INTERVIEW
 
Directeur général
Afnic
Jean-Yves Babonneau
"La pénétration de l'Internet dans les entreprises n'est pas à la hauteur de nos espoirs"
L'Association française pour le nommage Internet en coopération (Afnic) libéralise le dépôt le nom de domaine en .fr. Dès le 11 mai prochain, toute personne morale identifiable à partir des bases de données publiques en ligne pourra enregistrer le nom de domaine de son choix. L'année prochaine, ce système devrait s'élargir aux personnes physiques. Jean-Yves Babonneau, directeur général de l'Afnic, revient sur les nouveaux enjeux du .fr. Le représentant du gestionnnaire de la base de données des noms de domaine Internet en .fr souhaiterait que les entreprises et les collectivités soient plus attentives à marquer leur territoire en ligne.
19 janvier 2004
 
          
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JDN. Quels sont les principaux changements avec cette nouvelle procédure de dépôt de noms de domaine ?
Jean-Yves Babonneau. L'objectif est d'assouplir l'enregistrement des noms de domaine par l'intermédiaire des prestataires techniques.Le dépositaire dûment identifié peut choisir librement le nom de domaine sans justificatif. Auparavant, le dépôt devait respecter trois critères : territorialité, l'identification et le droit au nom. Les deux premiers éléments sont conservés, le dernier est supprimé. Nous pensons limiter fortement les abus tout en automatisant la procédure. Désormais, les transferts de documents papier sont supprimés. Tout est transmis en ligne entre le prestataire technique et l'Afnic à travers une plate-forme que nous avons développée en interne. Le travail au quotidien des prestataires membres de l'Afnic va être facilité. Avec l'automatisation des procédures, nos membres devraient également percevoir une réduction des coûts.

Quels sont les nouveaux principes de contrôle d'identité qui régissent le dépôt de noms de domaine ?
Le contrôle se fera a posteriori par l'équipe de l'Afnic pour valider définitivement l'identité de la personne morale ayant demandé l'enregistrement d'un nom de domaine. Nous prenons en référence les bases de données de l'Insee, de l'Inpi et des greffes des tribunaux pour effectuer les vérifications.

Identifiez-vous une problématique spécifique pour le dépôt des noms de domaine liés aux nouvelles marque ?
Il peut y avoir un risque pour les PME si elles n'ont pas pris la précaution de déposer le nom de domaine qui colle à une nouvelle marque. Depuis le 1er janvier, il est possible de déposer simultanément une marque et un nom de domaine éponyme en .fr. De notre côté, nous sensibilisons les entreprises à travers un CD-Rom (GeNIC) disponible gratuitement. Fin 2003, le conseil général des Bouches-du-Rhône a pris l'initiative de diffuser 40.000 exemplaires à destination du grand public. Le CD-Rom est aussi diffusé dans les centres de formalités entreprises (CFE, rattachés aux chambres de commerce et d'industrie) qui sont partenaires de l'Afnic. Ce CD-Rom comprend un mode d'emploi pour guider les PME dans le dépôt de noms de domaine ainsi qu'un mémento sur la problématique des marques. Pour le dépôt d'une nouvelle marque, un entrepreneur doit toujours vérifier sa disponibilité au préalable. Mais là, on sort de nos prérogatives.

Ne craignez-vous pas une résurgence du cybersquattage sur l'extension .fr, qui avait quasiment disparu ?
Oui, le risque existe avec l'instauration de ce nouveau système. Mais nous maintenons deux gardes-fous sur la territorialité et l'identification. Depuis deux ans, nous n'avons recensé qu'un problème de cybersquatting sur le .fr.

En prolongement de cet assouplissement, vous allez inaugurer un outil de médiation en cas de litiges...
C'est un système de résolution de litiges type DNDRP (Domain Name Dispute Resolution Policy) réservé à l'extension .fr. L'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (Ompi) a mis au point ce type de procédure pour l'extension .com. L'Afnic ne sera pas partie prenante pour les litiges qui apparaissent avec le système en .fr. Si deux parties de bonne foi souhaitent régler un différent en dehors des voies de justice traditionnelles, il pourront utiliser ce recours de médiation en ligne. Ce sera un service payant mais moins onéreux qu'une action en justice et plus rapide. Nous souhaiterions installer deux services de DNDRP en France, gérés par deux organismes distincts. Après l'assemblée générale de l'Afnic qui aura lieu mi-février, nous devrions être en mesure de révéler leurs noms.

Du côté des internautes, en quoi consiste le nouveau "dispositif de qualification" que vous préconisez ?
Nous allons proposer un plug-in aux internautes qui sera intégré à leur navigateur Web. Cet outil permettra de pointer sur les bases de données des sites de l'Inpi, de l'Insee et des greffes des tribunaux au cours du surf de l'utilisateur. Par exemple, dans le cas d'un site marchand, le visiteur pourra vérifier instantanément l'identité officielle de l'éditeur d'un site en .fr avant de passer une commande.

