INTERVIEW 
 
Stéphane Dubreuil
Senior manager
CSC
Stéphane Dubreuil
"La 3G est vitale pour les opérateurs"
Après le lancement des premières offres 3G, les opérateurs affûtent leurs armes sur un secteur décisif en termes d'image et de revenus. Stéphane Dubreuil, analyste dans le domaine des télécommunications chez CSC, tire un premier bilan et détaille la stratégie des principaux acteurs.
(13/01/2005)
 
JDN. La 3G a été lancée fin 2004. Deux mois après, quel regard peut-on porter sur les premières offres ?
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Dossier Mobiles : la nouvelle génération

Stéphane Dubreuil. Les deux opérateurs qui se sont lancés dans l'UMTS, pour l'instant SFR et Orange, tentent d'installer une marque. Il s'agit avant tout d'un lancement d'image. Leur communication consiste à éduquer le client, lui expliquer quels sont les services qu'offre la 3G. Nous ne sommes pas encore dans une logique de masse.

Est-ce pour cela que les tarifs sont encore élevés ?
Les plans tarifaires sont en effet prudents. Orange pratique une politique un peu plus agressive avec la visio au prix de la voix jusqu'à la fin de l'année 2005. On peut d'ailleurs s'attendre à une réaction de SFR, qui lancera sans doute une nouvelle offre dans le courant de l'année. Plus généralement, les opérateurs seront sans doute amenés à pratiquer des tarifs différents entre les services : visio, musique, télévision. Sans que cela ne complique pas la visibilité pour le client ! Celui-ci ne doit pas avoir l'impression de payer tout le temps, pour chaque service qu'il commande.

De nettes différences stratégiques sont apparues chez les opérateurs. Comment se positionnent-ils ? Pourquoi ?
Les positionnements sont très différents voire antinomiques. SFR a choisi de s'engager à fond dans l'UMTS, Bouygues Telecom se positionne sur Edge, en attendant la norme HSDPA qui permettra à l'UMTS d'atteindre des débits supérieurs (2 Mbits/s), tandis qu'Orange a une approche mixte afin d'assurer une couverture plus importante. Edge est le prolongement du réseau GPRS, ses coûts de déploiement sont donc minimes. En revanche, le déploiement du réseau UMTS nécessite d'importants investissements (environ 3 milliards d'euros).

La 3G peut-elle modifier le rapport de forces entre les trois opérateurs ?
Pour 2004 et 2005, les changements seront infimes. En revanche, par la suite, il existe en effet des risques importants. Et ceux-ci concernent d'abord Bouygues Telecom. S'ils tardent trop à se positionner, ils pourraient perdre des parts de marché, fondamentales pour son équilibre. Ils ont annoncé un déploiement d'Edge courant 2005, or le lancement commercial des autres opérateurs européen est prévu en Europe autour de 2006, voire 2007. D'ici là, ils pourraient prendre un retard irrémédiable. Et la norme HSDPA ne sera effective commercialement qu'en 2007. On constate un télescopage des deux technologies dans les plannings des opérateurs. De plus, il semble qu'il existe quelques problèmes de disponibilité des terminaux i-Mode / Edge. L'UMTS pourrait modifier sensiblement les parts de marché françaises : Bouygues Telecom a d'ailleurs légèrement revu sa position en annonçant qu'il s'engagerait dans l'UMTS et en accélérant son ouverture commerciale Edge. Enfin, il n'est pas exclu que SFR se lance également dans Edge.

Entre 1,5 et 2 millions d'abonnés 3G à la fin de l'année."

L'année 2005 sera-t-elle celle du décollage de la 3G ?
En 2004, les opérateurs se sont positionnés sur l'image. On peut estimer le nombre d'abonnés 3G, au 31 décembre, à environ 50.000, dont 18.000 pour Orange, SFR n'ayant pas communiqué ses chiffres. Pour le vrai démarrage commercial, il faudra attendre le troisième trimestre 2005. A la fin de cette année, CSC estime un marché à 1,5 à 2 millions d'abonnés. Les deux opérateurs pourraient enregistrer entre 500.000 et 800.000 clients 3G chacun. L'apparition de Bouygues Telecom avec l'Edge pourrait dynamiser le marché du haut débit pour atteindre la fourchette haute (2 millions). Enfin, la massification devrait se faire en 2006, où les opérateurs dépasseront le million de clients chacun et où l'on atteindra, en fin d'année, 4 à 5 millions d'abonnés. D'où l'importance, pour une entreprise comme Bouygues, d'être présente sur le secteur dès la fin 2005. De plus, cette année, on pourrait revivre une course à la couverture, comme on l'avait vécue avec le GSM. Les opérateurs communiqueront sur l'évolution de leur couverture. Déjà, Orange et SFR se disputent ces chiffres, le premier opérateur ayant annoncé une couverture UMTS + Edge de 88 % fin 2005.

