Interviews

Pierre Forrest
Chargé de la perception multimédia
Sacem/Sesam

A l'occasion du MidemNet, les questions relatives aux droits d'auteurs des artistes sur l'Internet ont été abordées. La Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique) est concernée par nombre de sujets liés au Net, notamment lorsque l'on évoque le téléchargement d'extraits musicaux au format MP3. Au-delà de la Sacem, l'Internet est au coeur des activités de SESAM, société réunissant la Sacem, l'ADAGP, la SCAM, la SACD et la SDRM pour la gestion des exploitations dites multimédias. La sphère d'intervention de la Sacem est large, et le droit comme les accords sont en élaboration permanente. Entre innovation, prévention et répression, la Sacem trouve ses marques.

Propos recueillis par Philippe Guerrier le 27 janvier 2000 .


JDNet: Depuis quand la Sacem s'intéresse-t-elle aux droits d'auteurs sur Internet ?
Pierre Forrest : Les sociétés d'auteurs s'intéressent depuis l'apparition de l'Internet à la musique en ligne. Depuis que l'on sait qu'il y aura exploitation de ces oeuvres par ce biais. Notre travail est de percevoir et de répartir des redevances en fonction de l'exploitation publique des oeuvres musicales ou autres. Nous sommes amenés à mettre en place des conditions d'utilisation qui respectent les droits d'auteur. La question fondamentale est: "Comment utiliser les oeuvres sur Internet et prendre en compte les ayant droits qui vont avec?" Nous avons eu le même débat pour la radio et la télévision.

A quoi sert Sesam ?
Les premières réflexions remontent à 1994, lors de l'arrivée des premiers CD-Rom sur le marché. La société a été créée en 1996. L'idée de Sesam part d'un constat: l'arrivée du numérique (CD-rom mais aussi Internet) n'a pas donné lieu à des bouleversements qui remettent en cause le droit. La création de cette société d'auteurs s'inspire de la volonté d'ouvrir un guichet unique de façon à regrouper en une seule entité les différents tarifs en fonction de l'utilisation des oeuvres. La Sesam est une des quatre grandes sociétés d'auteurs, qui dispose de davantage de répertoires autour des droits d'auteurs. Elle traite des sujets multimédias: CD-Rom, jeux vidéos, produits culturels et Internet. Il y a toute une répartition de compétences assez claire à partir du moment où l'utilisation de l'oeuvre est définie.

Concrètement, quelles sont les compétences de Sesam?
Grosso modo, nous intervenons sur tout ce qui est sonorisation d'un site, proposition d'un programme en ligne en direct ou en téléchargement. Il faut simplement retenir que Sesam n'est pas le seul interlocuteur en matière de développement sur l'Internet. Les sujets liés aux netradios sont exclus des prérogatives de la Sesam. Elles sont considérées comme une exploitation traditionnelle mais via un nouveau média. Idem pour la partie téléchargement MP3, qui ne dépend pas de Sesam mais de la Sacem et la SDRM (NLDR, Société pour l'administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs).

C'est assez complexe...
Je ne crois pas que ce soit forcément complexe. Il faut répondre au cas par cas compte tenu de l'utilisation multiforme de l'Internet. C'est un nouveau média avec toutes ses spécificités à prendre en compte.

Comment appréhendez-vous l'Internet au sein de la Sacem?
Au niveau philosohique, nous voyons l'Internet comme un nouveau mode d'exploitation qui donne une certaine visibilité aux auteurs et donc leur permet de toucher de l'argent. Il n'y a pas de souci sur ce point. Au niveau juridique, de nombreux rapports publiés sont plutôt rassurants. Le principe de base -j'ai besoin d'une autorisation des ayant droits parce que je veux communiquer au grand public- s'applique sur Internet.

