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Patrick Bloche
Député
de Paris
Parti
Socialiste |
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Patrick
Bloche
"La loi française DADVSI menace la vie privée des internautes"
Chef de file de l'opposition au projet de loi sur le droit d'auteur dans la société de l'information, le député PS de Paris Patrick Bloche revient sur les points du texte qu'il juge "liberticides".
(28/03/2006) |
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Par 296 voix contre 193, l'Assemblée
nationale a voté officiellement dans la nuit du 21 au
22 mars dernier le projet de loi DADVSI (Droit d'Auteur
et Droits Voisins dans la Société de l'Information), soutenu
uniquement par des députés UMP. Chef de file de l'opposition
PS à ce texte de loi, le député de
Paris Patrick Bloche explique en quoi ce texte est "inapplicable"
et "liberticide".
JDN.
Quel est votre sentiment général sur la loi et sur les
débats à l'Assemblée nationale qui ont précédé le vote ?
Patrick Bloche. Ce texte est un vrai gâchis
législatif. La transposition dans le droit français de
la directive européenne était une occasion historique
et unique d'adapter le droit d'auteur aux nouvelles technologies
de l'information et de la communication. Ce vote aurait
dû être l'occasion d'un grand débat parlementaire. Mais
pendant les deux semaines qui ont précédé le vote, et
même avant, lors du premier examen en décembre et les deux
mois et demi d'interruption qui l'ont suivi, le gouvernement
a fait preuve d'une improvisation continue.
J'en ai d'ailleurs été fort surpris, car le ministre de
la Culture était réputé pour son professionnalisme et
son bon sens politique. Or sur ce projet de loi, Renaud
Donnedieu de Vabres, et d'ailleurs le gouvernement dans
son ensemble, ont fait preuve d'un grand amateurisme. Et
ceci dès avant que nous entrions dans l'hémicycle, si l'on
considère le retard pris par la France pour transposer
ce texte de loi.
Vous
estimez donc que le débat sur le fond n'a pas eu lieu ?
Je ne dirais pas cela. Je pense, au contraire
que les députés ont su créer un véritable débat public.
Historiquement, le droit d'auteur a toujours été un thème
très passionnel, mais laissé aux mains des professionnels.
Les députés, de gauche et de droite, ont eu le mérite
cette fois-ci de porter le débat sur la place publique
et d'intéresser le plus grand nombre à ce texte de loi.
Il y a donc bien eu un vrai débat de fond, même si à l'arrivée,
le texte adopté est très décevant et s'inscrit dans une
logique du "tout répressif". C'est pourquoi les députés
socialistes se sont exprimés d'une voie unanime pour traduire
leur opposition à un texte qui a choisi de traduire une
directive européenne de la manière la plus restrictive
qui soit.
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Une
logique du tout répressif." |
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La France est-elle donc un
cas à part ? Les autres Etats membres n'ont-ils
pas tenu de tels débats ?
Dans tous les autres pays, la transposition de
la loi a eu lieu beaucoup plus tôt, en 2001 ou 2002. Internet
n'était à l'époque pas encore devenu une pratique culturelle.
La directive permet à chaque Etat membre d'ouvrir jusqu'à
20 exceptions pour copie privée. Or la France a choisi
de traduire la directive européenne de la manière la plus
restrictive qui soit, en n'ouvrant que quelques exceptions,
pour les handicapés, l'enseignement et les organismes
de dépôt légal. Le texte français s'inscrit dans une logique
très répressive. A ma connaissance, aucun autre pays n'a
adopté des amendements remettant en cause le droit à la
copie privée et même le développement du peer-to-peer.
L'inscription dans la loi de
l'obligation d'interopérabilité est tout
de même un point de satisfaction pour vous ?
Oui, c'est le seul point satisfaisant : nous
avons obtenu de vraies garanties sur l'interopérabilité.
Des amendements déposés par le groupe PS prévoient de
renforcer l'interopérabilité en permettant la lecture
et la copie sur tous types de supports des fichiers téléchargés
légalement.
Quelle a été,
au final, la position des députés PS sur
la licence globale ?
La licence globale faisait débat au sein du groupe
socialiste. De toute façon, l'amendement voté en décembre
a été rejeté dès la reprise des débats en mars. En revanche,
les députés socialistes soutenaient unanimement un amendement
de taxe sur les fournisseurs d'accès Internet. L'objectif
était de mettre à contribution les FAI pour rémunérer
les artistes, parce que nous estimons que le Web a beaucoup
profité de la richesse des contenus pour se développer
et qu'il est temps qu'il contribue au financement de ces
contenus.
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L'amendement
Vivendi tue l'innovation." |
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Quels autres éléments
du texte vous semblent inacceptables ?