Quels sont les services - phares de la 3G ? Ceux amenés à se développer ?
La 3G devrait entraîner un développement important de la vidéo à la demande, alors que la TV en live a un potentiel limité dans un premier temps, puisqu'elle consomme beaucoup de bande passante et les plans tarifaires sont exorbitants (0.5 et 1 euro la minute). La visiophonie nécessite, elle, un effort d'éducation du client puisqu'elle est complètement nouvelle et touche à la sphère privée. Enfin, deux services, peu exploités jusque là, présentent particulièrement d'attrait : les messageries instantanées sur mobile, qui pourraient cannibaliser les SMS et sur lesquelles les opérateurs devront se positionner rapidement, et le téléchargement de musique.

La 3G est à peine lancée que l'on commence à parler de travaux sur la 4G. Plusieurs opérateurs se sont d'ailleurs réunis récemment pour discuter de ce thème. Est-ce que cela peut gêner le développement de la 3G ?
Non, les opérateurs européens ne peuvent pas se permettre d'investir sur la 4G tant qu'ils ne sont pas rentables sur la 3G. Les licences ont coûté très cher, les réseaux également, il faudra d'abord les amortir. En Asie, l'UMTS est déjà sur les rails de la rentabilité et les opérateurs ont investi l'imposant marché chinois. Ensuite, la 4G n'en est qu'au stade des réflexions, quelques expériences ont lieu en Corée et au Japon et personne n'a la même définition. Certains disent qu'il ne s'agit que d'un prolongement de la norme HSDPA, d'autres affirment que l'on pourra aller jusqu'à 20 gigabits. La question est de savoir si de tels débits sont utiles en mobilité. Etant donné le temps qu'a mis la 3G pour se développer, on peut estimer que la 4G ne sera pas prête commercialement avant une dizaine d'années. Il serait donc inconcevable de se priver de la 3G pendant ce temps. En fait, la donne en Asie est différente. Elle est d'ordre industrielle. Le Japon et la Corée investissent massivement pour accentuer leur avance technologique et imposer leurs industriels télécoms au niveau mondial. A ce titre, l'Etat soutient énormément les nombreuses initiatives comme en Corée. Contrairement à ce que l'on pense, l'UMTS n'est pas une norme unique. L'Asie veut donc réussir à imposer une norme mondiale unique 4G comme l'ont fait les Européens avec le GSM, et les Américains avec Internet.

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La France est-elle en retard par rapport au reste de l'Europe ?
La 3G est déjà en phase de massification en Italie et au Royaume-Uni. Ces deux pays sont entrés dans une accélération commerciale, avec 3,5 millions de clients en Italie et plus de 2,5 millions au Royaume-Uni. Fin 2005, le cabinet d'études international Ovum estime à 8 à 9 millions le nombre d'abonnés UMTS en Italie. Les taux de pénétration attendus seront extrêmement élevés également en Suède et au Danemark. En termes de couverture, le Royaume-Uni dispose déjà de près de 70 % de la population couverte. Cela est aussi dû au fait que l'intensité concurrentielle est très forte, le pays facile à couvrir géographiquement (peu de relief et forte concentration de la population), alors que la France est plus complexe à couvrir. Malgré un retard à l'allumage en France, nous devrions le rattraper dans les années à venir, surtout si une dynamique concurrentielle se met en place avec l'introduction des opérateurs virtuels.

 
 
Propos recueillis par Nicolas RAULINE, JDN

PARCOURS
 
 
Stéphane Dubreuil, 32 ans, est senior manager chez CSC. Spécialiste international des télécommunications, il intervient régulièrement sur les problématiques de stratégie marketing et de business développement auprès des opérateurs mobiles européens. Auparavant, il a travaillé sur des projets de stratégie et sur le lancement d'offres marketing.

Et aussi : Il est également co-auteur d'un ouvrage de référence sur l'UMTS, "Le marketing du multimedia mobile", publié aux éditions d'Organisation en 2003 et qui aborde tous les aspects stratégiques des téléphones mobiles de troisième génération : modèle économique, portails, terminaux, MVNO... Ce livre a été préfacé par les trois directeurs généraux des opérateurs mobiles français.

Il travaille actuellement à la rédaction d'un second ouvrage.

   
 
 
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