Et d'un point de vue pratique...
La mise en place concrète de nos systèmes d'autorisations est plus problématique. Je dirais que ce n'est pas très nouveau. Nous avons connu les mêmes problèmes avec le développement de la radio et de la télévision. Nous avons apporté des solutions avec les contrats généraux de représentation, qui consistent à dire à un fournisseur de contenu radio-télé: "Vous allez avoir accès à notre répertoire, en tout ou partie et c'est la clause forfaitaire qui s'applique". Il faut chercher un équilibre économique en fonction des business models. Par exemple, aujourd'hui, nous percevons 6% des recettes d'une chaîne de télé. En échange, la chaîne peut exploiter toutes les oeuvres d'un répertoire en fonction de ses besoins. C'est ce modèle que nous voulons appliquer sur Internet, là où ce sera possible. Ce devrait être possible dans le cas de CanalWeb, par exemple. Peut-être moins en matière de téléchargement de musique sur Internet.

Combien de fournisseurs de contenus sur Internet ont signé un contrat général de représentation?
On a passé un premier accord avec NetRadio (édité par la société CentPourCent) au nom de la Sacem. Nous sommes en négociation depuis un an avec le Geste (Groupement des éditeurs de services en ligne). Ces négociations nous permettent d'avoir un socle sur lequel on pourra négocier les distinctions à apporter. L'idée de base est un pourcentage sur les recettes qui reste à déterminer, assorti à un forfait. Nous voulons également faire varier la rémunération en fonction du trafic. On devrait pouvoir annoncer des informations sur ce sujet pour le Milia (15-18 février 2000).

Comment abordez-vous l'aspect téléchargement d'extraits musicaux, qui connaît une forte croissance sur Internet ?
La question principale est de savoir comment l'éditeur en ligne constitue son catalogue de base. Sur Internet, il faut identifier les producteurs et les distributeurs légaux et quelles autorisations ont été signées pour exploiter telle partie d'un catalogue. Pour le téléchargement MP3, ça devient du coup difficile compte tenu de la prédominance des majors (Sony, EMI-Warner, Universal, etc). Sauf pour les catalogues d'auto-production et les petits labels qui franchissent le pas.

Vous avez récemment signé un accord de rétribution avec FranceMP3 dans ce sens. Un "forfait streaming" et un système de royalties pour le téléchargement propre ont été mis en place. D'autres sites se sont-ils montrés intéressés ?
Il se trouve que FranceMP3 a voulu aller très vite. Les sites avec qui nous sommes en discussion proposent essentiellement de l'autoproduction.

Que répondez-vous aux critiques faites à l'encontre de cet accord ? Certains professionnels de la musique en ligne estiment que cet accord arrive trop tôt alors qu'il n'y a aucune visibilité à six mois près.
Ce n'est pas très responsable comme approche. A partir du moment où les utilisateurs exploitent des oeuvres protégées, il y a des problèmes de droit. Les éluder me paraît peu constructif. Nous avons un profil plutôt bas avec l'accord FranceMP3 puisqu'il est valable six mois. C'est un test. Ca permet aux deux parties de tirer des enseignements. Je ne vois pas en quoi ça peut freiner le développement. Ca rassure les investisseurs d'un point de vue juridique. Si on s'est planté, alors c'est sur six mois. Ce n'est pas tellement grave.

Nous avons également entendu que cet accord va freiner le développement du MP3 en Europe au profit des Américains...
C'est du lobbying peu convaincant. Depuis cinq ans, j'entends ce type de raisonnement: que le droit d'auteur va tuer les sociétés d'informations, etc. On dirait que les gens ne voient pas que le téléchargement coûte au minimum un franc pour la bande passante. Les acteurs impliqués dans le téléchargement n'embêtent pas les opérateurs et les sociétés qui sécurisent les paiements alors qu'elles profitent des taux de reversement des cartes bancaires. C'est de la folie douce et ce serait le droit d'auteur qui casserait le système! C'est assez pitoyable d'entendre ce genre d'argumentation. D'un point de vue de principe, les gens peuvent nous dire que le taux de royauté sur les téléchargements (12%) est plus cher que le disque. C'est vrai mais pourquoi adopter le taux du disque alors que ce n'est pas la même économie ? Il faut se donner le temps de voir le marché.

