INTERVIEW 
 
Christiane Féral-Schuhl
Avocate associée
Cabinet Salans
Me Christiane Féral-Schuhl
"Le commerce électronique doit relever le défi juridique de la mondialisation"
Avec des bureaux aux quatre coins de la terre, le cabinet d'avocats Salans dispose d'un excellent poste d'observation sur le commerce électronique mondial. Rencontre avec Christiane Féral-Schuhl, avocate, responsable des Nouvelles Technologies au sein de Salans International. Première partie de notre entretien.
(09/12/2004)
 
JDN. Par essence, Internet ne connaît pas de frontières. Mais quelles sont les spécificités locales à connaître pour celui qui veut se lancer dans un projet de commerce électronique à l'échelle internationale ?
Christiane Féral-Schuhl. Vous soulignez d'entrée de jeu l'une des difficultés majeures de l'Internet : l'offre diffusée sur le réseau sera nécessairement une offre mondiale, diffusée qui plus est, vers des personnes indéterminées, celles-ci pouvant être aussi bien des consommateurs que des professionnels. Aussi, d'autres cadres juridiques peuvent-ils venir se greffer sur les règles de l'État du consommateur ou du fournisseur. À titre d'exemple, le régime américain de protection des consommateurs offre la possibilité au client insatisfait de se faire rembourser pendant 30 jours. De même, certains pays interdisent la vente de certains produits qui peut être autorisée ailleurs. Dans ce contexte, il n'est tout simplement pas possible d'être en conformité avec toutes les lois nationales protectrices du consommateur. Le cybermarchand devra donc aborder la question de manière très pragmatique : (i) être en conformité avec sa propre loi nationale, (ii) définir précisément sur son site les territoires ciblés, l'Europe, les Etats-Unis, le Japon... (iii) vérifier les éventuelles contradictions qui peuvent exister..

Entre l'Europe, les Etats-Unis, la Russie et la Chine, les législations doivent varier du tout au tout. Comment adopter une démarche cohérente ?
Comme indiqué précédemment, le cybermarchand français, américain, russe, chinois doit d'abord se préoccuper de sa propre loi. Par exemple, s'il s'agit d'ouvrir un site marchand à Shangaï, en Chine, il faut savoir que cette ville s'est dotée, en août 2000, d'une réglementation du commerce en ligne, prévoyant expressément que les entreprises publiques ou privées enregistrées à Shanghai et pratiquant la vente à distance par Internet devront obtenir une licence pour poursuivre leurs activités commerciales en ligne. La mention de l'obtention de cette licence devra figurer sur la page d'accueil des sites marchands des sociétés qui l'auront obtenue, et le consommateur pourra vérifier la validité de cette licence sur le site Internet du "Shanghai Municipal Bureau for Industry and Commerce".

Cela étant, l'expérience révèle qu'il existe sur le terrain peu de difficultés car on retrouve un certain nombre de points de rapprochements dans les différentes législations. L'expérience européenne sur ce point est illustrative : plusieurs directives ont harmonisé des législations nationales, confirmant pour l'essentiel, les solutions françaises. Sur un terrain plus international, il faudra parfois prévoir des dispositions spécifiques pour tenir compte des contraintes locales. Cela est surtout vrai pour les produits et services soumis à réglementation spécifique. Par ailleurs, il convient de signaler plusieurs textes qui, s'ils n'ont pas force obligatoire, visent cependant à faciliter et encourager la coopération entre les gouvernements, les entreprises et les consommateurs.

Par exemple, la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI) a déjà adopté deux lois types : une loi type sur le commerce électronique du 16 décembre 1996 et une loi type sur les signatures électroniques le 12 décembre 2001. De même, l'OCDE a promulgué le 9 décembre 1999 les "Lignes directrices pour assurer la protection des cyberconsommateurs" et le 25 juillet 2002 "Lignes dire­trices régissant la sécurité des systèmes et réseaux d'information : vers une culture de la sécurité".La CCI, à travers ses différents comités nationaux, s'emploie également à harmoniser le dispositif contractuel susceptible d'être mis en vigueur.

