JDN.
Comment analysez-vous la création publicitaire
sur Internet ?
Nicolas Bordas.
Actuellement, nous nous situons dans un moment paradoxal
où les promesses de l'Internet se concrétisent
mais où en parler et le souligner est tabou,
car le marché demeure marqué par l'explosion
de la bulle Internet. Pourtant, notre responsabilité
est de faire en sorte que nos clients ne ratent pas
le vrai décollage du Web qui a lieu actuellement
et sera encore plus visible en 2004. Nous avons donc
encore un devoir d'évangélisation à
effectuer, tout en prenant garde de ne pas retomber
dans les défauts d'avant.
Quels
arguments donnez-vous aux annonceurs pour les convaincre
de reconsidérer Internet plus sérieusement ?
Il y a trois points à prendre
en compte. D'une part, comment peut-on imaginer faire
aujourd'hui un plan de communication globale (au sens
mondial ou multi-canal) sans toucher des coeurs de cibles
comme les leaders d'opinion, les CSP+ ou les jeunes
par le biais d'Internet ? Donc les annonceurs qui
utilisent Internet comme une cerise sur le gâteau
de leur plan se trompent. Internet doit être au
contraire placé au centre du dispositif, en complément
de tous les autres médias. Chacun a son rôle
à jouer.
D'autre part, il faut jouer
Internet pour ce qu'il vaut, pour là où
il est supérieur aux autres médias. Donc,
dans une certaine mesure, il ne faut pas se contenter
de reproduire sur le Web ce qu'on voit sur d'autres
médias (spots TV repris en ligne, bannières
calquant la presse écrite, etc.). Il faut au
contraire profiter de la relation particulière
que noue l'internaute avec l'interface qu'il a en face
de lui. C'est une interface active et réactive
que nous appelons "créactive". Du fait
de l'implication de l'internaute et de la possibilité
de l'associer à la publicité via l'interactivité,
le Web peut laisser une trace mentale potentiellement
beaucoup plus forte que dans le cas d'un spot TV où
le téléspectateur est passif. C'est là-dessus
que TBWA met l'accent, sur la créactivité.
Nous pensons que le futur est là.
Enfin, il est important de
songer à l'avenir : d'ici peu, on ne fera plus
la différence entre la télévision
et l'ordinateur (et, à plus long terme, avec
son téléphone). On voit déjà
apparaître des produits hybrides qui franchissent
les barrières. Qui plus est, la fluidité
du numérique devient possible avec le haut débit,
qui devient la règle en matière de connexion
à Internet. Cette évolution va nous obliger
à modifier la dimension publicitaire, qui était
jusque là une politesse de forme ("la pub
doit plaire pour s'excuser d'exister et de déranger
le public") et doit passer à la dimension
entertainment de la publicité afin que
le public ne cherche plus à zapper la publicité
(ce qui sera extrêmement facile à faire
avec le numérique) mais, au contraire, soit demandeur.
Qu'est-ce
qu'Internet propose de plus par rapport aux autres médias
pour la publicité ?
L'erreur est justement de penser qu'un
média peut être supérieur à
un autre. En réalité, l'idée est
au départ de tout. Même Internet n'a pas
changé la règle fondamentale de la bonne
et de la mauvaise idée en matière de publicité.
Si une idée est nulle, elle le restera même
si elle est très bien présentée
dans un format innovant sur Internet. Ce qu'il faut
surtour retenir du Web, c'est la dimension interactive
qui est très intéressante pour la pub.
Internet permet de créer, et a un rôle
pivot, sur de nouvelles formes de discours.
De
quelle manière ?
Chez TBWA, cela s'inscrit dans notre
démarche "connections", qui veut que
l'on développe une campagne à partir d'un
idée centrale, reprise de façon différente
selon les supports. Un très bon exemple est la
campagne de relance au Canada de la barre chocolatée
Caramilk de Cadbury Schweppes, en perte de vitesse jusqu'à
l'année dernière. Cette barre chocolaté,
qui existe depuis très longtemps, a pour spécificité
de conserver en son centre du caramel mou alors que
l'enveloppe de chocolat est dure. Cadbury Schweppes
et notre agence TBWA\New-York se sont appuyés
sur ce signe distinctif pour lancer une campagne multi-canal
sur le secret de fabrication de Caramilk.
