JDNet:
Quel
bilan tirez-vous des six premiers mois de l'année qui
viennent de s'écouler ?
Alexandre
Mars. Que l'Internet est victime des modes. Les six derniers
mois de l'année dernière, on ne jurait que par
le BtoC. Tous les investisseurs se sont rués dessus.
Après, cela a été le BtoB. Il a suffit
que deux ou trois cabinet d'analyse comme Forrester décrètent
que 90% des revenus de l'Internet en 2003 proviendrait de
ce secteur pour emballer la machine. Maintenant, aux Etats-Unis,
on commence d'ores et déjà à remettre
en cause le modèle. Et on est passé au PtoP
(Path to Profitability ou Peer to Peer, comme Napster). C'est
donc cyclique mais en même temps, si vous suivez les
modes, cela veut dire que vous avez deja perdu car vous êtes
en retard. Il faut donc les anticiper. Par exemple, pour Ukibi
(solution clé en mains de carnet d'adresses), tout le monde
regardait à l'époque le BtoC, nous avions un coup d'avance
en créant ce modèle de brique qui permet une meilleure
fidélisation de l'internaute. Ce modèle "à la
Ukibi" a été repris depuis par de nombreux sites comme Mixad
[NDLR : Cette société d'enchères et d'annonces
clé en main avait reçu notamment le Trophée
du meilleur potentiel de croissance lors des Rencontres Capital-IT
au mois de mars]. Les gens ont découvert que c'était un très
bon modèle et bien moins coûteux que le BtoC.
Considérez-vous
qu'il y a eu une certaine surenchère dans les investissements
?
On
ne peut pas vraiment parler de surenchère, même
si c'est vrai que les groupes industriels ont accru la concurrence.
Mais disons que pendant ces six mois, le pouvoir a surtout
été dans les mains des start-up. Désormais
la tendance s'est un peu retournée et les investisseurs
ont le pouvoir de dire non.
Apparemment,
ce sont les valorisations qui étaient en cause. Comment
faites-vous pour évaluer une start-up?
Il
n'y a pas de méthode. La méthode des cash-flows
actualisés n'a par exemple pas de sens dans l'Internet,
quoiqu'on en dise. Les seules méthodes fiables sont
celle de l'instinct et celle des comparables.
On
parlait des modes tout à l'heure. Désormais,
le Wap revient comme un leitmotiv...
Effectivement.
C'est d'ailleurs un des seuls domaines où les Américains
reconnaissent notre supériorité. L'Internet
sur le mobile a un bel avenir. Mais arrêtons de faire
parler les statistiques sur le nombre de personnes qui vont
utiliser leur mobile pour faire leurs courses. Le Wap est
une belle invention pour certains services comme la météo,
les plans ou le courtage, mais il en existe des dizaines d'autres
qui n'auront aucun intérêt.
Au
regard des six premier mois, on dit que la fin de l'année
sera consacrée aux fusions-acquisitions...
Je
pense que c'est une des seules certitudes qu'on ait pour les
dix-huit mois qui viennent dans l'Internet. Il est clair qu'à
terme, ne demeureront en Europe qu'une dizaine de grand hub
qui regrouperont tous les services sur leur portail. Ces acteurs
sont Telefonica, Deutsche Telekom ou d'autres. Ils vont donc
vouloir renforcer leur offre en avalant des briques. En un
an, on est passé en effet d'une économie d'acquisition
du client à une économie de rétention
ou de fidélisation. Les start-up qui fourniront des
services de ce type tomberont donc sans doute dans l'escarcelle
de ces géants. D'ailleurs, en ce moment, beaucoup d'entre
elles, plutôt que de lever des fonds, préfèrent
aller voir des cabinets en fusions et acquisition pour profiter
de la vague.
Mais
d'autres start-up mourront. Les conséquences ne vont
elle pas être graves pour l'activité en général?
Effectivement,
il y aura des morts mais on s'en relèvera facilement.
Je pense en plus que les conséquences pourraient être
positives. Il y a à l'heure actuelle une pénurie
de gens qualifiés. Les start-up qui survivront à
l'écrémage vont pouvoir ainsi récupérer
du personnel qualifié et expérimenté.
