3i, un des fonds
européens les mieux implantés en Europe, a récemment
investi dans un site B2B de santé, SurgeonLine. En témoin,
Thomas Gubler, associé chez 3i,
analyse les besoins des start-ups et les finalités des
levées. Il invite les start-ups à douter et à
se remettre en question pour éviter de faire parti des
prochains "cadavres" du Net.
Propos recueillis par Gaëlle Hassid le 18
novembre 1999 .
JDNet: 3i vient d'investir dans SurgeonLine
20 millions. Croyez vous aussi au créneau grand public pour la
santé?
Thomas Gubler: Les investissements que 3i réalise dépendent
du business model (BM) retenu, quelque soit le type, grand public
ou professionnel. Un site grand public pour la santé, uniquement
basé sur le co-branding et la publicité n'est à mon avis
pas stratégiquement suffisant et intéressant. SurgeonLine est
un site BtoB de santé d'un potentiel de marché énorme.
Vous avez sur le dossier SurgeonLine
recruté un directeur général (Curt Bilby)
pour cette start-up. Pourquoi ?
3i n'a pas effectué le recrutement, ce sont les trois cofondateurs
qui l'ont fait. Et, ce fut une des raisons pour laquelle 3i a
investi dans SurgeonLine. Curt Bilby est un manager américain
qui connaît le business. Il a été à l'origine de start-ups qui
ont réussi et qui ont levé des fonds. Nous avons totalement confiance
en ce recrutement. C'est le signe d'un très bon état d'esprit
de la start-up.
Quelle est, selon vous, l'originalité
de 3i ?
Ce qui nous différencie des autres capitaux-risqueurs, c'est notre
taille. Nous avons plus de trente bureaux dans le monde. Je ne
pense pas que nous ayons un concurrent qui soit aussi bien développé
et implanté en Europe que 3i. 3i en quelques mots, c'est plus
de 500 dossiers dans le monde, et plus de 240 dossiers depuis
le dernier exercice. Notre originalité est justifiée par notre
réseau interne. 3i est un des acteurs majeurs européens à valeur
ajoutée et représente plus de 960 introductions en bourse.
Est-ce qu'une compétence métier n'est
pas indispensable pour étudier un dossier?
C'est une approche possible du métier. Certains fonds, très pointus
sur un secteur, possèdent une spécialisation technique. A contrario,
3i n'a pas de spécialisation mais des ressources internes très
spécialisées. Nous avons des experts techniques qui travaillent
sur les dossiers. Les nouvelles technologies évoluent à une telle
vitesse qu'il est important de faire appel à des spécialistes
dont c'est le métier. Croire que l'on a une parfaite connaissance
du métier, sous prétexte que l'on a travaillé
dans les nouvelles technologies pendant
un certain nombre d'années
est
un leurre.
Combien de dossiers de start-ups du net
recevez vous par jour? Combien en traitez par mois? Combien se
concrétisent par une réelle levée?
Nous recevons entre 30 et 60 dossiers par mois. Sur les 100 business
models que l'on reçoit, 15 bénéficient d'une attention de plus
de 5 minutes, 5 nous demandent un travail significatif et 2 aboutissent
à un réel investissement. Il y a six mois, nous recevions
entre deux et trois fois moins de dossiers.
Quels sont les critères de sélection?
Plusieurs points sont essentiels à notre investissement. Tout
d'abord, l'équipe. Ensuite, le positionnement de leader ou la
vocation d'être le leader. On mise toujours sur le numéro un ou
qui a le potentiel d'être le numéro un. Egalement, la société
doit être en mesure d'établir des barrières à l'entrée. Cela lui
assure une capacité à se positionner en tant que leader. Enfin,
il est indispensable d'avoir une compétence et une approche métier
plus qu'une approche Internet pure et dure.
Quelle sont les qualités que doit comporter
un bon business plan?
Un BP doit être un document de vente, cela doit donner envie au
capital-risqueur d'acheter son produit. Je pourrais résumer cela
par: vous avez au mieux 5 minutes au pire 30 secondes pour attirer
l'úil du capital-risqueur. Il faut que la première page d'un BP
possède absolument un résumé de la proposition de valeur et un
résumé du profil des personnes qui composent la start-up. Je ne
lis pas un BP si celui-ci n'est pas clair, précis et court.
Quand vous lisez un BP, quelle est l'erreur
le plus souvent commise ?
