INTERVIEW 
 
Nathalie Beslay
Avocat
Barreau de Paris
Nathalie Beslay
"Plus de communication santé sur le Web améliorerait le droit des patients"
Internet est devenu un média stratégique pour les laboratoires pharmaceutiques, comme en témoigne l'apparition d'équipes dédiées au sein de ces groupes. Pourtant, la communication y est très limitée. Nathalie Beslay, avocat au barreau de Paris, fait le point sur ce que l'on peut ou ne pas faire.
(17/09/2005)
 
JDN. La communication sur les médicaments est un secteur très réglementé. Qu'en est-il sur Internet ?
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Etude Benchmark
La santé sur Internet
Nathalie Beslay. Il n'y a pas de règles propres à Internet en matière de communication sur les médicaments. La réglementation y est la même qu'ailleurs : les règles qui s'appliquent sont celles qui encadrent toute communication sur les médicaments en général et celles qui concernent toute communication électronique. Il existe toutefois une charte qui rappelle les grands principes et les adapte au Web. Elle a été mise au point par l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et le Leem (Les entreprises du médicament, ex-Snip, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique) en 2000, après l'explosion d'Internet pour clarifier la situation et rappeler les règles qui devaient s'y appliquer. Puis elle a été actualisée en 2001. Mais, avant même qu'elle ne soit éditée, ses principes s'appliquaient déjà.

Y a-t-il eu de graves différends sur l'application de ces principes ?
Pas à ma connaissance. Les litiges concernent plutôt des ventes de médicaments contrefaits sur Internet, des importations parallèles. On peut citer l'exemple de Pfizer, qui met en oeuvre une stratégie de défense active des ventes de faux Viagra sur le Web.

Les limites de la communication médicale et pharmaceutique sur Internet sont-elles bien acceptées par les laboratoires ?
Les laboratoires connaissent bien les règles et les respectent. A un moment, il y a eu quelques laboratoires frondeurs, qui souhaitaient aller plus loin en matière de communication sur Internet. De l'autre côté, les institutions étaient un peu sourdes et réagissaient de manière rigide . Certains se sont ainsi fait reprendre quand ils ont émis l'idée de mettre un forum sur leur site, alors que ce serait tout à fait légal à certaines conditions. Les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas les seuls à s'interroger sur les limites du "possible et de l'interdit" : je reçois beaucoup de dossiers de prestataires, d'agences de publicité qui se demandent ce qu'il est possible de faire dans ce domaine, pour assurer la conformité légale et réglementaire des services proposés à leurs clients de l'industrie pharmaceutique.

Quel rôle joue la Charte pour la communication sur Internet des entreprises pharmaceutiques ?
Elle n'a pas de force obligatoire. Toutefois, elle est très importante puisqu'elle a été rédigée par l'Afssaps, qui joue un rôle de police en matière de publicité des médicaments, et par l'ex-Snip. De plus, en cas de contentieux, elle pourrait constituer un corpus de textes à valeur interprétative sur lequel pourrait s'appuyer le juge pour rendre sa décision.

Que dit cette Charte en matière de communication institutionnelle des laboratoires ?
Elle laisse la possibilité de communiquer sur l'aspect corporate des firmes. Cela ne pose, en général, aucun problème. Ce qui est intéressant à noter, c'est que ces firmes peuvent faire des liens hypertextes vers les sites de leur filiale ou de leur maison-mère, à condition de diffuser un message au moment où l'internaute bascule d'un site à l'autre et change donc de réglementation.

Son contenu est en revanche plus discuté sur la question de la publicité des médicaments ?
La plus-value de la charte : fixer les règles pratiques"
Oui, elle indique dans quelle mesure les laboratoires peuvent le faire. C'est d'ailleurs la principale plus-value de cette charte : elle fixe les règles pratiques. Le principe de base, c'est que cela ne tombe pas dans le promotionnel. Elle applique au Web la loi en vigueur sur la question. La charte est très stricte sur les mentions légales : elles doivent être visibles clairement par l'internaute. Concernant l'information produits, là encore, la communication est très codifiée. "Le résumé des caractéristiques du produit, la notice et l'avis de transparence doivent être diffusés et être reproduits tels quels sans artifice de mise en valeur de telle ou telle partie." L'Afssaps a également pris les devants dans un certain nombre de domaines, comme les bases de données bibliographiques. Celles-ci revêtent un caractère important pour les laboratoires, elles peuvent être une forme de communication discrète. Les laboratoires pourraient être tentés de n'y inclure que des articles favorables à leurs produits, ce qui serait considéré comme une promotion déguisée. La charte précise qu'elles ne peuvent être exclusivement liées à un médicament unique ou une gamme de médicaments du laboratoire et qu'elles doivent "garantir l'objectivité et la qualité".

Que pensez-vous de l'attitude des laboratoires et de leur application de la charte ?
Généralement ils respectent les règles car ils considérent que la marge de manoeuvre avec l'Afssaps est faible. Avec un peu plus de créativité, y compris juridique, on pourrait mettre au point des services qui vont un peu plus loin. Dans le domaine de la communication directe avec le patient, par exemple, voie déjà explorée par les laboratoires, on pourrait pousser davantage la pratique. C'est dans le sens de l'histoire d'aller vers plus de communication, cela améliorerait le droit des patients à accéder à l'information sur les médicaments qu'ils consomment, ce qui est tout de même un droit fondamental de la démocratie sanitaire. Et qui mieux que les laboratoires disposent de l'information sur les produits ? Une des voies possibles est d'évoluer vers plus d'interactivité, plus d'images.

