iPIN
est une start-up créée en 1997 dans la Silicon Valley
qui propose depuis 1999 un système de paiement sur l'Internet.
Alexandre Gonthier, l'un de ses fondateurs, est français.
Il a reçu le Journal du Net dans les nouveaux locaux d'iPIN
à Belmont en Californie. Il présente les différents
scénarios de paiements en ligne et la stratégie
de développement d'iPIN.
Propos recueillis par Stéphane
Gigandet
le 12 janvier 2000
.
JDNet.
Pouvez vous présenter iPIN en quelques mots?
Alexandre
Gonthier. iPIN est une solution d'infrastructure de paiements
sécurisés sur l'Internet indépendante des modèles de cartes de
crédit. Lorsqu'un consommateur fait un achat chez un marchand,
il paie en cliquant sur le logo iPIN comme il pourrait cliquer
sur un logo VISA ou Mastercard, le consommateur est identifié
par iPIN, la transaction est autorisée par l'entreprise qui a
donnée le compte iPIN au client : une banque, un opérateur de
télécommunications, un ISP ou un opérateur mobile. Suivant le
cas, le montant est directement débité comme une carte bleue ou
ajouté à la facture mensuelle pour un ISP par exemple. Nous nous
appuyons ainsi sur une relation de paiement existante pour permettre
le règlement d'achats sur l'Internet indépendamment des réseaux
de cartes de crédit. Nous avons construit un réseau de compensation
international, multidevise et multilingue, en ajoutant des couches
de sécurité, de protection des données et de simplicité d'utilisation
nécessaire pour ajouter de la valeur pour l'utilisateur final.
Comment
se déroule votre partenariat avec Club-Internet ?
Cela se passe très bien. Je ne connais pas le détail des statistiques,
mais je sais que c'est un projet qui a beaucoup de valeur aux
yeux de Fabrice Sergent, le PDG de Club-Internet. L'utilisation
d'un système de paiement est directement liée au nombre de marchands
avec qui on peut faire des achats. Aujourd'hui il y a 20 ou 25
marchands en France, et plusieurs milliers d'internautes utilisent
déjà iPIN. Lorsque nous aurons 500 marchands, il se produira un
effet de réseau. Il faut que nous atteignions la masse critique.
Quel
est le profil de l'acheteur moyen ? Qu'achète-t-il et pour combien
?
Aujourd'hui, iPIN a surtout développé une offre dans le monde
de la musique en ligne. L'essentiel des utilisateurs achète de
la musique. Le montant moyen dépend du partenaire auprès duquel
l'utilisateur a obtenu son compte iPIN. Si c'est un opérateur
de télécommunications ou un ISP qui ajoute iPIN dans son système
de facturation, cela concernera des petits paiements. Ce n'est
pas un problème technique bien entendu, mais ce n'est pas adapté
culturellement. Aujourd'hui, la transaction maximale est de 300
francs. En France, la plupart des transactions sont entre 5 et
20 francs. Mais si le partenaire est une banque, comme Wells Fargo,
on se rapproche du modèle des cartes de crédit : entre 10 et 1000
dollars.
Donc
ce n'est plus du micro-paiement ?
Plus
du tout, non. iPIN n'est pas une solution de micro-paiement. Nous
nous étions positionnés stratégiquement comme résolvant le problème
des petits paiements - le terme de micro-paiement n'est plus à
la mode - mais nous avons élargi notre vision à tous les paiements
que l'on peut imaginer sur l'Internet. Nos partenaires sont aussi
bien des ISP que des opérateurs mobiles, et même des services
comme les fournisseurs d'électricité avec qui nous travaillons
en Asie, et également des institutions financières : banques,
portails financiers, courtiers comme E*Trade par exemple. iPIN
annonçait en novembre 1999 vouloir établir des partenariats avec
les dix plus grands fournisseurs d'accès à l'Internet français.
Avez-vous
du mal à les convaincre d'adopter le système iPIN ?
En France, nous sommes en discussion avec presque tous les acteurs
majeurs : les grands ISP, les grandes banques et les opérateurs
sans fil. Nous vendons une solution de paiement, pas un produit
sur CD, les cycles de ventes sont plus longs. Il y a un travail
d'éducation et d'évangélisation assez important à fournir.
Qu'en
est-t-il des fournisseurs d'accès gratuit ?
Ils n'ont pas de relation de paiement mais servent de canal marketing
vers le consommateur final, ce qui permet d'avoir un coût d'acquisition
extrêmement faible. Nous avons également notre propre solution
de paiement pour les entités qui voudraient offrir un compte iPIN
à leurs clients mais qui n'ont pas d'infrastructure pour les facturer.
