Interviews

Philippe Claude
Associé-gérant
Atlas Venture

Atlas Venture, fondée en 1980, est une structure indépendante de capital-risque international qui vient de lever 750 millions de dollars pour le financement de la high-tech. Représenté par six bureaux, aux Pays-Bas (Amsterdam), aux Etats-Unis (Boston, San Francisco), en Grande-Bretagne (Londres), en Allemagne (Munich) et en France (Paris)
Atlas Venture a été, l'an dernier, un des acteurs les plus actifs en matière d'investissements dans les start-ups. Avec près de 400 millions de dollars répartis sur plusieurs tours de table elle a financé 43 sociétés dont 26 en Europe. Avec une priorité pour l'e-commerce (60%) et les technologies de communication (25%).
L'occasion de faire le point avec Philippe Claude, associé gérant de cette structure, sur les priorités d'Atlas Venture cette année et sur l'évolution du métier des deux côtés de l'Atlantique.


Propos recueillis par Jérôme Batteau le 11 février 2000 .

JDNet: Deux événements ont marqué ce début d'année 2000 dans l'Internet : la fusion Time Warner-Aol et le piratage informatique des grands sites américains. Qu'en retenez-vous?
Philippe Claude : Pour la fusion Time-Warner-Aol je n'ai pas vraiment de commentaires sauf sur les réactions très différentes que cela a suscité des deux côtés de l'Atlantique. En Europe, on a trouvé formidable qu'une start-up puisse se payer un géant de l'industrie traditionnelle américaine. Une approche très différente des USA où tout le monde s'est demandé si la fusion était vraiment au bénéfice d'AOL dans la mesure ou cela constituerait certainement un frein à son business-model originel. J'avoue que la différence de jugement était étonnante. Quant au piratage ce n'est pas forcément inquiétant dans la mesure où tout ce qui est nouveau est fragile. Cela ne constituera donc pas un frein à l'évolution rapide que nous connaissons dans le secteur de l'Internet. Est-ce que les automobiles dans les années 20 étaient fiables? Non et pourtant cela n'a pas empêché le développement exponentiel de l'industrie automobile.

Mais vous qui investissez dans des "dotcom", est-ce que vous attachez une importance particulière aux expertises en matière de sécurité?
Il est clair que nous sommes attentifs à ce domaine. Mais ce n'est pas non plus une priorité. Une bonne start-up c'est un ensemble de choses.

Votre nouveau fonds pèse 5 milliards de francs. Soit une nette évolution par rapport à l'an dernier. Y a-t-il une forme de surenchère dans le capital risque ?
Oui, mais pour une raison simple. Prenons l'exemple des logiciels. Le raisonnement actuel est de dire que si vous n'êtes pas le leader mondial vous aurez du mal à assurer une bonne rentabilité. Chez Atlas Venture nous recherchons donc des futurs champions mondiaux ou européens. Les moyens à débloquer dès le début sont donc énormes. Pour le BtoC, le principe est le même. Si vous créez une société en France en vous disant "l'an prochain si ca marche je m'étendrais en Europe", vous faites fausse route. Vous êtes quasiment obligé de penser global tout de suite. D'où cet important besoin de fonds.

Mais on constate que pour les ventes aux enchères par exemple, il y a QXL en Angleterre, Ricardo en Allemagne ou i-Bazar en France, donc personne n'a pensé Europe dés le départ...
Oui et c'est d'ailleurs un des gros défauts de l'Europe par rapport aux Etats-unis. Le marché est trop segmenté. Les sites d'enchères vont se faire la guerre et cela n'est peut être pas la meilleure des choses. Aux Etats-unis eBay a réglé ce problème depuis longtemps.

Quels seront vos secteurs d'investissement cette année?
Pour les raisons expliquées tout à l'heure, le BtoC engloutit trop d'argent en publicité. Nous voulons donc évidemment investir dans le BtoB où nous avons l'expérience américaine.
D'abord parce que c'est un secteur en pleine évolution. Ensuite parce le BtoB n'a pas forcément vocation à devenir mondial immédiatement. On peut très bien être très rentable tout en restant local. C'est le gros avantage. Mais cette attirance pour le BtoB ne veut pas dire que nous négligerons les autres secteurs. Nous voulons aussi insister sur la technologie. Car si la vitesse d'accès à l'Internet et les plateformes disponibles restent en l'état, le développement de tous les pans d'activités en souffrira. Nous consacrerons donc environ un quart de nos investissements à destination du secteur des télécommunications.

Atlas Venture insiste sur le fait que le business model d'un porteur de projet européen doit être absolument différent de ceux utilisés aux Etats-unis. Pourquoi?
Tout simplement parce qu'avec leur capitalisation boursière phénoménale, les américains peuvent facilement débarquer en Europe. Donc il vaut mieux veiller à ne pas être sur le même segment qu'un de ces mastodontes. Nous pensons donc que la meilleure façon de résister est de se différencier.