Quel
était le dispositif ?
Dans une première phase, on a
imaginé qu'une association de consommateurs avait
décidé de connaître le secret de
Caramilk et avait créé un site (revealthesecret.com)
pour faire pression et connaître la recette de
la barre chocolatée. Le site a vraiement été
créé et c'est devenu un phénomène
sur Internet. Des centaines de milliers de gens ont
souscrit à la pétition en ligne et, pendant
ce temps là, Caramilk en a fait une campagne
tous azimuts pendant un mois et demi : sur Internet,
vis-à-vis des journalistes, en promotion et en
affichage sauvage avec des pancartes "a secret
is a secret". Cela a créé un vrai
buzz autour de la marque jusqu'au dernier week-end de
la campagne où la télévision est
venue jouer un rôle de ponctuation pure. Trois
spots humoristiques ont été diffusés.
C'était prétendument l'association "Reveal
the secret" qui allait révéler enfin
le secret mais, avec trois fins différentes,
l'homme en était toujours empêché
d'une manière ou d'une autre. L'impact de cette
campagne a été immédiat et les
ventes de Caramilk sont immédiatement remontées.
Dans cette opération, Internet a joué
un rôle central et la télévision
un rôle complémentaire. Ce qu'il faut,
c'est donner à chaque média son rôle
selon ses caractéristiques.
En
quoi Internet peut-il jouer un rôle central ?
Tout
d'abord, c'est un média ultra économique.
Le rapport qualité/prix est halluciant, ce qui
explique d'ailleurs que le Web reste encore très
marginal dans les bugets globaux. Cela ne signifie pas
forcément que le web n'est pas utilisé.
Et puis, le média permet de repenser l'espace
publicitaire puisqu'il autorise la présence en
parallèle de la publicité classique, d'un
mini-site et d'un site plus institutionnel et plus complet.
On peut aussi se servir du Net comme d'un support informationnel.
Les publicités offline peuvent renvoyer vers
le site qui regorge d'informations.
L'absence
de limites pour les créatifs sur Internet (notamment
en matière de formats) est-il un atout ?
L'erreur
est de penser qu'un format est créatif et qu'il
est innovant parce qu'il est nouveau. Cela ne dure qu'un
temps. Il faut avant tout que l'idée derrière
serve le format. un format en soi n'est pas créatif.
De même que la technique n'est pas créative.
Et puis c'est très compliqué de créer
sans limite. Au moins, quand on doit créer un
spot TV ou un encart presse, on sait ce qu'on a le droit
de faire et de ne pas faire. Il y a des règles.
Avec Internet, pour l'instant, on peut faire à
peu près ce qu'on veut mais on s'aperçoit
que fixer des frontières favorise finalement
l'imagination des créatifs.
Si
Internet a un rôle si central à jouer,
comment expliquez-vous que ce ne soit pas le cas dans
les faits ?
Il y a aujourd'hui un décalage
entre la réalité de l'usage et les investissements.
Selon moi, cela devrait s'améliorer sur 2004
quand il va y avoir une prise de conscience très
forte de ce qu'est devenu Internet, c'est-à-dire
un média incontournable. Il faut juste attendre
que les directeurs marketing voient entrer Internet
et le haut-débit dans leur vie et qu'ils prennent
conscience de ce que c'est, simplement en regardant
leurs enfants télécharger de la musique,
jouer en ligne ou même téléphoner
quasiment gratuitement via l'ADSL. On attend le déclic.
La
reprise est donc pour 2004 ?
Je pense que le retour de bâton
est fini. 2003 a été une année
où les annonceurs ont gelé les budgets
plutôt que d'essayer de bouger. Pour 2004, je
suis optimiste mais... chat échaudé craint
l'eau froide. Nous gardons en mémoire les durs
moments que nous avons vécu depuis 2000 et les
perspectives de croissances exponentielles qui ne sont
jamais devenues réalités. La prudence
est donc de mise. Reste que l'on sent des frémissements,
les annonceurs voit aussi de nouvelles marques qui s'apprêtent
à arriver sur le Web. Il faut donc s'attendre
à une très légère croissance
pour l'année prochaine.
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