Christian
Blachas est un adepte du "plurimédia". Très
tôt, il a créé des journaux et magazines papiers,
et s'est lancé en radio, à la télévision
où il présente et produit "Culture Pub".
Le groupe Aguesseau Communication
-holding de tête entre autres de l'hebdomadaire
"CB News"-, dont il est l'un des associés, a
lancé il y a un mois un site d'information, toutsurlacom.com
et annonce la création d'une filiale à 100%, Aguesseau
Interactive, qui regroupe toutes les marques du groupe sur le
Web. Premier bilan d'une présence sur le Net et balayage
à chaud de la "dotcom fever" par un homme qui
s'encombre assez peu de périphrases et de diplomatie.
Propos recueillis par Rémi
Carlioz
le 17 février 2000
.
JDNet:
Vous
venez de lancer un site, toutsurlacom.com, et de créer
une filiale, Aguesseau Interactive. Pour quoi faire?
Christian Blachas:
Il s'agit juste de regrouper au sein d'une même entité
toutes les activités Internet du groupe Aguesseau qu'il
s'agisse de celles des marques professionnelles comme "CB
News", des marques grand public (Maisons Côté
Sud, Côté Ouest, Côté Est, Atmosphères,
Cuisiner, Partir...), le portail Toutsurlacom, et d'autres marques
comme le mensuel CB News Web. Le but est de fédérer
les énergies et de faire jouer à plein les synergies.
Cela dit, c'est vraiment une fililale à 100%, plus un département
au même titre que la production télé par exemple.
Le
but est de l'introduire en Bourse?
On y pense, bien sûr, mais rien n'est tranché. Que
met-on en Bourse? Nous avons trois grandes branches: la presse
et l'édition, la production télé et l'Internet.
Alors faut-il introduire CB News tout seul? Ou bien tout Aguesseau?
Sauf que Les Editions de Demain que nous avons rachetées
plombent un peu les comptes sur le court terme. Alors uniquement
l'Internet? C'est trop tôt.
Tirez-vous
un premier bilan de votre portail?
Oui, il a ouvert il y a trois, quatre semaines. Nous en sommes
à 117.000 pages vues en trois semaines pour 20.000 visites
et 2.500 abonnés à la newsletter, enfin, plutôt
"inscrits" à la newsletter avant qu'elle ne passe
en payant.
Pourquoi
ne privilégiez-vous pas le gratuit?
Le gratuit, ça m'énerve. Ca va, merde, l'info ça
se paye. On délivre une info très concrète,
en exclusivité, du type tel annonceur consulte pour tel
budget. Quand cela peut contribuer à avoir un budget de
30 patates, l'accès payant c'est la
moindre des choses. Et puis le prix, à 200 francs par an,
n'est pas excessif, si? En fait c'est la fraicheur qu'on fait
payer, puisque l'info est dès le lendemain matin sur le
site.
L'abonnement
à la newsletter est accessible à tous?
Non, aux abonnés de "CB News" seulement. Pour
les autres, c'est à voir, on n'a rien décidé
encore. Mais a priori non.
Vous
dites être le "premier portail de la communication
et des médias". Il y en a d'autres, non?
Non, pas des portails. Des sites oui, pas des portails. Moi, j'ai
l'obsession de la différence. Si vous pensez à "Stratégies",
ils ont un site, pas un portail. On est déjà en
concurrence frontale toutes les semaines sur nos hebdos, heureusement
qu'on se différencie sur Internet. Nous, nous fédérons
et nous apportons de la plus-value.
Mais
en quoi est-ce un portail plus qu'un site?
Déjà, Toutsurlacom, c'est une nouvelle marque. Et
puis elle fédère tout de même déjà
23 partenaires, bientôt 25 (PQR 66, Ecran Total, Le Monde
Interactif, l'UDA, le Geste, Cadremploi, Syntec, AdOnsale, etc).
Avez-vous
peur du phagocytage du papier par le Web?
Evidemment j'en ai peur. C'est un énorme problème,
une très grosse angoisse. Mais j'ai pris la décision
il y a six mois, essentiellement lorsque j'ai lu les études
sur le "Wall Street Journal". Là, j'ai vu qu'ils
avaient -je vous parle de mémoire- quelque chose comme
30% de lecteurs supplémentaires depuis l'ouverture du site.
Le site a suscité l'envie de lire le papier. Et on a vu
aussi que c'est là où on gagnerait du fric.
Quel
est le modèle de Toutsurlacom?
La pub et le surplus apporté par les abonnements à
la newsletter. Peu de choses mais à 2.500 abonnés
aujourd'hui à 200 francs par an, cela fait déjà
500.000 francs. Et nous attendons 2 millions de recettes publicitaires
cette année. C'est-à-dire que nous aurons atteint
l'équilibre d'exploitation en fin d'année. Pas le
payback, puisque nous avons investi 2 millions dans le portail,
mais l'équilibre.
