INTERVIEW
 
Partner
OC&C Strategy Consultants
Philippe Kaas
"Les grands groupes savent que le conseil est coûteux mais en même temps très utile"
Créé en 1987, OC&C Strategy Consultants a ouvert son bureau en France en 1989 puis s'est étendu en Europe et en Amérique du Nord. Chacun de ses bureaux compte aujourd'hui entre 15 et 50 consultants. A l'heure actuelle, ils travaillent essentiellement sur des dossiers de fusion-acquisition et sur des missions tournant autour de la productivité. Philippe Kaas, partner et fondateur du bureau français, revient sur les années agitées que traverse le monde du conseil et sur la façon dont son cabinet les traverse.
06 mai 2003
 
          
Le site
OCCstrategy.fr

JDN. Comment définiriez-vous OCC Strategy Consultants ?
Philippe Kaas. OCC travaille sur des questions de stratégie : structurer des marchés, trouver les poches de croissance, identifier les domaines où l'on peut maintenir la rentabilité. Les entreprises sont sous pression pour se développer de façon rentable. La stratégie, c'est de les aider à le faire, quitte à couper des morceaux et en acheter d'autres. Les fusions-acquisitions représentent entre 20 et 40% de ce que fait un cabinet de conseil en stratégie.

Comment est née la société ?
OCC a été principalement créée par d'anciens associés de McKinsey, du BCG et de Booz Allen. Nous en sommes partis en 1988-1989 pour créer un cabinet que nous souhaitions plus focalisé que les cabinets d'où nous venions… et moins grand, parce qu'il y a une certaine valeur à être moins grand. Cela permet surtout aux associés de passer plus de temps avec les clients, alors que dans les grandes firmes, une grosse partie du temps des associés ne sert qu'à assurer la co-gestion. Le conseil disparaît un peu derrière le management interne. Chez les plus grands, comme Accenture, les partners passent un temps fou, l'essentiel de leur temps, dans la vente et la co-gestion. Alors que c'est quand même à priori ces gens-là, qui ont entre dix et trente ans de métier, que le client a envie de voir, qu'il pense avoir quand il contracte le cabinet et qu'il ne voit plus pendant la mission.

Comment avez vous réorganisé vos bureaux dans le contexte de crise actuelle ?
Comme les Etats-Unis ne vont pas bien, de moins en moins… Onze bureaux, l'essentiel étant en Europe, un en Amérique du Sud et deux aux Etats-Unis. Au plus haut de la vague technologique là-bas, nous avions Los Angeles, Palo Alto et San Francisco. Nous avons tout rapatrié sur Boston, notre bureau d'origine, et New York, un bureau plus dédié aux institutions financières. Le marché américain a été très secoué par une grosse récession, les secteurs les plus touchés ayant été le conseil en business technologies et en banque-assurance. Nous étions peu dans le deuxième mais beaucoup dans le premier. Nous avons connu un extraordinaire boom à partir de 1995 et puis on a pris de sacrés gadins à partir d'octobre 2000.

Quelle est la demande actuelle des directions générales ?
Pendant cette phase de récession, c'est "sur quoi je continue à investir pendant que les autres ne peuvent pas, qu'est-ce j'abandonne, où est-ce que je serre les boulons". En phase d'expansion, l'important est de créer de nouveaux marchés, trouver de nouveaux canaux, racheter des concurrents. L'Internet et les technologies avaient créé une énorme demande de nos clients naturels qui voulaient qu'on les aide à rattraper le train.

C'était une réaction craintive ou offensive ?
Un peu des deux. Tout le monde s'est lancé dans la réflexion sur l'ouverture d'un site, comment le relier à ses magasins, comment surmonter le cauchemar de la logistique. Et puis en octobre 2000, le sujet a changé… Et depuis 2002, tout s'est calmé. C'est devenu un canal de distribution pour certains, une technologie d'e-mail pour d'autres, en fait un outil de travail dont on ne sait pas très bien ce qu'on ferait si on ne l'avait pas..

Aujourd'hui, quelles sont les spécificités d'OCC ?
Nous sommes beaucoup plus proches des clients.

