INTERVIEW
 
Président
Arthur D. Little France
Ignacio Garcia Alves
"La numérisation des contenus a relancé la problématique stratégique du secteur des médias"

Ancètre des cabinets de conseil, Arthur D. Little met en avant son expertise technologique. L'an dernier, ses activités non américaines sont passées sous le contrôle de la SSII Altran Technologies (qui se portait acquéreur de la marque, tandis que les associés reprenaient les actifs). Au cours des derniers mois, Altran s'est retrouvée au centre d'une tempête médiatico-boursière et, selon certaines rumeurs, le "partage du monde" au sein des activités d'Arthur D. Little aurait été à l'origine d'une tentative de déstabilisation de la SSII. S'il n'a pas souhaité s'exprimer sur ces mouvements, Ignacio Garcia Alvès, le président d'Arthur D. Little France, s'est expliqué sur la nature du rapprochement, sur le positionnement de son cabinet et sur sa stratégie.

02 avril 2003
 
          
Le site
Adl.com

JDN. Qui est Arthur D. Little ?
Ignacio Garcia Alves. Arthur D. Little est le plus ancien cabinet de conseil au monde. Nous sommes nés au coeur de la vieille économie, en 1886... Nous sommes présents en France depuis 1968.

Et quelles sont vos spécificités ?
Trois choses caractérisent Arthur D. Little. D'abord, nous sommes des puristes du métier. Pour nous, l'indépendance du conseil est extrêmement importante. Nous y tenons pour pouvoir nous prononcer librement sur tous les sujets. Nous voulons nous concentrer sur le conseil en stratégie et management. Ainsi, nous ne faisons pas de conseil en système d'information, afin de nous préserver des conflits d'intérêt liés aux aspects de mise en œuvre technique par exemple. Nous sommes même prêts à aller parfois à contre-courant, comme nous l'avons fait par exemple sur l'UMTS en 1999. Deuxième point : nous avons une forte affinité avec la technologie dans nos différents secteurs. Nous avons des laboratoires, ce qui est assez rare pour un cabinet de conseil en stratégie, qui travaillent notamment sur les mobiles. Nous pouvons nous appuyer sur leurs travaux pour faire le tri entre le mythe de la technologie et la réalité. Enfin, nous gardons un esprit de pionniers. Cela semble un peu ambitieux, mais nous aimons les sujets à la frontière du nouveau monde. Certains cabinets préfèrent faire des choses plus répétitives, car plus lucratives : une mission de réduction des coûts, quand vous en avez fait une, vous en faites deux, trois, etc.… Nous, nous sommes des aventuriers de la pensée plutôt qu'un cabinet "industriel".

Avez-vous un exemple précis ?
Sur tout ce qui concerne le mobile, nous détenons à peu près 50 % des "due diligences", des financements de projets. A chaque fois, Arthur D. Little est soit à l'origine de la licence en ayant accompagné le client, soit à l'origine du financement. Le premier chipset Bluetooth a ainsi été développé par nos laboratoires.

D'où vient cette inclinaison technologique ?
Arthur Déhon Little était un chercheur au MIT. Quand il a créé le cabinet, sa première activité a été la recherche contractuelle, notamment dans la chimie. C'est un des premiers à avoir dit qu'il fallait industrialiser la recherche, l'organiser en projets. Ensuite, le cabinet s'est diversifié dans les années 30 dans le conseil en stratégie. Nous sommes entrés en Europe dans les années 60 et l'Europe a dépassé les Etats-Unis.

Que représente Arthur D. Little en chiffres ?
C'est 1.300 personnes dans une trentaine de pays, avec une présence sur tous les continents et une activité dans presque tous les secteurs. En France, c'est 60 consultants et au total un peu moins de 80 personnes. Nous ne communiquons pas sur nos résultats. Mais malgré la conjoncture très difficile, presque tous les bureaux ont été rentables.

Pourquoi avez-vous rejoint Altran Technologies l'an dernier?
A la fin 2001 s'est présentée opportunité de réaliser un RES sur l'activité de conseil en stratégie et tous les partners ont soumis une offre de rachat, en se posant la question du financement. Altran s'est alors intéressé à cette idée et a proposé de financer le projet et de conclure une alliance. C'est ce qui a été fait en avril 2002.

Quel périmètre était concerné très exactement ?
Uniquement la partie de conseil en stratégie. Nous avons racheté la marque sur tous les continents. En revanche, nous avons laissé aux Etats-Unis les activités de conseil très spécialisé dans l'énergie, l'économétrie de l'énergie, le conseil en environnement et risque, ainsi que le conseil au gouvernement et aux militaires américains. De même, nous n'avons pas repris l'activité de capital-risque, très consommatrice de ressources.

Et les laboratoires ?
Nous n'avons pas gardé ceux des Etats-Unis, juste les laboratoires européens.

Et aujourd'hui, qui dirige Arthur D. Little ?
C'est un partnership des patrons des bureaux, qui co-dirigent au niveau mondial cette activité. C'est très collégial. Et l'actionnaire Altran est assez présent dans ce management.

