JDN.
Par essence, Internet ne connaît pas de frontières. Mais
quelles sont les spécificités locales à connaître pour
celui qui veut se lancer dans un projet de commerce électronique
à l'échelle internationale ?
Christiane Féral-Schuhl. Vous soulignez d'entrée
de jeu l'une des difficultés majeures de l'Internet :
l'offre diffusée sur le réseau sera nécessairement une
offre mondiale, diffusée qui plus est, vers des personnes
indéterminées, celles-ci pouvant être aussi bien des consommateurs
que des professionnels. Aussi, d'autres cadres juridiques
peuvent-ils venir se greffer sur les règles de l'État
du consommateur ou du fournisseur. À titre d'exemple,
le régime américain de protection des consommateurs offre
la possibilité au client insatisfait de se faire rembourser
pendant 30 jours. De même, certains pays interdisent la
vente de certains produits qui peut être autorisée ailleurs.
Dans ce contexte, il n'est tout simplement pas possible
d'être en conformité avec toutes les lois nationales protectrices
du consommateur. Le cybermarchand devra donc aborder la
question de manière très pragmatique : (i) être en conformité
avec sa propre loi nationale, (ii) définir précisément
sur son site les territoires ciblés, l'Europe, les Etats-Unis,
le Japon... (iii) vérifier les éventuelles contradictions
qui peuvent exister..
Entre l'Europe, les Etats-Unis,
la Russie et la Chine, les législations doivent varier
du tout au tout. Comment adopter une démarche cohérente ?
Comme indiqué précédemment, le cybermarchand français,
américain, russe, chinois doit d'abord se préoccuper de
sa propre loi. Par exemple, s'il s'agit d'ouvrir un site
marchand à Shangaï, en Chine, il faut savoir que cette
ville s'est dotée, en août 2000, d'une réglementation
du commerce en ligne, prévoyant expressément que les entreprises
publiques ou privées enregistrées à Shanghai et pratiquant
la vente à distance par Internet devront obtenir une licence
pour poursuivre leurs activités commerciales en ligne.
La mention de l'obtention de cette licence devra figurer
sur la page d'accueil des sites marchands des sociétés
qui l'auront obtenue, et le consommateur pourra vérifier
la validité de cette licence sur le site Internet du "Shanghai
Municipal Bureau for Industry and Commerce".
Cela étant, l'expérience révèle qu'il existe sur le terrain
peu de difficultés car on retrouve un certain nombre de
points de rapprochements dans les différentes législations.
L'expérience européenne sur ce point est illustrative
: plusieurs directives ont harmonisé des législations
nationales, confirmant pour l'essentiel, les solutions
françaises. Sur un terrain plus international, il faudra
parfois prévoir des dispositions spécifiques pour tenir
compte des contraintes locales. Cela est surtout vrai
pour les produits et services soumis à réglementation
spécifique. Par ailleurs, il convient de signaler plusieurs
textes qui, s'ils n'ont pas force obligatoire, visent
cependant à faciliter et encourager la coopération entre
les gouvernements, les entreprises et les consommateurs.
Par exemple, la Commission des Nations Unies pour le droit
commercial international (CNUDCI) a déjà adopté deux lois
types : une loi type sur le commerce électronique du 16
décembre 1996 et une loi type sur les signatures électroniques
le 12 décembre 2001. De même, l'OCDE a promulgué le 9
décembre 1999 les "Lignes directrices pour assurer la
protection des cyberconsommateurs" et le 25 juillet 2002
"Lignes diretrices régissant la sécurité des systèmes
et réseaux d'information : vers une culture de la sécurité".La
CCI, à travers ses différents comités nationaux, s'emploie
également à harmoniser le dispositif contractuel susceptible
d'être mis en vigueur.
En particulier, peut-on
définir une offre de services, la proposer sur un site
Web (multilingue de préférence), et espérer séduire
une clientèle mondiale ? Est-ce aussi simple que
cela ?
Sur le principe, la réponse est
affirmative. Noublions pas que le commerce électronique
concerne toute personne physique ou morale qui "propose
ou assure à distance et par voie électronique
la fourniture de biens ou de services". Cest
dire quil est à géométrie
variable et que, dans sa forme la plus courante, il
constitue une vitrine virtuelle pour chaque entreprise,
permettant de prospecter et de recevoir des commandes.
Une petite entreprise dherboristerie localisée
par exemple à Marrakech, grâce à
sa vitrine Web, peut se faire connaître, recevoir
des commandes et saffranchir de la lourdeur et
du coût de constitution des réseaux pour
promouvoir et distribuer directement ses produits à
des consommateurs.
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Le cybercommerce apparaît aujourd'hui comme une composante indissociable du commerce électronique." |
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Le potentiel est décuplé bien entendu
lorsque le commerce électronique permet,
sous une forme électronique, non seulement la
conclusion en ligne dun contrat de vente ou de
prestation de services mais également la livraison
du bien ou lexécution du service, voire
le paiement du prix convenu. Et lorsquil sagit
de fournir des biens incorporels, comme un extrait musical,
une photographie ou un logiciel, on peut même
envisager une opération totalement dématérialisée
puisque la livraison du bien peut être effectuée
par téléchargement.
Le cybercommerce apparaît aujourdhui comme
une composante indissociable du commerce électronique,
chaque entreprise pouvant prendre place et exister sur
le Net. A noter toutefois que sagissant dun
site marchand créé en France, la loi Toubon
est toujours en vigueur et si le site peut être
multilingue, il faut impérativement que les informations
soient accessibles en français.
Comment rassurer les internautes
pour les amener à commander sur un site à l'étranger ?
Les internautes sont de plus en plus confiants. Un
sondage demandé par le Credoc (centre de recherche pour
l'étude et l'observation des conditions de vie) et la
Fevad (fédération de la vente à distance) a annoncé
qu'en 2003 un français sur quatre a fait des achats
via Internet, contre un sur vingt cinq quatre ans plus
tôt. C'est bien dire que la confiance grandit progressivement.
Cependant, les règles de transparence doivent être généralisées.
En dehors des sites qui ont "pignon sur rue" et qui
bénéficient à ce titre d'une renommée, il faut faciliter
l'identification du cybermarchand. On observe le développement
de mesures de contrôle, notamment avec la mise en place
de «labels» délivrés par des organismes professionnels
ou par des associations de consommateurs.
Ces labels ont vocation à attester de l'honorabilité
des sites labellisés. Ils peuvent être retirés par ces
mêmes organismes, dès lors que le comportement du responsable
du site s'avérerait déloyal à l'égard des consommateurs.
Certains sites commerciaux installent quant à eux des
forums de discussion pour permettre aux consommateurs
d'échanger leurs opinions sur le service rendu, les
produits achetés, favorisant ainsi le dialogue et la
transparence. Il convient de signaler l'inauguration,
en novembre 2000, d'un centre de surveillance du commerce
électronique de la DGCCRF¹ permettant
aux consommateurs de formuler leurs réclamations directement
auprès du site de la Direction générale de la concurrence.
Par ailleurs, le centre a également pour mission d'assurer
une veille permanente des sites commerciaux et de leurs
pratiques. La DGCCRF dresse un bilan très positif de
cette action administrative: le taux infractionnel,
tous secteurs confondus, est passé de 31.5% en 2001
à 27% en 2003; et 95% des sites ayant fait l'objet en
2002 de rappels de réglementation pour absence de mentions
obligatoires, se sont mis, depuis, en conformité.
>> La seconde partie de l'interview sera publiée dans les prochains jours sur le JDN
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