INTERVIEW
 
Vice président
TBWA
Nicolas Bordas
"Internet est devenu un média incontournable"
Loin du taux de clic ou du capping, Nicolas Bordas, vice-président exécutif du groupe de communication TBWA\France, aborde en profondeur la place d'Internet dans le marché publicitaire. Créativité, interactivité et complémentarité avec les autres médias devraient faire de ce média un outil central dans les plans de communication plurimédia des annonceurs. Nicolas Bordas explique pourquoi Internet a ce rôle central à jouer... et pourquoi ce n'est pas le cas aujourd'hui. 16 décembre 2003
 
          
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JDN. Comment analysez-vous la création publicitaire sur Internet ?
Nicolas Bordas. Actuellement, nous nous situons dans un moment paradoxal où les promesses de l'Internet se concrétisent mais où en parler et le souligner est tabou, car le marché demeure marqué par l'explosion de la bulle Internet. Pourtant, notre responsabilité est de faire en sorte que nos clients ne ratent pas le vrai décollage du Web qui a lieu actuellement et sera encore plus visible en 2004. Nous avons donc encore un devoir d'évangélisation à effectuer, tout en prenant garde de ne pas retomber dans les défauts d'avant.

Quels arguments donnez-vous aux annonceurs pour les convaincre de reconsidérer Internet plus sérieusement ?
Il y a trois points à prendre en compte. D'une part, comment peut-on imaginer faire aujourd'hui un plan de communication globale (au sens mondial ou multi-canal) sans toucher des coeurs de cibles comme les leaders d'opinion, les CSP+ ou les jeunes par le biais d'Internet ? Donc les annonceurs qui utilisent Internet comme une cerise sur le gâteau de leur plan se trompent. Internet doit être au contraire placé au centre du dispositif, en complément de tous les autres médias. Chacun a son rôle à jouer.

D'autre part, il faut jouer Internet pour ce qu'il vaut, pour là où il est supérieur aux autres médias. Donc, dans une certaine mesure, il ne faut pas se contenter de reproduire sur le Web ce qu'on voit sur d'autres médias (spots TV repris en ligne, bannières calquant la presse écrite, etc.). Il faut au contraire profiter de la relation particulière que noue l'internaute avec l'interface qu'il a en face de lui. C'est une interface active et réactive que nous appelons "créactive". Du fait de l'implication de l'internaute et de la possibilité de l'associer à la publicité via l'interactivité, le Web peut laisser une trace mentale potentiellement beaucoup plus forte que dans le cas d'un spot TV où le téléspectateur est passif. C'est là-dessus que TBWA met l'accent, sur la créactivité. Nous pensons que le futur est là.

Enfin, il est important de songer à l'avenir : d'ici peu, on ne fera plus la différence entre la télévision et l'ordinateur (et, à plus long terme, avec son téléphone). On voit déjà apparaître des produits hybrides qui franchissent les barrières. Qui plus est, la fluidité du numérique devient possible avec le haut débit, qui devient la règle en matière de connexion à Internet. Cette évolution va nous obliger à modifier la dimension publicitaire, qui était jusque là une politesse de forme ("la pub doit plaire pour s'excuser d'exister et de déranger le public") et doit passer à la dimension entertainment de la publicité afin que le public ne cherche plus à zapper la publicité (ce qui sera extrêmement facile à faire avec le numérique) mais, au contraire, soit demandeur.

Qu'est-ce qu'Internet propose de plus par rapport aux autres médias pour la publicité ?
L'erreur est justement de penser qu'un média peut être supérieur à un autre. En réalité, l'idée est au départ de tout. Même Internet n'a pas changé la règle fondamentale de la bonne et de la mauvaise idée en matière de publicité. Si une idée est nulle, elle le restera même si elle est très bien présentée dans un format innovant sur Internet. Ce qu'il faut surtour retenir du Web, c'est la dimension interactive qui est très intéressante pour la pub. Internet permet de créer, et a un rôle pivot, sur de nouvelles formes de discours.

De quelle manière ?
Chez TBWA, cela s'inscrit dans notre démarche "connections", qui veut que l'on développe une campagne à partir d'un idée centrale, reprise de façon différente selon les supports. Un très bon exemple est la campagne de relance au Canada de la barre chocolatée Caramilk de Cadbury Schweppes, en perte de vitesse jusqu'à l'année dernière. Cette barre chocolaté, qui existe depuis très longtemps, a pour spécificité de conserver en son centre du caramel mou alors que l'enveloppe de chocolat est dure. Cadbury Schweppes et notre agence TBWA\New-York se sont appuyés sur ce signe distinctif pour lancer une campagne multi-canal sur le secret de fabrication de Caramilk.

