JDN.
La 3G a été lancée fin 2004. Deux mois après, quel regard
peut-on porter sur les premières offres ?
Stéphane Dubreuil. Les deux opérateurs
qui se sont lancés dans l'UMTS, pour l'instant SFR et Orange, tentent d'installer une
marque. Il s'agit avant tout d'un lancement d'image.
Leur communication consiste à éduquer le client, lui
expliquer quels sont les services qu'offre la 3G. Nous
ne sommes pas encore dans une logique de masse.
Est-ce pour cela que les
tarifs sont encore élevés ?
Les plans tarifaires sont en effet prudents. Orange
pratique une politique un peu plus agressive avec la
visio au prix de la voix jusqu'à la fin de l'année 2005.
On peut d'ailleurs s'attendre à une réaction de SFR,
qui lancera sans doute une nouvelle offre dans le courant
de l'année. Plus généralement, les opérateurs seront
sans doute amenés à pratiquer des tarifs différents
entre les services : visio, musique, télévision.
Sans que cela ne complique pas la visibilité pour le client !
Celui-ci ne doit pas avoir l'impression de payer tout
le temps, pour chaque service qu'il commande.
De nettes différences stratégiques
sont apparues chez les opérateurs. Comment se positionnent-ils
? Pourquoi ?
Les positionnements sont très différents
voire antinomiques. SFR a choisi de s'engager à fond
dans l'UMTS, Bouygues Telecom se positionne sur Edge,
en attendant la norme HSDPA qui permettra à l'UMTS
d'atteindre des débits supérieurs (2 Mbits/s), tandis qu'Orange
a une approche mixte afin d'assurer une couverture plus
importante. Edge est le prolongement du réseau GPRS,
ses coûts de déploiement sont donc minimes. En revanche,
le déploiement du réseau UMTS nécessite d'importants
investissements (environ 3 milliards d'euros).
La 3G peut-elle modifier
le rapport de forces entre les trois opérateurs ?
Pour 2004 et 2005, les changements seront infimes. En
revanche, par la suite, il existe en effet des risques
importants. Et ceux-ci concernent d'abord Bouygues Telecom.
S'ils tardent trop à se positionner, ils pourraient
perdre des parts de marché, fondamentales pour son équilibre.
Ils ont annoncé un déploiement d'Edge courant 2005,
or le lancement commercial des autres opérateurs européen
est prévu en Europe autour de 2006, voire 2007. D'ici
là, ils pourraient prendre un retard irrémédiable. Et
la norme HSDPA ne sera effective commercialement qu'en
2007. On constate un télescopage des deux technologies
dans les plannings des opérateurs. De plus, il semble
qu'il existe quelques problèmes de disponibilité des
terminaux i-Mode / Edge. L'UMTS pourrait modifier sensiblement
les parts de marché françaises : Bouygues
Telecom a d'ailleurs légèrement revu sa position en
annonçant qu'il s'engagerait dans l'UMTS et en
accélérant son ouverture commerciale Edge. Enfin,
il n'est pas exclu que SFR se lance également dans Edge.
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Entre
1,5 et 2 millions d'abonnés 3G à
la fin de l'année." |
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L'année 2005 sera-t-elle
celle du décollage de la 3G ?
En 2004, les opérateurs se sont positionnés sur l'image.
On peut estimer le nombre d'abonnés 3G, au 31 décembre,
à environ 50.000, dont 18.000 pour Orange, SFR n'ayant
pas communiqué ses chiffres. Pour le vrai démarrage
commercial, il faudra attendre le troisième trimestre
2005. A la fin de cette année, CSC estime un marché
à 1,5 à 2 millions d'abonnés. Les deux opérateurs pourraient
enregistrer entre 500.000 et 800.000 clients 3G chacun.
