Augustin de Romanet (Aéroports de Paris) "Nous devrions être à 50% le constructeur de la ligne CDG Express"

A une semaine de la probable reconduction de son mandat par François Hollande, le PDG d'Aéroports de Paris se confie au JDN.

Le mandat d'Augustin de Romanet à la tête d'Aéroports de Paris (ADP) est censé prendre fin le 15 juillet prochain. Mais le PDG, que le JDN a rencontré en marge des rencontres économiques d'Aix-en-Provence, ne s'inquiète pas outre mesure - François Hollande a d'ores et déjà  annoncé qu'il envisageait de le reconduire. Il s'autorise même à dévoiler la stratégie qu'il compte déployer une fois reconduit.

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Augustin de Romanet, président-directeur général d'Aéroports de Paris. © Gilles Rolle REA

JDN. Aux Rencontres d'Aix, vous êtes intervenu sur le thème "Comment un Etat désargenté peut-il investir ?". Vous qui êtes à la tête d'une grande entreprise publique, vous sentez-vous désargenté ?

Augustin de Romanet. Aéroports de Paris est une entreprise publique cotée en Bourse, qui a eu la responsabilité de faire de nouveaux investissements, grâce à une augmentation de capital décidée en 2006. Aéroports de Paris n'est pas directement assimilable à l'Etat, même si ce dernier est notre actionnaire majoritaire avec 50,6% du capital. Nous avons donc des marges de manœuvre propres pour investir : nous avons développé des activités que nous essayons de rendre rentables, ce qui nous permet de dégager un cash-flow et d'investir chaque année environ 600 millions d'euros. Ce qui est important, c'est qu'ADP se place dans une perspective de long terme et soit moteur pour des investissements qui peuvent avoir des taux de rentabilité internes plus faibles que ceux actuellement demandés par les sociétés cotées afin notamment de réaliser des projets qui sont indispensables à son exploitation. Je pense en particulier à Charles de Gaulle Express [un projet de liaison rapide entre le centre-ville de Paris et l'aéroport Charles-de-Gaulle, NDLR].

Un sujet de nouveau à l'ordre du jour...

Oui, le sujet CDG Express va être relancé. Nous devrions être à 50% pour ADP et 50% pour RFF le constructeur de l'infrastructure qui sera ensuite louée à des exploitants qui seront choisis pour leur capacité à exploiter la ligne.

"L'Etat ne peut pas faire tous les métiers"

Cela fera-t-il partie de vos priorités si vous êtes reconduit à la tête d'ADP ?

Je demeure convaincu que j'ai trois devoirs principaux : faire aboutir la ligne CDG Express, créer une marque Aéroports de Paris et continuer à améliorer la qualité de service et développer la qualité des ressources humaines pour démultiplier notre modèle en France et à l'étranger.

Avez-vous des doutes sur votre reconduction à la tête d'ADP ?

Lorsque vous êtes dans cette charge, vous êtes à la tâche et vous n'avez pas d'état d'âme.

"Nous avons suffisamment équipé notre pays de lignes à grande vitesse"

Revenons aux investissements de l'Etat. Si vous deviez choisir un seul secteur sur lequel l'Etat français devrait miser pour une croissance future, lequel serait-ce ?

Incontestablement celui de l'éducation, qui est un secteur dans lequel nous perdons des places. Je dirais que l'Etat doit principalement investir dans l'éducation, dans la stabilité du cadre juridique et fiscal – un investissement qui ne coûte pas très cher mais qui est de nature à créer la confiance – et je pense que les investissements du Grand Paris sont prioritaires : un grand pays ne peut être prospère si sa capitale n'est pas un moteur de développement. Or, notre capitale est bridée par des transports qui sont encore imparfaitement fluides.

Et un secteur sur lequel faire une croix ?

Il y a des secteurs dans lesquels on peut estimer qu'on fait des investissements de prestige. Je songe par exemple aux lignes à grandes vitesse. Je crois que nous avons suffisamment équipé notre pays de lignes à grande vitesse et qu'il est temps maintenant de donner la priorité aux transports du quotidien ou aux dessertes du quotidien comme les dessertes des aéroports.