Ainsi, un ISP gratuit ou un portail peut conserver son interface
mais s'appuyer sur un système de facturation que l'on fournit.
Et
à l'international ?
Aux Etats-Unis, les banques s'intéressent plus à nous et nous
nous intéressons également aux opérateurs sans fil. Le marché
n'est pas assez mature pour les ISP, c'est une question de timing.
La pénétration des cartes de crédit aux Etats-Unis est extrêmement
importante. En Europe, les marchés sont culturellement très différents
: une société comme France Telecom a un impact beaucoup plus fort
dans la vie des français.
iPIN
oriente-t-elle son développement principalement vers l'Europe
?
Non, nous sommes présents sur trois continents. En Europe, nous
avons des bureaux à Paris, Londres et bientôt Amsterdam. Aux Etats-Unis,
nous sommes à San Francisco et sur la côte Est. En Asie, nous
avons des bureaux à Singapour et Hong Kong et bientôt à Tokyo.
Notre solution de paiement est globale. C'était un postulat d'entrée
lorsque nous avons crée iPIN. Nous pouvons nous adapter à tous
les systèmes légaux, fiscaux, à toutes les devises et à toutes
les langues. Parmi les fondateurs, il y a trois européens et deux
américains. Tous les grands sites Web sont aux Etats-Unis, mais
le trafic est de plus en plus international. Les Américains s'aperçoivent
que 50% de leur trafic est infacturable culturellement parce qu'il
provient d'autres continents et que ces internautes n'ont pas
les bons moyens de paiement. En Asie par exemple, il n'y a pas
de cartes de crédit. Comment font les gens pour payer sur l'Internet
? Nous travaillons ainsi dans un pays d'Asie avec une société
qui vend de l'essence et dont les stations couvrent 50% de la
population. C'est la société qui a la plus forte pénétration dans
ce pays, et il est possible de payer ses factures par l'intermédiaire
de cette société, comme en Suisse on paie son loyer à la Poste.
Bientôt, on pourra également y payer ses achats sur l'Internet.
A
quand iPIN pour le WAP ?
On a une offre qui sort cet été. Le WAP est devenu l'un des moteurs
de nos discussions avec les banques et les opérateurs de télécommunication.
Mais nous nous intéressons aussi aux autres standards sans-fil.
Toutes nos interfaces avec les opérateurs, les banques et les
marchands sont customizables. On peut offrir notre solution sur
les téléphones iMode au Japon, et l'on pourrait se brancher sur
une PlayStation ou un Palm. iPin s'adapte à tous les types de
paiement : à l'acte, au temps, au nombre de vies que l'on peut
acheter dans un jeu, etc.
Quelles
sont les prochaines étapes de développement d'iPIN ?
Nous voulons verrouiller d'ici la fin de l'année un certain nombre
de contrats clés dans le monde, entre cinq et dix. Et en 2001,
lancer les premières offres commerciales à grande échelle.
Et l'IPO ?
Elle aura bien lieu à un moment ou un autre, quand on sera prêt.
D'ici neuf ou dix-huit mois, quand les marchés seront un peu plus
réceptifs.
La
plupart des internautes estiment que tout ou presque doit être
gratuit sur le Net. Pensez-vous que le modèle des micro-paiements
pourra remplacer en partie les modèles basés sur la publicité
?
C'est une question sur laquelle on communique depuis le début
: la publicité n'est pas un modèle économique viable pour les
sites importants. Si on regarde le passé, la télévision payante,
comme Canal + est bien arrivé. La télévision publique en France
est financée par la publicité et les subsides de l'Etat mais ils
ont dû se diversifier : production de films, etc. Ce modèle montre
que des péages permettent d'éviter la pub. Parmi les 50 plus grands
sites américains, presque tous sauf Yahoo ! se plaignent que la
publicité est insuffisante. Il faut trouver des moyens pour monétiser
ses contenus et services. C'est encore plus évident pour le sans-fil
: la bande passante est limitée, le prix des licences UMTS est
exorbitant, a terme le consommateur doit donc payer. C'est vrai
que sur le Web, il y a une demande presque impérieuse du consommateur
pour que tout soit gratuit, parce que depuis des années il y est
habitué. Mais depuis, les marchés ont chuté. Il y a eu un véritable
nettoyage des sociétés sans business model. Les corrections ont
principalement touché les entreprises de B2C qui dépensent des
millions de dollars en pub online et offline pour acquérir des
clients sans savoir comment et pour quoi les facturer. Les pendules
ont été un peu remises à l'heure. A la fin de l'année, en France
comme aux Etats-Unis, il y aura un véritable bain de sang. Les
sociétés dont le seul plan de croissance est de dépenser en marketing
n'arriveront pas à renouveler leurs financements et déposeront
le bilan. Une grande partie des marchands affiliés à iPIN vendent
de la musique en ligne.