Et
en termes d'objectifs?
Un million de pages vues par an fin 2000.
Par
an ou par mois?
Non, par an. Il ne faut pas déconner, nous avons une cible
uniquement professionnelle. Et le site est en français
uniquement. 1 million, c'est un objectif. Peut-être le dépasserons-nous.
Et avec l'internationalisation comme deuxième étape,
nous le dépasserons.
Parmi
vos autres activités, il y a les Clics d'Or, qu'en dire?
Pas grand chose de spécial. Ca n'existait pas, les gens
du multimédia ont besoin d'exister, un nouveau métier
est en train de naître, cela contribue à leur donner
une reconnaissance.
Jouons
à l'interview type "CB News". Le rachat de Cythère
par Québécor?
C'est le mariage avec Gutenberg. C'est comme Time Warner/AOL.
Aujourd'hui, personne ne peut se permettre d'être monomédia.
Nous par exemple, on est tout de suite allés vers la télé,
la radio et Internet aujourd'hui, en plus du papier. Un média
doit en permanence réagir et s'adapter, il y a un jeu entre
le papier et la toile, la toile et le papier. Ils vivent de l'imprimé,
il faut être sur le Net, point. Mais c'est pas ça
la vraie révolution.
C'est
quoi alors?
C'est cette espèce de télécommande géante
aux Etats-Unis, ce disque dur géant qui permet d'enregistrer
60 programmes en simultané et de maîtriser le direct.
Vous allez pisser, vous passez un coup de fil, vous revenez et
vous récupérez le direct. Ca, ça fout la
trouille à tout le monde, ça permet de se libérer
de la dictature de la pub. D'ailleurs les grands groupes ont tellement
la trouille qu'ils rachètent les boîtes qui font
ça. Cela rejoint ce qu'on disait sur les médias
qui doivent sans cesse s'adapter. Ils retomberont sur leurs pieds,
finalement.
La
stratégie Internet de M6, une chaîne que vous connaissez
bien?
Bah, ils sont en retard, c'est clair. Il faut dire les choses,
leur site est assez nul. Mais il suffit que le patron dise "on
va investir" pour que l'action grimpe. Ca leur suffit.
Mais
ils sont vraiment en train d'investir...
Oui, ils sont en train. Mais ce qui me frappe, c'est surtout le
retard par rapport à leur image. Ils ont toujours été
assez avant-gardistes, et là, sur ce coup là, ils
sont en retard.
Oui
mais en retard par rapport à quoi?
Tout le problème sur le Net, c'est de choisir le bon moment
et la bonne fenêtre de tir. Je viens de faire un édito
là-dessus. Si vous partez trop en avance, vous vous prenez
une gamelle. Trop en retard, c'est irratrappable. C'est difficile,
c'est comme la Bourse. On est tous tenté, mais combien
de temps ça va durer? L'essentiel dans tout ça,
c'est d'avoir du pif.
Club-Internet
/ Deutsche Telekom?
Pfff. Je m'en fous en fait. C'est pareil, l'univers des grands
groupes qui se constituent. Là, c'est pas du câble
qui achète du contenu, mais du câble qui rachète
du câble pour faire du contenu.
Passons
à la création publicitaire en ligne. Qu'en pensez-vous?
C'est à chier. Il y a des progrès à faire
déjà pour qu'elle ne soit pas polluante. Là,
elle agresse, elle est nulle, pas originale, faite de grosses
ficelles. Je pense que ça viendra lorsque l'on maîtrisera
la vidéo. Avec un bon ordinateur et en MPEG 3, on voit
des choses bien.
Cela
fait treize ans que vous présentez "Culture pub".
Ne me dites pas que sur le Web vous n'avez rien vu de comparable
à ce que vous présentez...
Non, rien, rien de bon.
Mais
comment expliquez-vous alors que les publicitaires brillants par
ailleurs ne sortent rien de bon sur le Net, selon vos dires?
Parce que les Eric Tong Cuong (Euro Rscg Betc, Ndlr), les
Christophe Lambert (Bddp@Twa, Ndlr) n'ont pas la culture
de créatifs. Ils n'ont jamais pondu une campagne. Ce sont
des hommes brillants, intelligents, des stratèges hors
pair, de super vendeurs, tout ce qu'on veut, mais pas des créatifs.
Et les créatifs d'un autre côté n'ont pas
été formés à ça. Ils ont été
éduqués pour les doubles pages en magazine, les
affiches 4x3, etc. La publicité en ligne demande une éducation
spécifique, et cette génération n'est pas
encore arrivée.
Mais
il y a aussi une nécessaire évolution du côté
des annonceurs, non ?
Oui, il faut dire que les annonceurs sont très conservateurs.
