leurs types d'utilisateurs. Car les grèves ont amené bien plus de nouveaux voyageurs que de conducteurs, ce qui déséquilibre durablement l'offre et la demande. Il y a par exemple 75% de passagers pour 25% de conducteurs chez Karos, contre 50-50 avant la grève. Le risque est qu'une partie des utilisateurs ne trouve plus de trajets et se détourne du service.

"Nous déciderons après la grève de l'avenir de l'offre de bus BlaBlaCar."
 

Chez BlaBlaCar, l'afflux de nouveaux passagers  (multipliés par trois) fut tel que l'entreprise "n'a pas su répondre à toute la demande", reconnaît Nicolas Brusson. La situation est pire encore sur certains trajets très pratiqués, comme Paris-Rouen, Paris-Lille et Paris-Rennes, où la demande a été multipliée par dix pendant les grèves. Pour ne pas laisser partir tous ces clients, BlaBlaCar a lancé des lignes de bus sur ces trois itinéraires, en partenariat avec des sociétés de transport locales, dont les autocars étaient inutilisés pendant les grèves. Faut-il y voir une future diversification ? "Nous déciderons après les grèves de l'avenir de l'offre de bus", répond Nicolas Brusson.

Autre piste pour rééquilibrer le rapport conducteur-passager : les synergies avec l'autopartage, dont beaucoup de clients roulent seuls dans leur véhicule de location. "Nous avons encouragé par e-mail les utilisateurs de Drivy à ne pas rouler seuls, en poussant BlaBlaCar comme une solution pour économiser de l'argent sur leurs locations", raconte Quentin Lestavel. "Nous réfléchissons à aller plus loin". Et si la grève décloisonnait les nouveaux services de mobilité ?