Les services de mobilités abonnés aux aventures sans lendemain

Les services de mobilités abonnés aux aventures sans lendemain Malgré ses avantages, le modèle de l'abonnement reste rare dans les mobilités. La faute à une offre privée fragmentée qui peine à concurrencer les transports publics.

Quelle entreprise de services ne rêverait pas de fidéliser ses clients d'un jour pour en faire des abonnés ? Historiquement, les services de mobilités se sont développés sur des paiements à la prestation, en se présentant comme des compléments ou alternatives ponctuelles aux transports en commun et à la voiture individuelle. Mais ces business à faibles marges ont intérêt à fidéliser les clients pour doper leur rentabilité ou verrouiller leurs parts de marché. Du VTC à l'autopartage en passant le vélo en libre-service, quelques sociétés s'y essaient. Mais un certain nombre d'obstacles freinent le développement du modèle de l'abonnement.

D'abord, il n'est pas adapté à tout type de business. Ceux qui supportent d'importants coûts variables sont pénalisés, estime Etienne Hermite, directeur France du géant chinois des vélos en libre-service Mobike. "Chaque fois que vous prenez un VTC, il faut payer le chauffeur et l'essence. Lorsque vous empruntez une trottinette électrique, il faut recharger les batteries et payer la main d'œuvre qui s'en occupe. "

Surutilisation des services

Le problème des formules d'abonnement est qu'elles engendrent une surutilisation du service par ses usagers. Mobike, qui a lancé une offre d'abonnement à Paris en mars (9,90 euros par mois), a vécu le phénomène. Désormais, 60% des voyages enregistrés par la plateforme sont faits par des abonnés, qui représentent 20% des utilisateurs actifs. "L'abonnement a augmenté la segmentation de notre base clients entre ceux qui font un usage quotidien du service et ceux qui s'en servent ponctuellement", analyse Etienne Hermite.

Ce problème des coûts variables n'a pas empêché certaines entreprises qui y sont exposées de s'essayer à l'abonnement, mais avec quelques limites. Le VTC américain Lyft teste par exemple depuis cette année une offre d'abonnement contre un nombre de courses prédéfini. L'offre a changé plusieurs fois, mais dans sa dernière version connue, elle consiste en un abonnement à 299 dollars par mois qui couvre 30 courses d'un montant maximum de 15 dollars chacune, soit 450 dollars si elles étaient payées à l'unité. Au-delà de 15 dollars par course, l'utilisateur doit payer la différence. Une offre top onéreuse et inadaptée pour beaucoup d'utilisateurs, mais qui peut permettre de fidéliser les plus dépensiers. Quoiqu'il en soit, les VTC ont tout intérêt à se préparer, même à petite échelle, à développer des solutions d'abonnement. Car ils ne seront peut-être pas éternellement handicapés par les coûts variables : les véhicules autonomes promettent de les réduire, grâce à des courses sans chauffeur à payer, et des voitures électriques qui pourraient être moins coûteuses en énergie.

Solutions tout-en-un

C'est aussi via l'électrique que Juicar, fondé par l'énergéticien Alpiq, tente de convaincre de passer à l'abonnement. Lancé cet été en Suisse avant une arrivée en Allemagne en octobre, ce service cherche à débarrasser les automobilistes des contraintes liées à la possession d'un véhicule électrique. "Nous fournissons la voiture, la borne de recharge pour votre domicile, ainsi qu'une application pour trouver des stations de recharge en Europe, et nous prenons en charge les factures d'électricité," explique Bastian Gerhard, directeur général d'Oyster Lab, une filiale d'Alpiq qui développe de nouveaux services dans l'énergie et les mobilités, dont Juicar. Les conducteurs n'ont ainsi rien à investir, ce qui réduit les barrières à l'entrée pour ceux qui hésitent à passer à l'électrique.