Maintenant ils sont près à mettre beaucoup d'argent
dans une campagne de pub classique, mais lorsque vous leur présentez
la facture d'une homepage, ils crient au scandale ! Et puis il
faut dire aussi que la pub, ce sont des salaires élevés,
et que pour les amortir, il faut faire beaucoup de chiffre. C'est
pour ça aussi que les agences y vont doucement.
Quels
sont vos sites favoris?
Bof, il n'y a rien de renversant. Si, peut-être AdCritic,
parce qu'ils présentent de nouveaux spots avec une très
bonne définition. C'est impressionnant. Remarquez avant
comme ordinateur j'avais une usine à gaz, maintenant j'ai
un G4, alors ça change. Sinon, je vais sur Bloomberg TV
un peu. Et puis sur des sites liés à Elvis. Ca n'a
pas grand intérêt, mais c'est mon idole absolue.
Vous
achetez sur le Web?
Non, pas pour l'instant.
Même
pas des CD d'Elvis?
Non, parce que je suis au courant du moindre CD d'Elvis qui sort
en France, même ceux des fans clubs qui sont autorisés
à en faire. J'ai de bonnes relations avec la maison de
disques.
Qu'est-ce
qui vous agace sur le Net?
La lenteur et la complexité de l'outil. Et puis cette culture
américaine du "bargain", de la réclame
et des dollars, "gagnez ceci", "gagnez cela"...
...Mais
c'est votre métier non?
Oui, mais ça n'empêche pas d'être créatif,
de créer une connivence, ce qui n'est pas le cas sur le
Net. On ne sent pas de respect. J'ai soit l'impression d'être
pris pour un connard du MiddleWest, soit c'est chiant. Ces sites
me sont insupportables.
Et
que pensez-vous de la "dot com fever" actuelle?
C'est de la folie. Ca va retomber. Ca me rappelle les radios libres
après 1981. Tout le monde a eu sa radio, il y en avait
des milliers. Dix ans après ça s'est pacifié,
il y a eu les grands networks et un seul indépendant, NRJ.
Et
la Bourse?
C'est totalement irrationnel. Au début, je croyais que
les investisseurs étaient des gens très rationnels.
Mais pas du tout, ils le sont moins que les artistes ou les saltimbanques.
Ils sont influençables, immatures, tout ce que vous voulez.
C'est du panurgisme.
Vous
jouez en Bourse?
Non, mon argent je le mets dans ma boîte. Et peut-être
que je mettrais ma boîte en Bourse. Mais je ne m'intéresse
pas à la Bourse. Je m'intéresse au foot, et là
je suis déprimé parce que Paris a pris 4-1 face
à Marseille.
Et
le site du PSG?
Non. Mais ce qui m'emmerde, c'est que "L'Equipe" n'ait
pas de site. Ca rame, ca traine, je ne sais pas ce qu'ils font.
Et puis connaissant le père Amaury, avec les oursins qu'il
a dans les poches, vu qu'il vient de mettre 270 patates dans le
Futuroscope, ça risque de trainer encore. De toutes façons,
rien ne remplace la relation charnelle et tactile, "L'Equipe"
lue sur le zinc avec un petit noir. C'est pareil pour les livres.
Enfin,
si vous n'aviez pas été là où vous
êtes, qu'auriez-vous souhaité faire?
J'avais trois rêves. Etre journaliste, jouer au foot et
faire de la musique. Et je crois que c'est bon, n'en déplaise
aux psys qui disent qu'il ne faut pas réaliser ses fantasmes.
Journaliste, je crois que je le suis. Je joue au foot, notamment
dans l'équipe France Pub, et je joue dans un groupe de
rock avec lequel nous répétons une fois par semaine
environ. Sinon, j'aurais aimé aborder la pédagogie,
éduquer la France à la musique. La pédagogie,
c'est avant tout de la communication.
Christian
Blachas, 53 ans, est diplômé de l'EFAP (Ecole française
des attachés de presse). Débutant sa carrière
comme journaliste à l'ACP (Agence Centrale parisienne de
Presse), il est ensuite en charge de la rubrique publicité
à L'Echo de la presse et de la publicité (1970/71).
Il fonde alors l'hebdomadaire 'Stratégies' (1971), puis
devient directeur du Groupe Stratégies. De 1984 à
1986, il dirige la rédaction du mensuel "Création
Magazine", qu'il a fondé. Depuis avril 1986, il est
PDG de CB News SA et directeur de la publication de l'hebdomadaire
"CB News" qu'il a créé. Il est également
associé de la SNC Aguesseau Interactive (qui édite
www.toutsurlacom.com) et administrateur du groupe Aguesseau Communication
SA. Producteur et co-présentateur de l'émission
hebdomadaire "Culture Pub" sur M6, il joue aussi dans
le groupe de rock "Culture Rock Club" et est l'auteur
de "Le mystère Elvis" (1997, Michel Laffont).