Comment fonctionne la collaboration avec Altran ? Y a-t-il des passerelles ou des synergies ?
Le modèle qui nous a séduits chez Altran, et vice-versa, c'est qu'ils nous ont garanti qu'Arthur D. Little resterait indépendant. Nous avons pris des garanties en ce sens, non pas parce que nous n'aimons pas être mélangés à d'autres, mais parce que c'est important pour nous. Si nous avons besoin de quelqu'un chez eux, nous allons leur demander, mais il n'y a aucune obligation d'un côté ou de l'autre de vendre des services mutuels. Altran nous apporte l'accès, si on le souhaite, aux compétences de leurs 18.000 consultants. Au final, les promesses ont été tenues et il y a un esprit d'émulation intéressant, avec notre culture très forte et très ancienne et une culture plus jeune.

On sait que tout rapprochement ne se fait jamais en un clin d'œil. Où reste-t-il des progrès à faire ?
Altran ne cherche pas forcément à nous intégrer. Ce qui demande un peu de temps, c'est d'arriver à mieux connaître nos potentiels chez Altran, travailler ensemble sur des projets et créer des réflexes naturels. Pour le reste, je crois que la grande sagesse d'Altran a été de laisser Arthur D. Little faire son métier et l'aider à être encore plus performant. Chez ceux qui ont vraiment fusionné, comme Cap Gemini et Ernst & Young par exemple, il y a eu une volonté de coller les deux sociétés, et ça ne s'est en général pas très bien passé. Il y a toujours un modèle qui va s'imposer à un autre modèle. Là, ce sont plutôt des frères qu'un mariage forcé.

Vous insistez beaucoup sur l'identité Arthur D. Little En terme de recrutement, cherchez-vous des profils différents ?
Ce que nous cherchons dans les gens, c'est qu'ils soient passionnés. Qu'ils soient techniquement très compétents mais qu'ils aient aussi envie d'explorer, qu'ils soient différents. Vous ne pouvez pas être rebelle et indépendant si vous avez des moutons dans votre équipe. C'est plus difficile à gérer, car si en général les consultants sont des gens intelligents, d'un très haut niveau, nous aimons en plus qu'ils cultivent cet esprit rebelle, sans être arrogants. Du coup, il est difficile de rentrer chez Arthur D. Little, mais aussi difficile d'en partir. Aujourd'hui en 2003, ce aspect est très valorisé par les clients, alors qu'il y a deux ou trois ans, c'est celui qui suivait le courant qui se portait très bien dans le conseil.

Mais dans la période actuelle, vos clients n'ont-ils pas besoin aussi d'être rassurés ?
Dire ce qu'on pense et penser ce qu'on dit ne signifie pas être ingérable. Au contraire, nous rassurons nos clients parce que nos gens sont très terre-à-terre, ont accès à la technologie, connaissent très bien les secteurs et peuvent dire très rapidement au client s'il est sur la bonne voie ou pas. Aujourd'hui, ce qui manque au client, c'est la visibilité. On est dans le brouillard le plus total et nous avons cette capacité à les rassurer parce que nous leur donnons une visibilité un peu plus grande que d'autres.

Sur quels types de projets êtes-vous impliqués ?
D'abord les télécoms. Nos clients se posent beaucoup de questions sur les nouvelles sources de revenu dans le multimédia mobile, le haut débit, l'ADSL, sur la croissance des revenus, sur ce qui va fonctionner ou pas. La deuxième interrogation majeure concerne les coûts : ils souhaitent vraiment savoir s'il y a encore un peu de gras… Et puis, certains clients doivent réorganiser leur processus de création de produits.
Ensuite, les médias, un secteur un peu chahuté mais qui est touché de plein fouet par la technologie, à la fois dans la production et dans la diffusion du contenu. La numérisation modifie les business-models, l'expérience-client. Nous avons beaucoup travaillé sur la télévision en général, parce que ça a été un des premiers secteurs à être numérisé : on s'aperçoit que l'apparition des nouveaux moyens de diffusion n'a pas fait disparaître les technologies classiques. Si les choses ne sont pas encore standardisées ni monétisables, la numérisation modifie souvent la chaîne de valeurs classique de distribution du contenu, ce qui fait qu'il y a des places à prendre, que des acteurs vont disparaître et d'autres vont prendre le pouvoir. C'est un secteur où il y a encore beaucoup de problématiques stratégiques, et donc beaucoup de grain à moudre pour nous… Du coup, être à la frontière de la réflexion stratégique et de la réflexion technologique a un vrai sens.

Vous intervenez aussi sur des secteurs plus traditionnels ?
Sur la pharmacie, le transport aérien et l'aéronautique, l'industrie lourde… On y retrouve le même avantage. Le monde des banques et de la finance fait aussi beaucoup appel à nous pour revoir des dossiers d'acquisition ou de vente pour le compte de ses clients.

Quelles utilisations technologiques privilégiez-vous dans les diverses fonctions de l'entreprise?
J'ai un peu de mal à répondre à votre question parce qu'in fine, notre objectif est de répondre aux besoins des directions générales, donc nous devons avoir une bonne visibilité sur beaucoup de sujets. Après, notre souci est de trouver le bon expert. Nous avons l'ambition de comprendre toutes les technologies, et nous sommes agnostiques, puisque nous ne poussons pas des choses que nous avons développées. Donc si le client vient avec une problématique, notre approche est de décrypter pour lui l'ensemble des solutions technologiques afin qu'il soit sûr de son choix.