Cela veut dire quoi, concrètement?
Les associés sont vraiment sur les missions, ils y passent 80% de leur temps. Et puis, notre savoir-faire d'investigation de base est très utile quand on veut comprendre comment se positionner face à un concurrent, comment on va résister. Donc nous sommes très bons dans les fusions-acquisitions, en aidant l'acquéreur. Les fonds de LBO, par exemple, sont les grands acquéreurs depuis deux ou trois ans puisqu'ils ont du cash alors que les entreprises industrielles et commerciales n'en ont pas. Nous savons identifier les éléments porteurs des marchés dans lesquels se trouve la cible, quelles potentialités elle a.

Quels sont les principaux types de projets sur lesquels vous êtes impliqués actuellement ?
Les projets de pré-acquisition et de post-acquisition, notamment en Europe. C'est en ce moment le thème essentiel, 40 à 50% de notre chiffre d'affaires. Ensuite, il reste des projets autour de la productivité : comment regrouper des activités qu'on avait toujours pensé pouvoir garder autonomes. Les achats et la grande consommation sont une autre de nos grandes activités. Ainsi, en apprenant à un client comment faire travailler son fournisseur, on peut faire économiser 30% de coût au fournisseur et donc lui demander une remise de 30%, et pas les 1% qu'il obtiendrait en tapant sur la table. Travailler avec l'amont, c'est extraordinaire.

Quels sont les thèmes porteurs en ce moment ?
Ils sont évidemment liés à la récession… et pour certains clients, aux nouveaux segments à exploiter. Tout ce qui est loisirs ou santé continue à croître plus vite que le reste. Dans les télécoms, la consommation d'images et d'informations croit, mais elle se fait dans des endroits de plus en plus divers et il n'est pas sûr qu'elle se fera sur le téléphone. La grande question est "y a-t-il un marché pour telle application?". C'est quand même ce qui a brûlé les doigts de tout le monde : beaucoup se sont rués sur l'UMTS sans réfléchir à la demande.

Qui sont vos clients ?
Nous travaillons pour un groupe qui n'utilise pourtant plus beaucoup de consultants, France Telecom, mais je ne peux pas donner de détails. Dans la distribution, nous travaillons avec Kingfisher et Castorama. Nous avons été très impliqués dans toutes les tentatives d'acquisition de But, de Darty. Nous avons aussi des compétences dans le livre et nous avons beaucoup travaillé avec Hachette et VUP. Mais là, pour des raisons que l'on comprendra, nous sommes dans l'expectative totale depuis l'automne dernier…

Qu'avez-vous l'impression d'apporter à vos clients ?
C'est une question difficile dans une mission de stratégie... Sur une mission de réduction de coûts, il est assez facile de voir s'ils baissent. Mais sur un rachat, l'acquisition ne représente que 10% du travail, après il faut intégrer, ne pas perdre les compétences. Un client estimera qu'on a bien fait le travail s'il n'a pas perdu les talents qu'il voulait, si nous avons respecté le timing pour lequel les actionnaires ont donné leur OK et les engagements de synergie qui justifient le prix d'acquisition.

Quel est le degré de maturité de vos clients par rapport à ce que vous leur proposez ?
Ils connaissent bien la musique ! Le conseil a maintenant presque quarante ans. Aujourd'hui, il n'y a pas de groupe qui n'ait pas essayé à peu près tout le monde et donc tous savent bien ce qu'OCC sait faire, ou ce que le BCG sait faire, etc. Ils ne font pas leur shopping en opposant l'un à l'autre mais ils ont déterminé à l'avance qui va faire quoi. Je pense que ça reflète un niveau de maturité des clients. Les grands groupes se rendent bien compte que le conseil est coûteux mais en même temps très utile, qu'il fait partie de toutes les réflexions sur l'out-sourcing : il vaut mieux que ces compétences se développent à l'extérieur parce qu'on n'en a pas besoin tous les jours.