On aura donc moins de start-up mais avec un managment plus
costaud. Parallèlement, l'influence de cet engouement
pour les start-up laissera quand même des traces bénéfiques.
Les sociétés de l'Ancienne économie ont
ainsi assoupli le managment et cela favorise l'économie
en général. Même s'il est fort probable,
qu'à terme, la cravate se resserera un peu dans ces
sociétés. (Rires).
Malgré
ces réserves, il reste quand même beaucoup d'argent
à investir dans les start-up quand on voit la taille
des fonds levés au début de l'année...
Effectivement.
Sauf qu'au lieu d'avoir cinquante deals à 1 million
de francs, ce qui s'apparentait à du saupoudrage, on
aura désormais un gros deal à 50 millions de
francs. En revanche, le krach du mois d'avril va peut-être
changer la donner pour les prochaines années. Les fonds
pourraient avoir plus de mal à solliciter les investisseurs
institutionnels.
Vous
disiez qu'à terme, il ne subsisterait qu'une dizaine
de hub. En France, qui a selon vous cette capacité?
Vivendi
ou Europ@web ont évidemment une stratégie très
intéressante. Leur stratégie est celle des indiens
dans la mesure où, quoiqu'il en coûte, ils ont
décidé d'encercler le marché avec une
politique très agressive. Ils perdront donc de l'argent
avec une partie de leurs investissements mais en gagneront
énormément avec l'autre partie. Par ailleurs,
Vivendi a un avantage car il est clair que demain les services
devront être multi-plateformes. Or le groupe dispose
de tout ce qu'il faut pour être présent dans
l'internet, la télé ou les mobiles.
Et
les Américains en Europe. On en parle beaucoup mais
on ne les voit pas trop...
Selon
moi, il ne débarqueront pas massivement car le marché
européen est trop segmenté, trop différent
culturellement. Pour eux, habitués à un pays
de 250 millions d'habitants où tout le monde parle
la même langue et a les mêmes modes de consomnation,
le marché européen est quand même difficile
à cerner puisque chaque pays a sa spécificité.
Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les actionnaires
des sociétés cotées laissent toute latitude
aux dirigeants pour leur implantation en Europe en terme de
coûts. Quant à la France, on reste quand même
pour eux le pays du fromage. Mais de la même façon
que les Français voient l'Amérique comme un
pays gavé de pop-corn et de football américain,
où la criminalité fait rage. Leur arrivée
sera donc certainement plus discrète et avec l'appui
de partenaires locaux. Ce que font @Viso avec E-Loan [NDLR
: @Viso est une joint-venture entre Softbank et Vivendi pour
favoriser l'implantation en Europe de dotcom américaines]
ou Europ@web avec Webhelp.com est peut être, à
ce titre, la bonne solution pour eux
On
a beaucoup parlé de modes. Quels sont selon vous les
projets qui vont attirer les investisseurs dans le futur et
qu'est ce qui va changer dans le monde de l'Internet?
Si
ca ne tenait qu'à moi, je dirais le e-mail. Pour l'instant,
à part quelques bribes dans le marketing direct, je
trouve qu'on a rien inventé alors que c'est un outil
encore plus utilisé que le Web dans le monde. Imaginez
le nombre de personnes que l'on peut toucher avec l'e-mail.
Je pense qu'il devrait y avoir un engouement prochain pour
ce genre de projet. Pour la deuxième partie de votre
question, je pense que l'homme va faire son retour dans l'internet.
On a longtemps cru ces dernières années que
tout pouvait être automatisé. Les robots avaient
en quelque sorte pris le pouvoir. Or on s'aperçoit
que la matière grise est impérative dans un
bon produit sur internet.
Qu'est
ce que vous aimez sur internet ?
Le
fait que l'Internet soit un systeme où, à trois niveaux de
relation, vous pouvez toucher n'importe qui. L'argent est
évidemment une chose importante dans la nouvelle économie,
mais un bon réseau peut s'avérer beaucoup plus
porteur.
Vous
avez déjà acheté sur Internet?
Très
souvent, notamment sur Urban Fetch (site de livraison en une
heure) quand je suis à New York. J'achète aussi
souvent du fromages francais (sur Fromage.com) expédiés aux
US pour mon frère, mais aussi des ordinateurs, des
CD ou des logiciels...
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