En particulier, peut-on définir une offre de services, la proposer sur un site Web (multilingue de préférence), et espérer séduire une clientèle mondiale ? Est-ce aussi simple que cela ?
Sur le principe, la réponse est affirmative. N’oublions pas que le commerce électronique concerne toute personne physique ou morale qui "propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens ou de services". C’est dire qu’il est à géométrie variable et que, dans sa forme la plus courante, il constitue une vitrine virtuelle pour chaque entreprise, permettant de prospecter et de recevoir des commandes. Une petite entreprise d’herboristerie localisée par exemple à Marrakech, grâce à sa vitrine Web, peut se faire connaître, recevoir des commandes et s’affranchir de la lourdeur et du coût de constitution des réseaux pour promouvoir et distribuer directement ses produits à des consommateurs.

Le cybercommerce apparaît aujourd'hui comme une composante indissociable du commerce électronique."

Le potentiel est décuplé bien entendu lorsque le commerce électronique permet, sous une forme électronique, non seulement la conclusion en ligne d’un contrat de vente ou de prestation de services mais également la livraison du bien ou l’exécution du service, voire le paiement du prix convenu. Et lorsqu’il s’agit de fournir des biens incorporels, comme un extrait musical, une photographie ou un logiciel, on peut même envisager une opération totalement dématérialisée puisque la livraison du bien peut être effectuée par téléchargement.

Le cybercommerce apparaît aujourd’hui comme une composante indissociable du commerce électronique, chaque entreprise pouvant prendre place et exister sur le Net. A noter toutefois que s’agissant d’un site marchand créé en France, la loi Toubon est toujours en vigueur et si le site peut être multilingue, il faut impérativement que les informations soient accessibles en français.

Comment rassurer les internautes pour les amener à commander sur un site à l'étranger ? 

Les internautes sont de plus en plus confiants. Un sondage demandé par le Credoc (centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie) et la Fevad (fédération de la vente à distance) a annoncé qu'en 2003 un français sur quatre a fait des achats via Internet, contre un sur vingt cinq quatre ans plus tôt. C'est bien dire que la confiance grandit progressivement. Cependant, les règles de transparence doivent être généralisées. En dehors des sites qui ont "pignon sur rue" et qui bénéficient à ce titre d'une renommée, il faut faciliter l'identification du cybermarchand. On observe le développement de mesures de contrôle, notamment avec la mise en place de «labels» délivrés par des organismes professionnels ou par des associations de consommateurs.

Ces labels ont vocation à attester de l'honorabilité des sites labellisés. Ils peuvent être retirés par ces mêmes organismes, dès lors que le comportement du responsable du site s'avérerait déloyal à l'égard des consommateurs. Certains sites commerciaux installent quant à eux des forums de discussion pour permettre aux consommateurs d'échanger leurs opinions sur le service rendu, les produits achetés, favorisant ainsi le dialogue et la transparence. Il convient de signaler l'inauguration, en novembre 2000, d'un centre de surveillance du commerce électronique de la DGCCRF¹ permettant aux consommateurs de formuler leurs réclamations directement auprès du site de la Direction générale de la concurrence.

Par ailleurs, le centre a également pour mission d'assurer une veille permanente des sites commerciaux et de leurs pratiques. La DGCCRF dresse un bilan très positif de cette action administrative: le taux infractionnel, tous secteurs confondus, est passé de 31.5% en 2001 à 27% en 2003; et 95% des sites ayant fait l'objet en 2002 de rappels de réglementation pour absence de mentions obligatoires, se sont mis, depuis, en conformité.

>> La seconde partie de l'interview sera publiée dans les prochains jours sur le JDN

 
 
Propos recueillis par Rédaction JDN

PARCOURS
 
 
Christiane Féral-Schuhl, avocate associée du cabinet d'avocats Salans. Elle est également responsable du Salans Global ITC (Information technology and communications) qui réunit des avocats spécialistes des technologies nouvelles des différents bureaux de Salans.

Et aussi Présidente de l'ADIJ, association pour le développement de l'informatique juridique.

   
 
 
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