Si il me faut trois minutes pour trouver le profil des entrepreneurs
de la start-up, je laisse tomber.
Si vous aviez un seul conseil à donner
aux start-ups du net, quel serait-il?
Douter. Je les invite à douter surtout quand ils en arrivent à
parler du chiffre d'affaires qu'ils vont réaliser dans trois ans.
De même, ces start-ups doivent absolument se remettre en question
face au marché. Croire que l'on a aucun concurrent est une faute
grave. Une remise en question permanente est indispensable pour
avoir une chance de survivre.
Pensez-vous que la clause de confidentialité
a encore un sens?
3i n'a pas de problème à signer ces clauses, notre code de déontologie
est très fort. Nous sommes un acteur à très bonne réputation que
nous souhaitons garder et conserver. La confiance est une composante
essentielle et intrinsèque à notre métier. C'est une question
de déontologie, c'est tout.
Que faites-vous quand une société dans
laquelle vous avez investi est en déclin ? Quelles solutions apportez-vous
?
Tout dépend de la raison du déclin. Si la société n'a pas trouvé
son marché, alors il vaut mieux savoir prendre sa perte plutôt
que de réinvestir à fonds perdus. Mais, parfois, il faut du temps.
C'est une discussion qui a lieu avec les entrepreneurs de la start-up.
Quel est selon vous le créneau à venir,
le plus porteur ?
Les sites B to B.
Comment trouvez-vous l'attitude des start-ups
françaises?
Nous sommes en phase de découverte et d'apprentissage. Les sociétés
américaines ont déjà 4 à 5 ans derrière elles. Certains en sont
à leur deuxième voire, troisième start-ups. Je trouve qu'il y
a encore beaucoup de naÔveté et d'enthousiasme chez les jeunes.
Je suis impressionné par les "seniors" qui quittent leurs fonctions
bien établies pour se lancer dans un projet Internet.
Les montants des fonds levés lors du
premier tour sont de plus en plus importants. Cela vient-il du
fait que les BP et les équipes sont de meilleures qualité?
La concurrence est plus vive et cela coôte de plus en plus cher
de créer sa marque. Les campagnes publicitaires nécessitent un
réel budget. La France vient de prendre conscience qu'il fallait
absolument établir sa marque, sa notoriété et réalise l'importance
d'être leader sur le marché. L'argent est potentiellement une
barrière à l'entrée. Cette tendance ne fera que s'accroître.
Peut-on
dire que le seed et le premier tour servent à progresser à la
même vitesse que le marché, d'un point de vue achat technologique
et budget marketing, et que les seconds tours servent à assurer
la croissance externe?
Le seed et le premier tour servent à valider le business model
et/ou la technologie. Les levées sont donc essentiellement utilisées
à des fins de recrutement et d'équipement. Le deuxième et troisième
tour servent à atteindre le marché de masse, donc ces levées correspondent
au budget communication/marketing. La croissance externe sert
à booster le positionnement de leader sur le marché.
A quel moment doit on faire une IPO ?
Cela dépend du marché et de la start-up. Il faut que ces deux
éléments soient prêts et qu'il y ait une certaine adéquation entre
le marché et la demande. La start-up doit avoir prouvé quelque
chose. Par exemple, une présence pan-européenne est une bonne
indication. Une équipe complète et de très haut calibre
en est un autre. L'historique du chiffre d'affaires est également
significatif. Enfin, une forte visibilité et une position de leader
donnent l'impression de confiance dont a besoin la Bourse.
Quels ont été vos dernières transactions
?
SurgeonLine, Opteway.
Les prochaines ?
Deux sites B to B.
A quelle échéance allons-nous voir apparaître
les premiers "cadavres", ces start-ups qui échouent?
Il y en a déjà. Il y a, par exemple, les mort-nées, c'est à dire
celles qui n'ont pas réussi à lever de l'argent. Mais, il y a
aussi celles qui ont réussi à lever le premier tour mais échouent
pour lever le deuxième tour. La concurrence va être féroce, les
dépôts de bilan vont faire surface.
Quel est la levée dont vous êtes le plus
fière?
Les prochaines.
Qu'aimez-vous sur le net?
Ce qui me fascine c'est qu'Internet permet de tendre vers une
information pure et parfaite.
Que détestez-vous sur le net?
La lenteur et les sites en construction.