Que
pensez-vous des logiciels comme Napster et Gnutella ?
Napster prend un secteur établi à contre-courant avec une nouvelle
technologie et est peut-être à mi-chemin de l'illégalité mais
réussit à transformer les consommateurs en alliés pour créer une
vague de fond. Si ce n'est pas illégal, Napster réussira peut-être
à imposer un modèle complètement nouveau à toute l'industrie.
Mais nous ne sommes pas mariés à la musique. Si Napster réussit,
on arrêtera de vendre de la musique en ligne et on vendra autre
chose.
La
quasi-totalité des marchands qui ont aujourd'hui adopté iPIN vendent
de l'information, aisément et souvent copiée sur le Net. Quelle
solution voyez-vous pour empêcher le piratage et faire débourser
ne serait ce que quelques francs aux internautes ?
Aujourd'hui,
le système de facturation d'un ISP est
adapté
au marché des contenus. Avec les banques, nous attaquerons le
marché des biens matériels. iPIN est un moteur de transactions
mais nous travaillons avec des sociétés dont la mission est de
protéger les droits d'auteurs. Des sociétés comme Symantec et
Alladin travaillent sur des mécanismes de clé publique/clé privée,
watermarking, tatouage logiciel etc. Mais pour l'instant, c'est
un secteur sans standard.
Vous
avez déménagé de San Francisco dans la Silicon Valley. Qu'aimez-vous
le plus dans la Valley ?
J'aime la nature qui est absolument superbe. Et j'aime le fait
que fondamentalement il y a dans chaque individu qui y vit un
entrepreneur en herbe, un entrepreneur chevronné ou un entrepreneur
à la retraite. C'est une vraie industrie de la start-up qui n'existe
nulle part ailleurs sur la planète. Il ne s'agit pas d'artisans
ou de bricoleurs mais de véritables industriels des nouvelles
technologies.
Qu'aimez-vous
le moins ?
Les zones sub-urbaines où il n'y a que des entreprises, bureaux
après bureaux sur des kilomètres, sans la moindre vie sociale
extra-professionnelle. C'est l'usine, au niveau du paysage et
au niveau social.
Vous
achetez sur le Net ?
Oui, j'achète et je vends des actions, j'achète des livres, des
médicaments, de l'électronique, des billets d'avion, des CD...
Avec
iPIN ?
Il n'y a pas assez de marchands aux Etats-Unis et je n'écoute
pas de musique en ligne. En France, j'ai acheté Le Monde avec
iPIN.
Qu'est
ce que vous aimez sur le Net ?
Pour moi, le Net est un outil professionnel. J'aime mon adresse
e-mail, je m'en sers vingt fois plus que du téléphone. Je me sers
également de My Yahoo ! pour voir les cours des actions, mais
je suis très low tech. Je n'ai pas de Palm Pilot, je suis un technologiste
non connecté.
Qu'est-ce
que vous détestez ?
Le
spam. J'ai horreur de l'intrusion dans la vie privée. Et je n'aime
pas le caractère confus de l'information. Sur l'Internet, souvent,
gratuit veut dire sans valeur. Je n'aime pas non plus les moteurs
de recherche actuels qui font perdre beaucoup de temps. Mais dans
l'ensemble, je suis très excité par le Net. Je vois le verre à
moitie plein plutôt qu'à moitié vide.
Après avoir
occupé un poste d'ingénieur en communication sans fil chez ArrayComm,
à San Jose, Alexandre Gonthier est devenu, à titre indépendant,
conseiller en technologie Internet spécialisé dans les sites Web
transactionnels à grande échelle. Durant cette période, il a notamment
été responsable technique de la plate-forme en ligne du Club Med.
Il a rejoint iPIN en octobre 1997 en tant que co-fondateur. Il
a obtenu une licence en ingénierie des systèmes de communications
à l'Institut technologique fédéral suisse et un diplôme de troisième
cycle en systèmes de radiocommunication mobile à l'Institut Eurecom,
à Sophia Antipolis.