Quel était le dispositif ?
Dans une première phase, on a imaginé qu'une association de consommateurs avait décidé de connaître le secret de Caramilk et avait créé un site (revealthesecret.com) pour faire pression et connaître la recette de la barre chocolatée. Le site a vraiement été créé et c'est devenu un phénomène sur Internet. Des centaines de milliers de gens ont souscrit à la pétition en ligne et, pendant ce temps là, Caramilk en a fait une campagne tous azimuts pendant un mois et demi : sur Internet, vis-à-vis des journalistes, en promotion et en affichage sauvage avec des pancartes "a secret is a secret". Cela a créé un vrai buzz autour de la marque jusqu'au dernier week-end de la campagne où la télévision est venue jouer un rôle de ponctuation pure. Trois spots humoristiques ont été diffusés. C'était prétendument l'association "Reveal the secret" qui allait révéler enfin le secret mais, avec trois fins différentes, l'homme en était toujours empêché d'une manière ou d'une autre. L'impact de cette campagne a été immédiat et les ventes de Caramilk sont immédiatement remontées. Dans cette opération, Internet a joué un rôle central et la télévision un rôle complémentaire. Ce qu'il faut, c'est donner à chaque média son rôle selon ses caractéristiques.

En quoi Internet peut-il jouer un rôle central ?
Tout d'abord, c'est un média ultra économique. Le rapport qualité/prix est halluciant, ce qui explique d'ailleurs que le Web reste encore très marginal dans les bugets globaux. Cela ne signifie pas forcément que le web n'est pas utilisé. Et puis, le média permet de repenser l'espace publicitaire puisqu'il autorise la présence en parallèle de la publicité classique, d'un mini-site et d'un site plus institutionnel et plus complet. On peut aussi se servir du Net comme d'un support informationnel. Les publicités offline peuvent renvoyer vers le site qui regorge d'informations.

L'absence de limites pour les créatifs sur Internet (notamment en matière de formats) est-il un atout ?
L'erreur est de penser qu'un format est créatif et qu'il est innovant parce qu'il est nouveau. Cela ne dure qu'un temps. Il faut avant tout que l'idée derrière serve le format. un format en soi n'est pas créatif. De même que la technique n'est pas créative. Et puis c'est très compliqué de créer sans limite. Au moins, quand on doit créer un spot TV ou un encart presse, on sait ce qu'on a le droit de faire et de ne pas faire. Il y a des règles. Avec Internet, pour l'instant, on peut faire à peu près ce qu'on veut mais on s'aperçoit que fixer des frontières favorise finalement l'imagination des créatifs.

Si Internet a un rôle si central à jouer, comment expliquez-vous que ce ne soit pas le cas dans les faits ?
Il y a aujourd'hui un décalage entre la réalité de l'usage et les investissements. Selon moi, cela devrait s'améliorer sur 2004 quand il va y avoir une prise de conscience très forte de ce qu'est devenu Internet, c'est-à-dire un média incontournable. Il faut juste attendre que les directeurs marketing voient entrer Internet et le haut-débit dans leur vie et qu'ils prennent conscience de ce que c'est, simplement en regardant leurs enfants télécharger de la musique, jouer en ligne ou même téléphoner quasiment gratuitement via l'ADSL. On attend le déclic.

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La reprise est donc pour 2004 ?
Je pense que le retour de bâton est fini. 2003 a été une année où les annonceurs ont gelé les budgets plutôt que d'essayer de bouger. Pour 2004, je suis optimiste mais... chat échaudé craint l'eau froide. Nous gardons en mémoire les durs moments que nous avons vécu depuis 2000 et les perspectives de croissances exponentielles qui ne sont jamais devenues réalités. La prudence est donc de mise. Reste que l'on sent des frémissements, les annonceurs voit aussi de nouvelles marques qui s'apprêtent à arriver sur le Web. Il faut donc s'attendre à une très légère croissance pour l'année prochaine.

 
Propos recueillis par Florence Santrot

PARCOURS
 
Diplômé de l 'ESSEC, Nicolas Bordas débute sa carrière chez Dupuy Saatchi en 1982 en tant que chef de pub et en devient Directeur Associé. De 1988 à 1994, il occupe chez CLM/BBDO le poste de Directeur Associé en charge du Commercial et du Développement. Directeur Général de BDDP jusqu 'en 1998, il est aujourd'hui Vice Président et Directeur Général de BDDP & Fils et vice-président du groupe TBWA\France.

   
 
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