L'équilibre entre le contrôle des usages des uvres
et le droit à la copie privée, consacré par la loi Lang
de 1985, n'est pas maintenu. De nombreuses dispositions
de ce texte remettent en cause le droit à la copie privée,
ce qui pour nous est essentiel, car ce droit garantit un
accès au plus grand nombre à la culture. Ce texte fait
peser de sérieuses menaces sur nos libertés publiques
et sur la protection de notre vie privée. Il comprend
de nombreux aspects anticonstitutionnels. Par ailleurs,
nous sommes furieux de l'amendement "Vivendi" qui tue
l'innovation et le développement des logiciels de peer-to-peer,
qui ne servent pas seulement à télécharger des uvres
numériques. C'est condamner une technologie et non pas
les usages répréhensifs qui en sont fait.
Quels points jugez-vous "anticonstitutionnels" ?
Le premier point est la confusion des genres sur
le collège des médiateurs qui, au départ, devait uniquement
arbitrer les litiges sur les mesures techniques de protection
et se voit désormais attribuer le pouvoir de fixer le
nombre de copies privées que le consommateur pourra réaliser
dans le cadre du cercle familial. Or nous estimons que
ce point relève de la loi et non de la décision d'une
autorité administrative censée être indépendante mais
qui, dans ce cas, est à la fois juge et partie.
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Le
système des amendes banalise la gratuité." |
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Par ailleurs, nous sommes sceptiques sur le système
contraventionnel de la riposte graduée. Le dispositif
doit en effet être mis en place par voie réglementaire
et non, comme nous l'avions souhaité, par voie législative.
Le Parlement est dessaisi. Nous souhaitions qu'une base
légale soit donnée à ce dispositif, concernant notamment
le droit de l'internaute de contester sa contravention.
Ce système des amendes à 38 euros est paradoxal :
d'une part il maintient l'internaute dans une insécurité
permanente, mais d'un autre côté, il refuse à la culture
une rémunération complémentaire. C'est la légalisation
et la banalisation de la gratuité des contenus sur Internet.
L'opposition a-t-elle
encore des moyens pour amender ou modifier ce texte ?
Le texte de loi doit maintenant être voté au Sénat.
Les socialistes ont demandé la levée de la procédure d'urgence,
car nous estimons que ce texte doit faire l'objet d'une
seconde lecture à l'Assemblée nationale. Si nous n'obtenons
pas gain de cause, nous exercerons notre droit de recours
devant le Conseil constitutionnel.
Vous avez été responsable national
aux nouvelles technologies de l'information et au multimédia
au sein du groupe socialiste et co-président du groupe
d'études sur Internet, les technologies de l'information
et de la communication et le commerce électronique à l'Assemblée
nationale. A votre avis, Internet doit-il être plus,
ou mieux, régulé et encadré
par la loi ?
Cela fait effectivement une dizaine d'années que
je m'occupe des questions liées à Internet. Internet est
tout sauf un espace de non droit. Le Web est déjà très
largement régulé, avec la possibilité notamment en France
d'interdire des sites à caractère illicite (contenus racistes,
pédophiles, etc.), et qui sera de mieux en mieux régulé.
Tout l'enjeu étant de maintenir un équilibre entre les
lobbies, notamment les géants du logiciel que sont Microsoft
et Apple, et les droits et libertés publiques des internautes.
Mais si sa dimension juridique est aujourd'hui
clairement établie, reste à en déterminer le modèle économique.
Internet est un espace qui crée des modes de rémunération
nouveaux. Internet est de moins en moins un espace de
gratuité. |
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Propos recueillis par Emilie LEVEQUE, JDN |
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PARCOURS
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Patrick Bloche, 49 ans, député socialiste
de Paris
Vie professionnelle : assistant parlementaire
(1981-1986), chef de projet à l'agence d'ingénierie
culturelle ABCD (1986-1987), secrétaire général
du Café de la Danse (1987-1988), assistant du président
de la Commission de la Production et des Échanges
de l'Assemblée nationale (1988-1993), directeur
du développement d'une mutuelle-caisse de retraite
(1993-1997). membre de la section des relations
extérieures du Conseil économique et social (1992-1994).
Mandats électifs : Conseiller du 11ème
arrondissement (depuis 1989), conseiller de Paris
(depuis 1995), député de Paris (depuis 1997), 1er
adjoint au Maire du 11ème arrondissement (1995-2001),
conseiller délégué aux Finances et à l'Etat spécial
du 11ème arrondissement (depuis le 4 avril 2001).
A l'Hôtel de Ville de Paris :
président du groupe socialiste et radical de gauche
à (depuis le 22 mars 2001).
Au Parti Socialiste : responsable national
aux nouvelles technologies de l'information et au
multimédia (2000-2003), membre du bureau national
du PS (depuis 2003).
A l'Assemblée Nationale : membre
de la Commission des Affaires Culturelles, Familiales
et Sociales, président du groupe d'amitié France-Croatie
(depuis 2002), co-président du groupe d'études sur
Internet, les technologies de l'information et de
la communication et le commerce électronique (depuis
1997), rapporteur du budget des relations culturelles
internationales et de la francophonie (1997-2002
et depuis 2004), président de la mission d'information
sur la Famille et les droits des enfants (2005-2006).
Et aussi Patrick Bloche a une maîtrise de
droit public et un D.E.A. en droit social.
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