Confronté, lui aussi, au problème des coûts variables, Alpiq a imaginé trois gammes de prix (399, 499 et 599 euros par mois) pour ne pas faire flamber sa facture d'électricité. Donnant accès à seulement une partie des services, les deux premières gammes de prix n'incluent pas le prix de l'électricité, tandis que l'offre la plus chère permet de recharger son véhicule sans limites.  De sorte que les deux premières offres, moins chères mais plus rentables, financeront les coûts importants en électricité engendrés par la plus onéreuse, espère l'entreprise. "Nous ne concurrençons pas les services d'autopartage urbains, car Juicar cible surtout des clients vivant en zones périphériques et rurales, et qui ont besoin en permanence de leur voiture," précise Bastian Gerhard.

"Si on paie un abonnement, on s'attend à 100% de fiabilité, ce que le covoiturage ne peut pas garantir, même sur des réseaux très denses"

En ville, les services de mobilités qui souhaitent proposer des souscriptions doivent trouver une manière d'exister à côté d'un abonnement de référence, celui du pass de transport. Pas simple de convaincre les usagers de payer un second abonnement,  d'autant que certains de ces services, comme le covoiturage ou l'autopartage entre particuliers, ne peuvent garantir la même disponibilité que les transports publics. "L'abonnement serait un modèle naturel pour nos trajets quotidiens domicile-travail", se projette Julien Honnart, président de la start-up de covoiturage courte distance Klaxit. "Mais si on paie un abonnement, on s'attend à 100% de fiabilité, ce que nous ne pouvons pas garantir, même sur des réseaux très denses." Pour régler ce problème, Julien Honnart plaide pour une intégration de son service dans les pass de transport, à raison de deux covoiturages par jour, et sans surcoût pour l'usager.

Certaines collectivités ont déjà commencé à élargir la palette de services proposés à leurs abonnés. A Mulhouse par exemple, le compte mobilité permet d'accéder aux transports en communs, à l'autopartage, aux vélos en libre-service, ainsi qu'à des parkings sécurisés pour voitures et vélos. Et le privé s'y met aussi. L'un des exemples les plus aboutis d'offre multi-modale tout-en-un se trouve à Helsinki (Finlande) et est proposé par la start-up Whim. Pour 499 euros par mois, les voyageurs ont accès aux transports en commun, aux vélos, à des locations de voitures ainsi qu'à des trajets en taxi (dans rayon de 5 kilomètres maximum) en illimité. "La question qui se pose, pour réussir à imposer ce modèle, c'est comment packager les offres et avoir les bonnes segmentations de clients pour que les usages restent acceptables", observe Etienne Hermite de Mobike. "Si tout le monde prend le taxi cinq fois par jour, ça ne peut pas fonctionner. "

"Il faut trouver comment packager correctement les offres d'abonnements multimodaux pour que les usages restent acceptables"

Ces packages de transport sont appelés à se multiplier, car de nombreuses entreprises veulent se muer en "opérateurs de mobilités" afin d'organiser l'offre pléthorique de services. Chez les constructeurs, on peut citer l'application Free2Move de PSA, pour l'instant focalisée sur l'autopartage, ou la puissante joint-venture formée en mars par BMW et Daimler, qui regroupe un large bouquet de services de mobilités. Uber nourrit des ambitions similaires, c'est pourquoi l'entreprise commence à proposer de nouveaux services comme les vélos et les trottinettes électriques en libre-service.

Pour l'instant, les véritables fusions de transports publics et privés au sein d'une même application avec un abonnement unique restent rares. Les entreprises du secteur devront déjà réussir à s'entendre entre elles et avec les pouvoirs publics pour développer ces offres. Puis il leur faudra convaincre les usagers. Mais après tout, si Spotify, Amazon ou Netflix ont réussi à imposer leurs abonnements pour des besoins secondaires, pourquoi n'y arriverait-on pas pour assouvir une nécessité impérieuse, celle de se déplacer ?