INTERVIEW
 
Président et co-fondateur
Google
Sergey Brin
"Titre"
Les vendredis après-midi se déroulent souvent dans une ambiance bon enfant dans les start-up californiennes. Mais chez Google, on prend l'expression au pied de la lettre : c'est dans un château gonflable ou il rebondissait quelques minutes auparavant que Sergey Brin explique les raisons du succès de Google et de son choix par Yahoo a la place d'Inktomi le 26 juin dernier. 14 juillet 2000
 
          

JDNet. Pouvez vous présenter Google en quelques mots ?
Sergey Brin. Google, c'est tout d'abord un moteur de recherche, que nous nous efforçons de rendre le meilleur possible pour les utilisateurs. Google est rapide, les pages sont peu encombrées, faciles a comprendre et a charger, et ce qui est le plus important, les résultats sont extrêmement pertinents. Tout est fait pour améliorer l'efficacité. Mais Google c'est aussi une entreprise, un lieu de travail amusant et excitant. Nos employées apprécient notre culture et notre environnement de travail, et ils travaillent sur quelque chose qui touche de nombreuses personnes dans le monde : 40 millions de recherches sont effectuées chaque jour sur Google. Les recherches sont importantes pour les gens, que ce soit pour trouver un nouveau travail ou des horaires de spectacles. Google crée une différence pour beaucoup de gens.

Comment avez vous convaincu Yahoo de travailler avec Google a la place d'Inktomi ?

Nous avons une relation de longue date avec Yahoo. En fait, Larry Page (l'autre co-fondateur de Google ndlr) et moi-même avons rencontre David Filo et Jerry Yang, les créateurs de Yahoo avant même de lancer Google pour savoir ce qu'ils en pensaient. Google est le meilleur moteur de recherche depuis longtemps et David et Jerry sont d'ailleurs des utilisateurs de Google. Maintenant que nous avons atteint un volume très important de recherches et prouvé notre capacité a croître, Yahoo a suffisamment confiance pour afficher les résultats de Google.

Quel est l'impact de l'accord avec Yahoo en termes de revenus et de nombre de recherches ?
Je ne peux pas donner de chiffres, mais il s'agit d'une bonne affaire pour Google. Le nombre de recherches sur Google a très approximativement été multiplié par deux depuis la mise en place de notre accord avec Yahoo. Les 100 millions d'utilisateurs de Yahoo utilisent maintenant également Google. Et bien sur, cela nous apporte beaucoup en crédibilité et en prestige.

Google annonçait il y a six semaines que le moteur de recherche tournait sur 4000 PC sous Linux. Cette solution technique a-t-elle répondu à vos attentes de coûts et de possibilités d'évolution ?
Nous avons plus de 5.000 PC sous Linux maintenant. Le ratio puissance/prix est très peu élevé. Les PC sont très faciles à acheter et très bon marché. Et nos ingénieurs ont réussi a développer une solution qui fonctionne très bien.

Pas de problèmes après l'augmentation du nombre de recherches due à l'accord avec Yahoo donc ?
Aucun. Nous avons encore de la marge. Mais il n'y a rien de magique : nous nous sommes préparés pendant longtemps et nous avons fait de nombreux tests de charge. A part quelques reconfigurations réseau de dernier minute, tout s'est très bien passé. Yahoo est très content de notre service.

Comment est-ce que Google gagne de l'argent ?
De deux façons. La première, c'est l'utilisation de notre moteur par d'autres sites et portails, comme Yahoo par exemple. Nous avons 80 clients dans 20 pays qui affichent les résultats de Google. La seconde, c'est la publicité. Les publicités sont très ciblées, elles n'apparaissent que lorsque l'on saisit certains mots-clés, et sont très discrètes : une simple ligne de texte, pas d'images ou de bandeaux. Environ 15% des recherches comporte de la publicité dans les résultats Nous avons également 25.000 sites qui sont affiliés à Google et qui peuvent comporter de la publicité. Google est le seul moteur de recherche à afficher seulement quelques publicités courtes et ciblées.