Au dernier pointage, l'Afnic recense 177.000 noms de domaines enregistrés en .fr. Quelle proportion représentent les entreprises dans ces dépôts ?
C'est la très grande majorité (95% environ). Je dirais qu'il existe au moins autant d'entreprises françaises en .com qu'en .fr.

Cela reste une faible proportion par rapport aux 5 millions d'entreprises en France...
Soyons honnête : ll reste un travail colossal à réaliser en la matière. La pénétration de l'Internet dans les entreprises n'est pas à la hauteur de nos espoirs. L'Afnic fait des efforts pour sensibiliser les entreprises à l'Internet : dans le cadre d'un partenariat avec une trentaine de CCI, tout entrepreneur peut pré-enregistrer de manière provisoire son nom de domaine lié à la création d'une nouvelle entreprise. C'est très simple à travers des bornes interactives installées dans les CFE qui reprend des éléments du CD-Rom GeNIC. Après, il reste à l'entrepreneur à valider le choix de son nom de domaine en prenant contact avec un prestataire technique pour le dépôt définitif.

Comment se comportent les collectivités locales en termes de dépôts de noms de domaine ?
Elles vont arriver à une échéance importante. Jusqu'ici, nous avons protégé les noms de domaines liés aux collectivités territoriales et aux communes de France. A partir du 11 mai prochain, jour d'ouverture officiel du nouveau système, la protection de ses noms de domaines liés aux collectivités locales va disparaître. Ils vont être mis sur le marché. En l'état actuel, 5.000 communes [NDLR : sur 36.000 en tout] ont pris le soin de déposer leur nom de domaine en .fr. Ce n'est pas suffisant. C'est un enjeu considérable : nous en avons informé l'Association des maires de France et avons envoyé mi-décembre une lettre à toutes les communes de France. La balle est maintenant dans leur camp.

Comment évolue le marché des prestataires spécialistes des noms de domaines en France ?
Nous recensons 1.100 prestataires adhérents à l'Afnic au premier janvier 2004. Ce sont généralement des acteurs qui proposent de l'hébergement de sites Internet. Au sein de l'association, nous n'avons pas réellement observé de purge sectorielle après l'éclatement de la bulle Internet. On trouve beaucoup de "prestataires dormants" qui réalisent peu de chiffre d'affaires avec le dépôt de noms de domaine. Mais ils préfèrent garder cette corde à leur arc qui reste un argument commercial.

Comment expliquez-vous le désintérêt des entreprises vis-à-vis des nouvelles extensions (.biz, .info...) ?
C'est une situation navrante. Les entreprises se rabattent sur ces nouvelles extensions si elles n'ont pas obtenu satisfaction pour obtenir une extension plus générique en .com ou .fr. Lors des lancements de ces nouvelles extensions courant 2002, les entreprises ont eu le réflexe de déposer ses noms de domaines en guise de protection. Mais elles n'y voyaient aucun intérêt en termes d'exploitation Internet. Les entreprises se passeraient bien volontiers de ce genre de dépenses.

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La prochaine extension en .eu vous paraît-elle fédératrice ?
Nous avons été le premier Nic à soutenir la création d'un .eu il y a trois ans. Nous estimions que le .fr qui permet d'enraciner l'activité en ligne tandis que le .eu était susceptible de donner une première image internationale. Nous avons contribué à une solution territoriale concernant le .eu : une entreprise ne pourra pas obtenir ce type d'extension si elle n'a pas de relations avec l'Union européenne. C'est quand même plus précis qu'un .com. A l'instar du .fr, nous avions proposé qu'une identification soit faîte a posteriori sur l'ensemble des bases publiques européennes pour les attribution des noms de domaines en .eu et que le système de qualification soit étendu à ce nouveau nom de domaine. Cela n'a pas été retenu pour le moment. En l'état actuel, le système retenu pour le .eu est souple voire laxiste. Ce nouveau nom de domaine pourrait éventuellement apparaître au second semestre 2004 mais rien n'est sûr.

 
Propos recueillis par Philippe Guerrier

PARCOURS
 
Jean-Yves Babonneau, 49 ans, est directeur général de l'Afnic depuis 1998. Il est également membre de la direction générale et directeur de recherche de l'Inria. A titre personnel, il exerce également des activités de conseils dans les nouvelles technologies pour des groupes comme Renault, Alcatel et EDF. Depuis 1997, il est conseiller du directeur général du Cned (Centre national d'enseignement à distance).

   
 
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