L'apparition de Bouygues Telecom avec l'Edge pourrait
dynamiser le marché du haut débit pour atteindre la
fourchette haute (2 millions). Enfin, la massification
devrait se faire en 2006, où les opérateurs dépasseront
le million de clients chacun et où l'on atteindra, en
fin d'année, 4 à 5 millions d'abonnés. D'où l'importance,
pour une entreprise comme Bouygues, d'être présente
sur le secteur dès la fin 2005. De plus, cette année,
on pourrait revivre une course à la couverture, comme
on l'avait vécue avec le GSM.
Les opérateurs communiqueront sur l'évolution de leur
couverture. Déjà, Orange et SFR se disputent ces chiffres,
le premier opérateur ayant annoncé une couverture UMTS
+ Edge de 88 % fin 2005.
Quels sont les services
- phares de la 3G ? Ceux amenés à se développer ?
La 3G devrait entraîner un développement important de
la vidéo à la demande, alors que la TV en live a un
potentiel limité dans un premier temps, puisqu'elle
consomme beaucoup de bande passante et les plans tarifaires
sont exorbitants (0.5 et 1 euro la minute). La visiophonie
nécessite, elle, un effort d'éducation du client puisqu'elle
est complètement nouvelle et touche à la sphère privée.
Enfin, deux services, peu exploités jusque là, présentent
particulièrement d'attrait : les messageries instantanées
sur mobile, qui pourraient cannibaliser les SMS et sur
lesquelles les opérateurs devront se positionner rapidement,
et le téléchargement de musique.
La 3G est à peine lancée
que l'on commence à parler de travaux sur la 4G. Plusieurs
opérateurs se sont d'ailleurs réunis récemment pour
discuter de ce thème. Est-ce que cela peut gêner le
développement de la 3G ?
Non, les opérateurs européens ne peuvent pas se permettre
d'investir sur la 4G tant qu'ils ne sont pas rentables
sur la 3G. Les licences ont coûté très cher, les réseaux
également, il faudra d'abord les amortir. En Asie, l'UMTS
est déjà sur les rails de la rentabilité et les opérateurs
ont investi l'imposant marché chinois. Ensuite, la 4G
n'en est qu'au stade des réflexions, quelques expériences
ont lieu en Corée et au Japon et personne n'a la même
définition. Certains disent qu'il ne s'agit que d'un
prolongement de la norme HSDPA, d'autres affirment que
l'on pourra aller jusqu'à 20 gigabits. La question est
de savoir si de tels débits sont utiles en mobilité.
Etant donné le temps qu'a mis la 3G pour se développer,
on peut estimer que la 4G ne sera pas prête commercialement
avant une dizaine d'années. Il serait donc inconcevable
de se priver de la 3G pendant ce temps. En fait, la
donne en Asie est différente. Elle est d'ordre industrielle.
Le Japon et la Corée investissent massivement pour accentuer
leur avance technologique et imposer leurs industriels
télécoms au niveau mondial. A ce titre, l'Etat soutient
énormément les nombreuses initiatives comme en Corée.
Contrairement à ce que l'on pense, l'UMTS n'est pas
une norme unique. L'Asie veut donc réussir à imposer
une norme mondiale unique 4G comme l'ont fait les Européens
avec le GSM, et les Américains avec Internet.
La France est-elle en retard
par rapport au reste de l'Europe ?
La 3G est déjà en phase de massification en Italie et
au Royaume-Uni. Ces deux pays sont entrés dans une accélération
commerciale, avec 3,5 millions de clients en Italie
et plus de 2,5 millions au Royaume-Uni. Fin 2005, le
cabinet d'études international Ovum estime à 8 à
9 millions le nombre d'abonnés UMTS en Italie. Les taux
de pénétration attendus seront extrêmement élevés également
en Suède et au Danemark. En termes de couverture, le
Royaume-Uni dispose déjà de près de 70 % de la population
couverte. Cela est aussi dû au fait que l'intensité
concurrentielle est très forte, le pays facile à couvrir
géographiquement (peu de relief et forte concentration
de la population), alors que la France est plus complexe
à couvrir. Malgré un retard à l'allumage en France,
nous devrions le rattraper dans les années à venir,
surtout si une dynamique concurrentielle se met en place
avec l'introduction des opérateurs
virtuels.
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