Pensez vous que d'autres moteurs de recherches vont devenir comme Google, ou au contraire que Google va devenir un portail ?
Je pense que la première réponse est la bonne. Par exemple, Altavista essaie de dupliquer Google avec son moteur Raging Search. En ce qui concerne la seconde hypothèse, nous allons rester concentrés sur les recherches. Nous rechercherons d'autres sources, comme les informations qui sont désormais indexées par Google, mais nous ne deviendrons pas un portail. Nous voulons envoyer nos utilisateurs sur d'autres sites, pas les enfermer.

Que pensez vous de Raging Search ?
C'est certainement une meilleure interface que le portail d'Altavista. Mais Raging Search ne m'inquiète pas, c'est toujours le même index, et surtout, Altavista ne se concentre pas sur un seul site. C'est un signe que les dirigeants d'Altavista ne considèrent pas le bien-être de l'utilisateur comme primordial. Google recherche maintenant dans 11 langues.

Avez vous d'autres plans d'expansion internationale ?
Oui, nous allons ajouter d'autres langues dans les deux prochaines semaines : le chinois, le japonais, le coréen, et bientôt le russe, ma langue maternelle. 45% de notre trafic vient de l'extérieur des Etats-Unis. La proportion des utilisateurs étrangers était déjà très importante depuis que nous nous sommes lancés, mais elle augmente encore. Nous ne proposons pas de contenu, tout ce que nous faisons, c'est chercher. C'est donc très facile d'étendre notre service a d'autres langues et pays. Google peut convertir n'importe quelle page Web pour qu'elle soit visible depuis un téléphone WAP.

Pensez vous qu'un grand nombre de personnes chercheront et surferont sur leur téléphone ?
En ce qui me concerne, le WAP m'est très utile. Lorsqu'on n'est pas près d'un ordinateur, on n'a pas le choix. Je pense qu'il y aura de plus en plus d'utilisateurs du Wap ou de DoCoMo. Les Etats-Unis se mettent très lentement au mobile et nous allons surtout le développer à l'international. Le WAP représente actuellement environ 10.000 recherches par jour. Nous proposons aussi des recherches pour OmniSky sur Palm et d'autres services. En fait, nous sommes prêts a adapter Google à tout service ou équipement utilisé par au moins 10.000 internautes.

A quoi ressembleront les moteurs de recherche du futur ?
Je pense que la plus importante avancée sera la reconnaissance vocale. Pour un téléphone, cela fera une énorme différence. Je pense également que les informations seront beaucoup plus pertinentes. Si le moteur connaît la réponse a une question, il la donnera directement, un peu comme le bouton "I'm feeling lucky" de Google, qui permet d'aller directement sur le site en tête des résultats. Et d'autres sortes d'informations seront disponibles, comme certaines bases de données qui se prêtent difficilement aux recherches aujourd'hui. Enfin, les moteurs de recherche seront plus aptes a comprendre le contenu qu'ils indexent. Google a un groupe de recherche complètement séparé qui est dédié à la recherche de nouvelles idées pour les moteurs de recherche. Plus de la moitié de notre entreprise travaille en recherche et développement. Parmi nos 115 employées, 25 sont titulaires de Ph.D. (NDLR : thèses).

Et vous, comptez vous finir votre Ph.D. a Stanford ?
Je prévois de le finir, mais pour l'instant, je n'en ai pas le temps.

Seriez-vous prêt à confier certaines de vos responsabilités a quelqu'un de plus experimenté, comme les créateurs de Yahoo l'on fait en donnant le contrôle de l'entreprise à Tim Koogle ?
Oui, pour l'instant Larry est PDG et je suis président. Nous avons le même avis : si nous trouvons quelqu'un qui serait meilleur que nous pour diriger l'entreprise, nous l'embaucherons.

Quelles sont les raisons du succès de Google ?
Je pense que les trois raisons principales sont que nous nous concentrons sur la valeur ajoutée apportée a l'utilisateur final, que nous avons un processus d'embauche très sélectif et que nous avons un très bon environnement de travail.