Vos clients savent ce qu'ils veulent et ce dont ils ont besoin?
Oui mais le fait pour nous de bien connaître certains secteurs permet d'aller plus vite. D'abord parce que cela permet d'être plus convaincant au niveau de la proposition, même si on peut donner l'impression de sauter aux conclusions. Ce qui n'est pas notre but, même si c'est un métier dans lequel on travaille beaucoup sur des hypothèses.

Quelle est votre plus grande réussite des derniers mois ?
C'est d'avoir survécu. En 2002, nous avons battu notre record, alors qu'autour de nous, les cabinets de conseil étaient tous en train de se tasser, voire de se restructurer. Nous avons fait un énorme come-back alors qu'en 2001, nous avions connu un retour de bâton phénoménal, dramatique, avec un chiffre d'affaires divisé par deux ou presque, même si nous n'avons pas touché à notre structure. Il est vrai que 2000 avait été l'année du siècle pour toutes les professions de matière grise.

C'était vraiment l'année bingo ?
Oui, nous avons bien dû faire 40% de croissance.

Aujourd'hui, la tension sur les prix doit peser sur votre marché…
Cela arrive, mais pas pour les raisons auxquelles on pense. Nous travaillons dans une profession où les honoraires sont très lourds quand l'affaire ne se fait pas. Pour les fonds de private equity, les honoraires entrent dans les frais généraux, si l'affaire ne se conclut pas : dans ces cas-là, ils sont très sensibles au prix… Mais si l'acquisition se fait, ils n'y sont pas sensibles, il n'y a qu'à voir ce qu'ils paient aux banques d'affaires.

Donc le prix ne compte pas ?
Je pense que c'est un faux problème. Il dépend de la nature de la mission. Les grands groupes industriels se sont équipés de centrales d'achat qui négocient des prix de campagne ou un taux d'honoraire, mais ça n'empêche pas le cabinet d'évaluer sa mission comme il faut. Des remises sont faites, mais il est normal que lorsqu'un client vous promet un business pour l'année suivante, il bénéficie d'une remise. D'un point de vue économique, cela a du sens car le coût d'avant-vente sera plus léger pour nous.

Comment réussissez-vous à motiver vos équipes en ce moment?
Ce qui les motive, c'est de voir que l'on se développe alors que leurs collègues sont dans des cabinets où l'on est encore en train de réduire le staff. Nous avons tenu le cap sans trop souffrir, en tout cas pas nos consultants, et nous commençons à recruter à nouveau. Mais aujourd'hui, il vaut mieux ne pas être sur le marché de l'emploi. Le nombre de CV qui circulent est inouï pour une profession qui était adulée.

Quel est le projet sur lequel vous rêvez de vous développer?
Pour des raisons assez personnelles, c'est à un rapprochement correct entre VUP et Hachette-Livre. Il va être inévitablement difficile, mais je connais les personnes et j'adore le métier et c'est très lié à l'historique d'OCC France. Sinon, notre grand projet est de rentrer dans le monde de la finance, dans sa partie distribution et marketing. Il faut trouver un associé ayant cette sensibilité, qui soit dans un cabinet trop gros et passe trop de temps dans la gestion interne et pas avec les clients. Un peu la même motivation que pour nous quand nous avons créé OCC. Mais nous n'avons rien inventé : c'est parce qu'on est plus petit qu'on a moins de bureaucratie. La bureaucratie vient avec la taille, c'est inévitable. C'est comme les cheveux blancs avec l'âge.

Qu'aimez-vous sur Internet ?
Y faire des achats, parce que je suis dans une profession où l'on travaille jour et nuit. Et l'information instantanée. Avec un Google et un Copernic, on trouve tout ce qu'on veut. Mais du coup, on consomme plus d'infos, ce qui ne simplifie pas forcément la vie.

Et que détestez-vous ?
Le junk mail.

 
Propos recueillis par François Bourboulon

PARCOURS
 
Philippe Kaas a fondé en 1989 le bureau français d'OC&C, après onze ans chez McKinsey, où il était directeur associé responsable des secteurs distribution et grande consommation. Il est diplômé de l'Ecole Polytechnique, de de l'Ecole des Mines et a obtenu un MBA à Stanford.

   
 
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