Justement on parle beaucoup de l'arrivée des Américains en France mais certains comme Amazon par exemple prennent leur temps.
L'analyse est fausse pour les grands portails comme Lycos ou Yahoo qui sont les plus visités en Europe. Pour Amazon et les entreprises de commerce, il y a surtout un problème de logistique. La distribution est en effet une chose assez complexe. Mais leur situation n'est pas vraiment inquiétante car avec leur capitalisation boursière ils peuvent largement faire un gros chèque pour s'acheter Alapage par exemple. Mais les gens sont trop impatients. Prenez le cas des supermarchés. Dans les années 50, quand les américains ont commencé à développer ce genre de commerce, tout le monde s'attendait à les voir débarquer en France. Or il n'en a rien été ce qui a permis le développement de Carrefour, Auchan ou d'autres. Puis finalement les sociétés américaines ont commencé à investir en France mais bien plus tard. Dans l'Internet nous n'avons que 3 ans de recul, attendez, vous verrez bien.

En France vous avez investi dans deux sociétés, Mixad et Alafolie.com. Pourquoi ces deux investissements si différents?
Le concept de Mixad est très bon. Il propose à ses clients une plate-forme technique de petites annonces et d'enchères "clé-en-main". La société assure l'hébergement du service, la gestion de la bande-passante, le support et le filtrage des annonces. Ces services sont personnalisés pour chacun des clients. C'est très ciblé et donc cela constitue un excellent business model. Alafolie.com est dans la même logique. Eux sont sur le créneau des mariages. Tout d'abord on dépense beaucoup d'argent pour un mariage, ensuite c'est un concept européen. Le point commun de ces deux projets est surtout qu'ils sont portés par deux équipes en qui nous avons toute confiance.

On a l'impression qu'il y a deux ou trois ans, les porteurs de projets étaient souvent des ingénieurs maintenant ce sont plus souvent des commerciaux. Constatez-vous aussi cette évolution?
C'est évident. Tout d'abord pour une raison simple : si avant, l'Internet c'était de la technologie, maintenant la question est de savoir comment on va utiliser cette technologie. Et les écoles de commerce par exemple ont fait de gros efforts pour former leurs étudiants. Ils ont une très bonne connaissance des business models utilisés aux Etats-unis et plein d'idées sur les innovations futures. Ce qui est souvent moins le cas chez les ingénieurs.

Vous avez réalisés 27 investissements en Europe, 16 aux Usa. Vous avez donc une double visibilité. En quoi est-elle utile pour les sociétés européennes que vous financez?
Cette double compétence leur est très profitable. Les Américains sont en effet nettement en avance sur l'Europe et nous avons donc plus de recul pour juger ce qui marche ou ce qui ne marche pas, ce qui existe et ce qui n'existe pas. D'ailleurs quand un porteur de projet vient nous voir et qu'il n'a même pas expertisé le marché américain, nous restons sceptiques. Et je peux vous dire qu'il y en a encore beaucoup qui négligent cet angle. L'autre aspect important pour une société européenne est que nous lui permettons de s'introduire Outre-Atlantique grâce à notre réseau. Car à l'heure actuelle la réputation mondiale d'une société passe souvent par les Etats-unis.

On parle souvent du problèmes des sorties du capital en France. Que vous ont inspiré les récentes introductions mouvementées d'ArtPrice et NetValue au Nouveau marché ?
Pour ce qui est des capitalisations atteintes, elle ne sont pas vraiment étonnantes. Ce qui est plus inquiétant et qui constitue un vrai danger c'est que les particuliers ne regardent même pas ce qu'ils achètent. Ils sont là pour faire une bonne affaire à l'introduction et revendront rapidement leur titre. Ce qui est gênant pour la stabilité de ces sociétés. Il faut dire ici que l'on manque d'investisseurs institutionnels comme les fonds de pension qui sont beaucoup plus stables que les gérants de Sicav par exemple...

Tout le monde se met à faire du capital risque. Des start-ups à peine cotées par exemple alors qu'elle n'ont même pas assuré leur propre rentabilité. Est-ce raisonnable et cela peut-il nuire au capital risque en général?
Non il est clair que cela n'affectera en rien le potentiel du capital risque. Même si effectivement il est surprenant que des start-ups s'y mettent. Mais vous savez c'est exactement comme la ruée vers l'or en Californie. On verra bien qui trouvera l'or.

Philippe Claude a rejoint Atlas Venture en 1993 où il est notamment en charge des investissements dans l'e-commerce. Avant cela, il a passé huit ans chez Partech International. Il a aussi été le fondateur et le responsable de plusieurs sociétés informatique comme Agis System et Softeurop. Il a également été investisseur en seed de Business Objects, première société française de logiciels à être introduite sur le Nasdaq. Philippe Claude a un MBA d'Oregon State University et un diplôme d'ingénieur de la Brussels Solvay school.

Atlas Venture en chiffres

Fonds d'investissements

Atlas Venture V
750 millions de dollars

Date de création
2000
Nombre d'investissements 1999
43 dont 26 en Europe
Investissements 1999 (France)
Alafolie, Mixad
Principaux investissements 1999
(USA)
Oneswoop, Context integration, Skills Village







 

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