JDN.
Quelles sont selon vous les différences entre
un directeur artistique Web et un directeur artistique
"offline" ?
Benoît Drouillat.
Il y a une différence de philosophie. Un directeur
artistique crée pour l'écran. Avant d'ajouter
l'interactivité, il faut créer dans un
espace restreint avec des contraintes matérielles
à intégrer (taille de l'écran,
résolution, etc.). Il faut faire attention à
la qualité du rendu d'un logo à l'écran, à choisir
des typographies adaptées au Web, etc. Le D.A.
interactif se doit donc de maîtriser toute la
chaîne de création pour prendre en compte
toutes les contraintes techniques. Et puis il faut également
réaliser que nous ne nous adressons pas uniquement
à des consommateurs au sens publicitaire du terme,
mais que nous avons affaire à des utilisateurs,
c'est-à-dire à des gens qui utilisent
une interface et sont donc sensibles à l'ergonomie
et à l'usabilité. C'est là que
l'aspect interactif de la créativité entre
en compte souvent. Mais toutes ces contraintes doivent
être appréhendées positivement.
Je considère le Web comme un ensemble de ressources
techniques. Nous avons des ressources à notre
disposition (du code html, du javascript, du Flash...)
qui sont des ressources créatives et non des
contraintes, comme peuvent parfois le croire les annonceurs.
Et
sur le plan culturel, il y a aussi des différences ?
Effectivement, les D.A. Web évoluent
dans un ensemble de référents culturels
qui résultent de l'histoire du Web. Il y a des
critères et des codes esthétiques qui
se sont construits autour de communautés de style,
comme le portail Practika ou les nombreux sites anglo-saxons
(australiens, américains...) et suédois.
Et puis il y a des designers Web qui ont su se faire
un nom parce qu'ils ont réalisé des interfaces
en Flash ou ont une "patte" très spécifique.
C'est par exemple le cas du français Arnaud Mercier.
Ce sont des gens qui influencent énormément
les critères esthétiques du Web design
et qui font que les D.A. Internet ont réellement
une culture très spécifique, bien différente
de la culture publicitaire qui est partagée plus
largement. Je ne suis pas persuadé que la pub
TV et l'affichage ont su constituer une culture réellement
propre à leur média comme le Web l'a fait.
Mais l'objectif n'est pas de cloisonner le Web et de
le tenir séparé de la culture publicitaire.
Il faut des espaces de perméabilité. Le
Web doit s'inspirer d'autres supports et inversement.
Malgré
cette culture spécifique, la créativité
publicitaire est souvent jugée de qualité
médiocre en France. Comment interprétez-vous
cette situation ?
Je ne pense pas que le problème
vienne des directeurs artistiques Web. Selon moi, la
raison principale de la relative médiocrité
de la création publicitaire en ligne aujourd'hui,
c'est le manque de confiance des annonceurs. Ils ne
font pas suffisamment confiance aux D.A. interactifs
et ont donc des ambitions créatives très
minorées. C'est peut-être lié à
la conjoncture économique ou au fait que les
agences ont produit des modèles plus ou moins
crédibles mais je crois que la qualité
des créations ne peut que s'améliorer
si les annonceurs font davantage confiance aux D.A.
Web. Les annonceurs ont souvent peur de perdre la main
sur la conception du projet, et cela donne une façon
de travailler très "transactionnelle", où le D.A. doit
toujours négocier pour que des modifications ne corrompent
pas la qualité graphique du graphique.
Quelles
sont les solutions face à une telle situation ?
Il faudrait, d'une part, que les annonceurs
comprennent qu'il y a un juste milieu entre de la créativité
à tout prix et la duplication pure et simple
de pubs offline. L'e-pub doit trouver une cohérence
avec les autres supports. La transposition intelligente
de campagnes existant par ailleurs, c'est-à-dire
leur adaptation aux référents visuels du Web, à
sa culture, à son public, me semble être
une solution. D'autre part, cela doit passer par une
fédération des directeurs artistiques
interactifs afin qu'ils soient reconnus. C'est ce que
nous essayons de faire via DirecteurArtistique.net.
Les D.A. Web ont trop souvent tendance à s'effacer
derrière leurs créations et ce manque
de visibilité est néfaste pour notre métier.
Si les annonceurs peuvent mettre des visages sur des
noms, alors ils auront une plus grande confiance en
notre travail.
Comment
expliquez-vous la différence de créativité
de l'e-pub française par rapport à d'autres
pays ?
Elle est difficile à expliquer.
Je crois que la France manque un peu de maturité
en matière de communication en ligne car elle
s'y est mise un peu plus tard que d'autres pays. Cela
peut aussi s'expliquer par la présence en France
de grands groupes de communication traditionnelle qui
ont essayé de truster ce marché. Cela
s'est souvent soldé par un échec mais,
entre temps, leur manque de culture Web n'a pas permis
au secteur de se développer en matière
de créativité. Enfin, le fait que les
annonceurs arrivent avec des idées préconçues
et veuillent les imposer n'a rien arrangé.
Le
fait que les budgets e-pub soient particulièrement
bas n'a pas eu d'influence ?
Pour un directeur artistique, cela ne
change rien que le budget soit gros ou petit. Nous ne
fonctionnons pas sur ce critère. Mais cela a
forcément une influence puisque le reste des
équipes de l'agence a ce critère en tête.
Si le budget est petit, l'agence va forcément
vouloir que le projet soit réalisé rapidement
pour passer à autre chose. Donc si le D.A. a
moins de temps, la créativité va s'en
ressentir. Et puis les contraintes économiques
actuelles font que la prise de risque créatif
est souvent mal perçue par le reste des équipes.
Cela explique aussi le fait que souvent une plus grande
créativité émane des freelances.
En conclusion, je dirais que la créativité
est à la hauteur de l'investissement que font
les annonceurs.
Et
les contraintes techniques ?
Les dimensions des bannières,
le poids restreint, etc. ont forcément une influence
sur les créations mais la créativité
doit justement arriver à ses sortir de ces contraintes,
c'est sa spécificité. Les directeurs artistiques
du "offline" sont eux aussi confrontés
à des contraintes : les formats, les coûts
de production, etc. Cela ne les empêche pas pour
autant d 'être créatif. Au contraire, on
constate bien souvent que plus les contraintes sont
grandes, plus le design est créatif.
En
tant que directeur artistique, où allez-vous
puiser l'inspiration pour créations ?
Je crois que l'important est de ne pas
se cantonner au Web. L'observation de l'ensemble des
supports créatifs est importante. Sur Internet,
il faut prendre garde à ne pas se contenter
de décalquer les designers les plus créatifs.
En France, ceux qui ont le plus d'influence sont des
personnes comme Arnaud Mercier, Aurore Bourdier, Muriel
Roulleaux, Alric Nicol, Julien Moulin ou encore Damien
Mélich.
Pouvez-vous
nous citer quelques sites qui relaient la créativité
publicitaire en ligne ?
Les sites que je consulte régulièrement
ont une vocation nformative, ils fournissent la "matière
brute" en terme de tendances. Il s'agit de designiskinky.net,
australianinfront.com.au,
computerlove.net,
lelab.net,
k10k.net,
swedezine.net,
ou encore linkdup.com.
|