Quel effet cela fait de devenir président d'une entreprise connue mondialement en si peu de temps ?
C'est très étrange. Cela ne s'est pas passé en une nuit, il n'y a pas de moment ou je me suis écrié "Oh Wow !", mais de temps en temps, je me rends compte que Google est devenu encore plus grand. J'ai de plus en plus de responsabilités. C'est une très bonne surprise d'avoir pu croître comme cela. Et maintenant, des créateurs de start-up viennent nous voir pour nous demander conseil. Dans notre métier, nous n'avons pas beaucoup d'occasions d'apprendre de nos échecs.

Quel conseil donneriez-vous a un créateur de start-up ?
Concentrez-vous sur la création de valeur ajoutée pour l'utilisateur. Créez quelque chose d'utile. On pourrait penser que je dirais "Allez-y, lancez vous !", mais aujourd'hui, je dirais de réfléchir un peu plus. L'argent ne devrait pas être la motivation. De nombreuses start-up ne créent rien d'utile. J'ai le sentiment que les gens passent cinq minutes a penser à une idée, et des années à travailler dessus. S'ils passaient un peu plus de temps a y réfléchir, ils pourraient sans doute créer quelque chose de beaucoup plus utile.

Pouvez vous décrire le Googleplex et la vie et le travail à Google ?
Les gens ici travaillent très dur, et nous faisons tout pour augmenter la qualité de leur travail. Dans certaines entreprises, cela veut dire de plus gros salaires. A Google, nous avons deux grands chefs qui préparent d'excellents repas pour nos employés, qu'ils peuvent prendre très rapidement, et deux masseuses pour relaxer nos employés Les gens sont très stressés. Nous venons de commencer les classes de yoga. Cela rend les gens heureux. Personne n'aime vivre dans une ville de bureaux paysages gris (NDLR : les bureaux de Google - surnommés le Googleplex - sont très colorés et sont décorés de balles géantes d'un mètre de diamètre dont la seule utilité est "être cool" et de permettre de shooter dedans à volonté).

Les employés sont ils stressés parce qu'ils travaillent trop ?
Il y a beaucoup de travail et de responsabilités Si vous travaillez à Google, quoi que vous fassiez, cela affecte des millions d'utilisateurs. Les conséquences d'une erreur sont immédiates. De plus, nous sommes plutôt ambitieux et nous fixons les objectifs très élevés.

Quel est votre usage du Net ?
Je l'utilise tout le temps, pour les e-mails, pour accéder à l'information. Je m'en sers pour accéder à mon compte en banque, acheter des billets d'avions, de la nourriture, des cadeaux, etc. Et j'utilise beaucoup Google.

Qu'est ce que vous aimez sur Internet ?
J'aime accéder à l'information en une seconde. Sans le Web, il faudrait conduire jusqu'a la bibliothèque, et on aurait très peu d'informations. A mon avis, l'invention d'Internet est aussi importante que l'invention de l'imprimerie. Internet est déjà en train de changer le monde.

Qu'est ce que vous n'aimez pas sur Internet ?
C'est trop lent. Sur de nombreux sites Web, il y a des images, des javascripts, de la musique, du Flash etc. a charger ; c'est un désastre. Cela m'empêche de faire autre chose et cela arrive très souvent. Et l'accès est trop difficile : il faut un ordinateur etc. Cela coûte cher et ce n'est pas pratique. Il faut construire d'autres équipements, comme le Minitel en France, qui est si facile à utiliser. Enfin, c'est très dur de déterminer la qualité d'une information : un enfant pourrait l'avoir inventée. Ce n'est pas une mauvaise chose, mais cela peut poser problème.

 
Propos recueillis par Stéphane Gigandet

PARCOURS
 

Sergey Brin, 26 ans, né a Moscou, a temporairement interrompu ses études a l'université de Stanford où il a obtenu son master et est candidat pour un Ph.D. Il a publié une douzaine d'articles dans des journaux scientifiques dans le domaine des moteurs de recherche et de l'extraction de données. Il a créé Google en 1998 avec Larry Page, également étudiant à Stanford.

Le nom Google est un jeu de mot sur googol qui signifie 10 puissance 100 (1 suivi de 100 zéros) et évoque l'immense quantité d'informations disponible sur le Web.


   
 
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