Interviews

Patrick Jacquemin
PDG
RueDuCommerce

Aspiré par le grand vent de l'Internet, Patrick Jacquemin a quitté un groupe de presse international (Ziff Davis) pour une start-up marchande et ambitieuse, RueDuCommerce (informatique). Trois mois après son lancement et quinze jours après avoir levé 30 millions de francs auprès de capital-risqueurs, le nouveau marchand virtuel fait le point.

Propos recueillis par Catherine Pinet le 10 décembre 1999 .

JDNet: Pourquoi acheter son matériel informatique en ligne?
Patrick Jacquemin: Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord, l'achat en ligne est ouvert 24 heures sur 24. Ensuite, les provinciaux ne sont pas obligés d'aller dans une grande ville pour avoir le choix des produits. De plus, les internautes ne font pas la queue à la caisse et ne se bousculent pas dans les rayons... Le moteur de recherche de produits par prix ou catégorie permet à l'internaute une rapidité de sélection qu'il ne trouve pas dans un magasin, devant la profusion du matériel. Le magasin ne peut avoir en rayon 15.000 références visibles par le client, avec un descriptif de l'objet. On peut toujours s'interroger sur les motivations d'un vendeur qui conseille tel ou tel ordinateur. Est-ce qu'il propose les produits sur lesquels le magasin fait le plus de marge? Sur Internet, on peut mettre un produit en home page, comme on pourrait le placer en tête de gondole dans un magasin. Mais l'acheteur choisit librement. Pertinence et impartialité: voilà les avantages du e-commerce.

Quelles sont les limites de la vente sur Internet?
Si les ventes de produits standardisés sont très facilement réalisables, je comprends qu'on hésite à acheter des produits qu'il faut essayer ou toucher. Acheter une paire de chaussures ou un ours en peluche sur Internet me paraît difficile. Un vendeur qui peut conseiller est toujours agréable en magasin. Il n'est pas sur le Web. Mais essayez donc de trouver un vendeur disponible pour vous aider un samedi 11 décembre dans un grand magasin informatique... ça relève du miracle.

Qui achète sur votre site ?
A la création du site, en aoôt, il y avait presque uniquement des provinciaux. Maintenant, ils sont une majorité, mais le nombre de parisiens augmente. Nos acheteurs ont entre 18 et 45 ans. Au début, ils avaient environ 35 ans. Maintenant, deux groupes se détachent : les 17-25 ans, qui achètent des produits peu coôteux. Plutôt des graveurs et des boîtiers. Et les cadres néophytes d'environ 35 ans qui achètent des produits plus coôteux de meilleure qualité. Plutôt des imprimantes. Notre trafic est beaucoup plus important la semaine que le week-end. La plupart des gens se connectent à notre site au bureau, et n'ont pas forcément d'accès à Internet chez eux.

Quel est le comportement du cyberclient de Rueducommerce?
Le processus d'achat n'est pas foncièrement différent en ligne que dans un grand magasin physique. Les clients vont souvent visiter un site avant d'acheter. Ils comparent les prix, le choix, et reviennent sur le site plus tard pour commander. Pour notre journée spéciale à prix coôtants, beaucoup d'internautes ont acheté après avoir visité le site plus tôt. Internet est plus pratique que la vente par correspondance, puisque le catalogue est géré en temps réel. La culture de la vente sur Internet rentre progressivement dans les múurs.

Quels moyens consacrez-vous à la promotion du site?
Nous avons réalisé une campagne en aoôt, et une autre qui a débuté fin novembre on et off-line, en presse généraliste et professionnelle. Elle finira fin décembre. Le budget se situe entre 5 et 10 millions de francs pour les deux campagnes additionnées.

Envisagez-vous une fusion avec un site de vente de matériel complémentaire au vôtre?
Nous ne rejetons pas l'idée d'étendre nos domaines de vente. Nous réaliserons des acquisitions ou conclurons des partenariats, si l'occasion se présente. Nous réfléchissons à la possibilité d'inclure des DVD et tout le matériel électronique dans les mois prochains.

Envisagez-vous de vous lancer dans des systèmes de vente propres à l'Internet comme les enchères ou le group buying?
Le group buying ne peut pas être intéressant pour nous, puisque nous avons déjà des prix très bas. Le principe de vente aux enchères peut par contre entrer un jour dans notre stratégie. Lorsque l'on achète une voiture, on souhaite vendre l'ancienne. Le modèle de vente du concessionnaire auto est également valable pour la vente de produits informatiques.

Comment allez-vous répartir les 30 millions de francs que vous venez de lever?
Avec l'argent de la levée de fonds et nos marges, nous allons principalement investir dans la communication. Ce sera plus de de 50% du total. Nous allons également investir dans le personnel. Ce sont les hommes qui vont b’tir notre site. Nous sommes actuellement une vingtaine, et souhaitons passer à une trentaine ou une quarantaine de personnes dans les six prochains mois. Nous souhaitons élargir la direction. Notre call center est actuellement externalisé. Peut-être allons-nous le réintégrer. Nous allons naturellement investir en technologie, mais ce n'est pas là que nous placerons le maximum d'argent. Notre première levée de fonds de 7 millions de francs nous a permis d'investir d'emblée avec Netforce.