"Les investissements du Grand Paris sont prioritaires"

Vous avez connu des cabinets ministériels, des conseils d'administration de grandes entreprises privées. Quels sont les principaux défauts de la relation Etat/grandes entreprises que vous avez pu constater ?

La relation entre l'Etat et les grandes entreprises n'a pas de défauts intrinsèques. Pas plus que celle entre l'Etat et les citoyens ou l'Etat et les petites entreprises. L'Etat est le gestionnaire du temps long et de l'intérêt général. Il ne peut pas faire tous les métiers, savoir où sont les innovations de demain, et allouer les moyens, depuis Paris, de façon optimale. Ce qui est toujours difficile lorsque vous êtes entrepreneur, quelle que soit la taille de votre entreprise, ou même citoyen, c'est de faire face à un Etat qui ne se limite pas aux fonctions pour lesquelles il est légitime.

"L'action de la BPI est excellente"

En tant qu'ex président de la Caisse des dépôts (CDC), quel regard portez-vous sur la création de la Banque publique d'investissement (BPI) et sur son action ?

Je crois que l'action de la BPI est excellente. Elle s'inscrit dans la droite ligne des travaux conduits par Oseo d'une part et le fonds stratégique d'investissement d'autre part. Je suis très fier qu'à la Caisse des dépôts, nous ayons créé toutes les conditions nécessaires à la création de cette BPI que, d'une manière ou d'une autre, j'appelais de mes vœux lorsque j'étais directeur général de la CDC. Je crois donc que c'est une bonne institution, bien dirigée, et je lui souhaite bonne chance.

Mais la BPI n'ajoute-t-elle pas de la complexité ?

Non, je crois que la BPI fait beaucoup d'efforts de simplification et d'accessibilité dans les territoires. Elle va dans la bonne direction.

"La hausse de la taxe de séjour est un sujet sur lequel je suis assez partagé"

En tant que patron d'ADP, comment jugez-vous l'éventuelle hausse de la taxe de séjour ?

Je suis tout à fait schizophrène dans la mesure où, s'il y a bien un domaine dans lequel je pense que l'investissement est crucial, c'est celui des transports et c'est celui des transports du Grand Paris et de la ligne du CDG Express. Donc même si je suis a priori ennemi des taxes, je suis obligé de voir que le tourisme est un secteur très important pour notre pays, et je trouverai cela dommage que le malade meurt guéri. Bien sûr, il faut éviter que les taxes trop lourdes pèsent sur le secteur hôtelier, et je ne méconnais aucunement la lourdeur de la taxe telle qu'elle a pu être envisagée à un moment donné, néanmoins cette taxe qui, in fine, va peser sur les touristes va aussi leur permettre d'avoir les infrastructures satisfaisantes pour se mouvoir en Ile-de-France. Donc c'est un sujet sur lequel je suis assez partagé.

Et en tant qu'ancien membre du Conseil des prélèvements obligatoires, comment jugez-vous la politique fiscale de l'actuel gouvernement ?

Vous comprendrez qu'il me soit trop difficile de répondre dans le cadre d'une interview aussi brève à une question aussi riche.

Enfin, une question que le JDN pose régulièrement aux dirigeants qu'il rencontre : si vous deviez créer une entreprise aujourd'hui, ce serait dans quel secteur ?

Ce serait probablement dans les services à la personne. Je crois, comme Jean-Baptiste Say, que l'offre crée sa demande et que, quand vous avez une offre de qualité, elle trouve sa demande. Or, dans le domaine des services à la personne aujourd'hui, les besoins sont considérables. C'est un domaine qui est très consommateur de main d'œuvre et, à ce titre, créateur d'emplois, dans lequel il est possible de faire des choses utiles.

Le feriez-vous en France ?

Oui.

Organisées par Le Cercle des économistes, Les Rencontres économiques d'Aix-en-Provence rassemblent tous les ans des économistes renommés, des hommes et femmes politiques ainsi que des dirigeants de grandes entreprises pour trois jours de conférences. Cette année, il était surtout question du ralentissement de l'investissement.