Et qu'avez-vous l'impression d'apporter à vos clients ?
L'expertise. Les consultants ne sont pas des gens auxquels le client doit apprendre son métier. Cela paraît banal, mais nos consultants sont tellement "colorés" qu'il sont opérationnels dès le premier jour. Et, je le répète, notre compréhension de la technologie nous permet de rester indépendants dans les grands choix en la matière. Nous cherchons à donner des arguments au client pour anticiper les risques ou les opportunités.

Quelle est votre plus grande réussite des derniers mois à vos yeux ?
C'est surtout, en interne, d'avoir été capable de traverser cette crise du conseil en général en gardant les équipes intactes. Nous sommes très fiers d'avoir fait ça tout en gagnant de l'argent. Au niveau des projets, nous avons accompagné un des plus grands LBO français en 2002. Mais je ne peux pas citer de nom, c'est une des contraintes de notre métier. Les clients aiment nous voir dans la presse mais n'aiment pas voir leur nom ou leurs projets cités dans la presse…

Et quel projet rêveriez-vous d'accompagner ?
Ce que nous aimerions, c'est qu'on puisse dire à la fin de l'année 2003 que nous avons participé à la reconfiguration du paysage média et des télécoms. Que nous avons fait avancer ces deux industries. Qu'elles aient toutes deux gagné en visibilité, que les nouvelles technologies soient bien mises sur les rails, comme la télé sur ADSL, le multimédia mobile pour les opérateurs mobiles, l'ADSL pour les opérateurs télécoms.

Comment continuez-vous à motiver vos équipes dans le contexte actuel ?
La première motivation pour les consultants qui viennent chez nous est l'intérêt des projets, et je crois que nous continuons à avoir des projets intéressants. Par ailleurs, ils viennent aussi pour trouver un espace épanouissant. Enfin au niveau économique, il faut que l'entreprise gagne de l'argent pour pouvoir verser des bonus. C'est ce que nous avons fait en 2002.

Mais comment faites-vous face à la tension sur les prix qui affecte votre marché ?
Je pensais qu'il y avait eu un assainissement du marché en 2002 et que ça avait suffit. Un certain nombre de nos confrères ont fait des réductions d'effectifs assez importantes et dès que l'offre s'aligne sur la demande, la question du prix se pose moins. Mais compte tenu de la crise actuelle, les clients allongent les périodes de décision. Cela dit, in fine, même s'il y a une pression sur les prix, le client veut avoir le bon consultant. Sans tenir un discours commercial, même si nous coûtons cher, si nos prix à la journée sont très élevés, notre objectif est toujours d'apporter le maximum de valeur ajoutée au client. Dès que cet équilibre entre coût et valeur ajoutée est trouvé, si votre mission facturée entre 100.000 et 1 million d'euros répond à des enjeux qui sont cent fois supérieurs, la question du prix est plus anecdotique. De toute façon, dans les années 2000-2001, nous n'avons pas fait d'inflation sur les prix, nous avons été très raisonnables, nous ne sommes pas les plus chers. Nous avons toujours eu cette approche du sur mesure. Pour le moment, ça a fonctionné, mais rien ne garantit que ça continuera. Et c'est vrai qu'il y a une pression sur les prix, il faut le reconnaître. Le client aime bien ça, il sait que ces temps-ci, c'est lui qui a un peu plus de pouvoir…

Qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
Ce que j'aime beaucoup, c'est de pouvoir me passer du papier : Internet est pour moi une énorme armoire qui me permet d'accéder à beaucoup de choses et où des gens rangent l'information pour moi. Par ailleurs, j'adore accéder à l'Internet avec mon mobile et mon PC en voiture, quand mon épouse conduit, pour trouver des informations sur la circulation ou un restaurant, et faire des démarches que je n'ai pas pu faire pendant la semaine. Les consultants sont en général des paranos de l'utilisation de leur temps, et ça me donne une énorme souplesse.

Et qu'est-ce que vous n'aimez pas ?
Je me pose parfois des questions sur la fiabilité des informations auxquelles j'ai accès, je me demande si quelqu'un n'est pas en train de faire de l'intox. Ou alors je tombe sur des choses qui n'ont pas été actualisées. Mais j'ai eu très peu de déceptions pour le moment.

 
Propos recueillis par François Bourboulon

PARCOURS
 
Ignacio García Alves est président du bureau Arthur D. Little en France. Parallèlement à cette fonction, il dirige également le département dédié aux secteurs TIME (Télécommunications, Technologies de l'Information, Multimédia, Electronique). Il est diplômé de la Delft University of Technology (Pays-Bas) - Master of Science in Electrical Engineering (cum laude) et de l'EAP-ESCP (Oxford, Madrid et Paris) - European Masters in Management (cum laude). Ignacio García Alves parle couramment français, espagnol, hollandais, anglais et allemand.

   
 
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