Toujours dans le domaine des rumeurs, on dit qu'un site qui propose du téléchargement et qui n'a pas signé d'accord avec la Sacem est illégal. Vrai ou faux ?
Les sites qui utilisent le répertoire de la Sacem sans nous avoir consulté sont illégaux. L'autorisation des ayant droits est obligatoire. Lorsque l'on décèle de la mauvaise foi, nous attaquons en justice. Nous avons gagné quelques procès contre des sites pirates dont les responsables proposaient en MP3 du téléchargement illégal d'oeuvres ou de graver des compilations CD pour 50 francs. On ne peut pas laisser passer ça. Alors on fait un minimum de contrôle et on assigne les responsables au pénal. Nous avions besoin de jurisprudence et nous avons voulu prouver que ça pouvait faire très mal. Le but du jeu, ce n'est pas la répression à outrance.

Deux internautes de Saint-Etienne ont récemment été condamnés à des peines de prison avec sursis pour avoir proposé sur leur site des téléchargements gratuits d'oeuvres musicales...
La Sacem était partie civile avec la SDDP effectivement. Nous avons un service d'enquête au sein de notre société d'auteurs. Il cherche via les moteurs de recherche pour les parties immergées. Il y a plusieurs cas. Pour les internautes amateurs, nous envoyons simplement un avertissement. Après, on juge de la façon dont c'est fait. Certains sites mettent des pseudo-avertissements de "copyright". Dans ces cas-là, nous savons pertinemment que le webmaster ne joue pas le jeu. Franchement, je crois qu'il ne peut plus exister un internaute qui ne soit pas au courant de la législation en la matière. On a fait suffisamment de campagnes de publicité et envoyé beaucoup de mails à ce sujet. Idem pour les CD gravables, où des adolescents proposent des compils à 50 francs. A la centième alerte, il faudra bien réagir.

Une taxation des CD gravables, c'est dans l'air ?
C'est un autre débat mais il faut raisonner comme en analogique. On part du principe que l'on peut faire un "copier" sur Internet et "coller" sur un CD audio du moment que l'usage reste privé. C'est le même système pour une cassette vidéo. Il existe une redevance de copie privée (financée par les producteurs de supports cassettes, vidéo, etc). Cette redevance est logique: après avoir fait sa propre compil' de photos de musées, un particulier va-t-il acheter un CD-Rom d'art contemporain? Ca m'étonnerait beaucoup. Il devient urgent que cette redevance touche également les fabricants de CD vierges compte tenu du développement du support. Il faut avouer que ça prend du temps.

BlackSound.com, site de téléchargement d'extraits musicaux spécialisé en World Music, vient d'adopter la norme IDDN (InterDeposit Digital Number) comme instrument de protection et de gestion des droits de propriétés industrielles, ça vous inspire ?
C'est un système d'identification des oeuvres avec les conditions d'exploitation à respecter. Il permet de toucher directement l'individu. Cela part du postulat suivant: "Moi, internaute, je vais demander l'autorisation car j'ai les coordonnées directement". Je trouve que c'est un faux débat. Je crois que nous sommes dans un autre état d'esprit sous forme de gestion collective. Nous voulons plutôt mettre en place des ECMS (Electronic Copyright Management System). Nous préférons signer des accords type avec les fournisseurs de contenu et ensuite de pouvoir lier des systèmes de contrôle et de "reporting". Mais nous avons besoin d'outils technologiques pour le faire.

Quel est votre site favori ?
J'aime beaucoup fluctuat.net, site d'information sur la vie culturelle de la vie parisienne. J'aime bien les sites en Flash du style www.eye4u.com ou www.chman.com.

Quel radio en ligne écoutez-vous ?
Je vous avoue que pour l'instant, j'ai encore le réflexe d'allumer ma chaîne audio.

Qu'aimez-vous sur Internet ?
Les jeux en ligne. J'attend avec impatience Fortress sur Goa.com.

Que détestez-vous sur Internet ?
Les sites baclés, où l'information n'est pas remise à jour.

Pierre Forrest, 29 ans, est titulaire d'un DEA en propriété littéraire et artistique, chargé depuis 1995 des autorisations au sein de SESAM, société réunissant la SACEM, l'ADAGP, la SCAM, la SACD et la SDRM pour la gestion des exploitations dites multimédias.






 

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