Beaucoup de laboratoires ont toutefois trouvé la parade en communiquant principalement sur le matériel médical. Les règles sont-elles les mêmes pour ce domaine ?
Le matériel n'est pas soumis aux mêmes contraintes, mais sa communication doit aussi être précédée, dans certains cas, d'un dossier auprès de l'Afssaps. Etant plus ouverte, la promotion du matériel en est donc plus courue.

Les laboratoires ont-ils le droit de faire du conseil en ligne ? Pourrait-on aller plus loin dans ce domaine ?
Le conseil ne peut être individualisé"
La situation est ambiguë. Dans les faits, ils peuvent le faire si le conseil reste d'ordre général : le conseil ne peut être individualisé, c'est-à-dire prendre en compte l'état de la personne qui pose la question. Si, par exemple, la question part de l'internaute, que celui-ci demande si tel médicament est approprié pour un rhume, le médecin du site peut répondre en général par oui ou non, sur la base des indications thérapeutiques de la notice. En revanche, il ne peut pas dire : "vous êtes malades, prenez tel médicament". Quand les laboratoires commencent à faire du conseil médical, ils prennent le risque de passer dans la pratique illégale de la médecine et le médecin s'expose à des sanctions de la part du Conseil de l'ordre. Ce serait de toute façon très compliqué, et en l'état du dispositif légal, il est interdit pour un médecin de faire un diagnostic en ligne.

Et qu'en est-il des portails d'information médicale ? Doivent-ils respecter les mêmes règles ?
Non, les contraintes sont tout à fait différentes. En termes de communication, ils sont bien entendu responsables de la publicité qui est faite sur leur site. Ils ne doivent pas permettre à un annonceur de faire sa promotion illégale sur leurs pages. Mais les règles qui encadrent la communication sur les médicaments ne leur sont pas directement opposables, dans la mesure où ils ne sont pas des entreprises mettant sur le marché des produits pris en charge par les régimes de sécurité sociale et/ou susceptible d'être qualifiés de médicaments. Ces sites ne sont généralement pas concernés par les problèmes relatifs à la communication sur les médicaments, mais plutôt par les litiges concernant les forums de discussion, et plus particulièrement les contributions de leurs internautes qui s'expriment librement sur les médecins qu'ils consultent ou les médicaments qu'ils consomment. Les sites d'information doivent aussi faire très attention aux conseils qu'ils peuvent apporter et ne pas tomber dans l'exercice illégal de la médecine.

La démocratisation sanitaire est en marche."
Aux Etats-Unis, la loi est très différente et permet une communication débridée sur les médicaments. Quels sont les avantages et les inconvénients d'un tel système ?
L'avantage, c'est que cela profite au patient, qui dispose de plus d'informations. Le revers de la médaille c'est que trop de promotion tue l'information et les campagnes de communication sont susceptibles d'être abusivement "business focus" plutôt qu'orientées vers la bonne compréhension et le libre choix des patients. Ils arrivent toutefois à éviter une situation chaotique car les laboratoires sont de plus en plus exposés aux contentieux. Les patients n'hésitent pas à attaquer les groupes pharmaceutiques quand ils jugent que ceux-ci ont fait de la publicité mensongère. Cela incite les labos à ne pas dire n'importe quoi et à rester vigilant. Cela agit comme une sorte de régulation naturelle.

Pensez-vous que la loi française pourrait se libéraliser et connaître une évolution à l'américaine ?
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Etude Benchmark
La santé sur Internet
Non, je ne pense pas. D'abord parce que la loi française dépend de la législation européenne, qui est également assez stricte en la matière. Et en outre parce que la France, dans le domaine de la santé publique, dispose à l'égard de la réglementation européenne, comme tous les Etats membres, de ce que l'on appelle une "clause de sauvegarde" et qu'elle semblerait bien disposée à la faire jouer en cas de réforme libérale, afin de faire valoir le maintien d'une réglementation stricte. En revanche, la démocratisation sanitaire est en marche, les patients seront de plus en plus demandeurs d'informations de qualité, que les laboratoires seront prêts à leur donner, à fortiori avec Internet, ce qui pourrait faire évoluer les gardiens de la loi et de la déontologie dans ce sens.
 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Nathalie Beslay, 34 ans, dirige un cabinet d'avocats entièrement dédié au secteur de la santé depuis deux ans. Elle y délivre une expertise en matière de gestion des risques juridiques liés à la dématérialisation des échanges de données de santé et en matière de santé électronique en général.

Nathalie Beslay a été chargée de mission pour l'Institut de Prospective Technologique de Séville (DG XII Commission Européenne) en 1995 sur les enjeux et les risques de l'introduction des nouvelles technologies en milieu de santé, et conseiller technique du Secrétaire d'Etat à la santé en 1996 sur les questions bioéthiques. Avocat en 1996, elle intègre un cabinet d'affaires dédié aux nouvelles technologies où elle est en charge pendant six ans des dossiers en matière de santé, et notamment de santé électronique, tels que les dossiers médicaux informatisés, les essais cliniques en ligne, la télémédecine, les réseaux de santé, les plates-formes santé et, les calls-centers santé.

Elle a également exercé la fonction de directeur juridique d'un opérateur de solutions Internet santé, société spécialisée en matière de consulting, de conception et de fourniture de e-solutions dans la santé (réseaux de soins, essais cliniques en ligne notamment).

Et aussi Nathalie Beslay est titulaire d'un DEA de philosophie du droit et d'un DESS de droit du marché commun.

   
 
 
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