Selon vous, quelle est la plus-value de votre site, par rapport à vos concurrents ?
Tout d'abord des chiffres: 15.000 références informatiques, 130 marques, 50% du marché informatique couvert par notre site. Ensuite, l'ergonomie du site et la facilité de lecture. Enfin, nos prix.

Comment pouvez-vous vendre des produits à un prix très bas sur Internet ?
Un magasin sur Internet ne dépense pas d'argent pour les locaux de vente et des stocks, la décoration, les présentoirs, les vendeurs... Il a donc la possibilité de se faire moins de marge qu'un magasin traditionnel et de vendre moins cher. Le business model de vente est le travail en flux tendu. Nous n'avons pas, bien entendu, 15.000 modèles en stock. Nous gardons uniquement les plus vendus et externalisons le reste des stocks.

Comment le PDG de Ziff Davis France devient-il créateur d'un site d'e-commerce ?
L'éditeur américain Ziff-Davis est le premier groupe mondial de médias spécialisés dans l'informatique et l'Internet. En France, Ziff-Davis publie PC Expert et PC Direct, organise les salons Interop et IT Comdex, édite les sites Internet ZD Net et Gamespot... J'ai participé activement à toutes ces opérations. J'ai voulu créer ma société. Le passage de l'an 2000 est une réelle révolution commerciale et sociale, la seule importante depuis la révolution industrielle. J'ai voulu participer à cette révolution. J'ai assisté à une réunion de Softbank, aux Etats-Unis. Ca a été le déclic. J'ai ensuite réfléchi sur un concept de site et cherché un associé. Gauthier Picquart, créateur de Syracuse, avait le temps de participer à ce projet. Nous avons développé le concept et trouvé les capitaux en avril, et je suis parti de chez Ziff Davis.

Quel est votre site préféré?
Mon site préféré est incontestablement Amazon. Pour le choix, les enchères, le service consommateur et les newsletters. Quand je vais dans un magasin de vente de CD et que je cherche par exemple un orchestre, j'ai dû mal à trouver puisque les rayons sont classés par musiciens. De plus, je ne peux pas écouter tous les disques que je désire. Par Internet, je tape le nom de l'orchestre, je trouve et j'écoute le CD.

Qu'est-ce que vous aimez sur Internet ?
La liberté. Celle d'accéder à toutes les informations possibles et imaginables. Pouvoir profiter d'offres. Lorsqu'un site marchand qui m'intéresse fait une promotion, il m'en informe par mail. C'est très pratique.

Les pop-up et le spamming font-ils partie de la liberté? Ne doit-on pas réguler Internet?
De nouvelles règles vont apparaître en France, comme c'est déjà le cas aux Etats-Unis, concernant la fréquence des newsletters. De toute manière, on ne peut pas tout avoir: la liberté d'accéder à toutes les informations mondiales et celle de garder l'anonymat le plus complet. Je pense qu'il faut uniquement réguler Internet sur les domaines sensibles, comme les sites interdits aux enfants. Le "minimum syndical", comme on dit. Il y a suffisamment de contraintes comme ça. Je pense que ce n'est pas aux régulateurs de s'occuper de l'avalanche d'informations. C'est à l'internaute de savoir ce qu'il accepte et ce qu'il refuse. Un site non consulté meurt de lui-même.

Qu'est-ce que vous détestez sur Internet ?
Le manque de liberté en France. Internet pourrait se développer plus vite si la régulation sur les noms de domaines était moins forte. Il faut avoir une marque par nom de domaine, actuellement. Si un jeune veut créer un site, il doit attendre 15 jours. Vous croyez que Yahoo aurait explosé si vite, si il avait fallu créer une entreprise auparavant? Les Français vont finir par déposer des .com. La France ouvre donc simplement la possibilité à une autre culture de venir chez elle, à sa place. La France traîne les pieds, parce qu'elle étouffe la liberté de créer sur Internet.

Patrick Jacquemin, 38 ans, l'ISA (MBA HEC), a débuté dans le secteur financier , avant de rejoindre COMPAQ où, durant quatre années, il est responsable du marketing revendeurs puis responsable Grands Comptes. Il quitte Compaq pour la filiale française de SoftBank dont il prend la direction marketing puis la direction générale. A la suite du rachat de Ziff-Davis par SoftBank, il devient PDG de Ziff-Davis France début 1998.

RueduCommerce en chiffres

Date de création

Août 99

Effectifs
20 personnes
Ventes
35.000 francs par jour (début décembre 99)
Audience
600.000 pages vues (septembre à novembre 99)
Levée de fonds
7 millions de francs en avril 99, 30 millions de francs en novembre 99 (Apax Partners et Galileo)

 

 







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